Franco Dragone, les médias et notre société de “poissons rouges”
Lundi 16 janvier, j’étais triste. Triste de voir qu’un homme que je n’ai pas connu, Franco Dragone, n’a pas reçu la justice médiatique à laquelle il avait droit. Je rappelle que cet artiste, issu d’un milieu populaire, avait rendu sa ville natale, La Louvière, mondialement connue car c’est au départ de là qu’il concevait la mise en scène de ses spectacles.
Les médias avaient beaucoup parlé de lui pour un dossier de fraude fiscale. Ce créateur hors pair est mort le 30 septembre dernier mais, hélas, sans savoir qu’il serait blanchi par la justice de son pays trois mois plus tard. Or, si vous aviez épluché la presse, ce non-lieu – pas uniquement lié au décès de Franco Dragone mais au fond de l’affaire – n’a fait l’objet que de quelques maigres articles.
J’évoque ce sujet par correction envers la mémoire de Franco Dragone mais aussi pour rappeler que nous vivons dans un monde où notre attention est fragmentée, ultra sollicitée à chaque instant. Et comme nous avons une mémoire de poisson rouge (ce n’est pas une critique, je subis le même syndrome), j’en profite pour rappeler que le business des médias est fabriqué de sorte qu’une information chasse l’autre. Mais le problème, c’est le recul. Nous n’en avons plus. Tout se vaut à la grande braderie de l’information. Des exemples? Le 31 décembre dernier, la presse fait état d’une étude selon laquelle les faillites risquent de s’accélérer en 2023. Première réaction: oui, c’est plausible. Mais la même société avait dit la même chose en 2020 et en 2021 et les faits l’ont démenti. Mais qui nuance l’étude? Personne ou presque. Autre titre d’article: “Une PME sur six envisage de licencier au premier trimestre 2023” nous dit une autre étude. Pourquoi pas? Sauf que cinq jours plus tôt, le même média se basant sur la même étude affirmait que les PME veulent éviter les licenciements, et notamment parce qu’il y a une pénurie de main-d’oeuvre.
Le problème, c’est le recul. Nous n’en avons plus. Tout se vaut à la grande braderie de l’information.
Comme toujours, il s’agit de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Faut-il titrer sur le fait qu’une PME sur six veut licencier ou plutôt sur le fait que malgré les difficultés, cinq PME sur six ne veulent pas le faire? Choisis ton camp, camarade! Autre exemple: le FMI. Que dit sa directrice générale le 3 janvier dernier? Que la moitié de l’Union européenne sera en récession en 2023. Et puis, que lis-je ce lundi 16 janvier dans Le Figaro? Que l’économie européenne résiste mieux que prévu! Que la récession maintes fois annoncée risque de ne pas arriver. Motif? Parce que la première économie du continent (l’Allemagne) vient d’éviter la récession. Même chose pour les autres grands pays de notre Vieux Continent. Bien entendu, il y a plusieurs explications. D’abord, le prix du gaz est retombé au niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine, les réserves européennes étant remplies au maximum et l’hiver doux permettant de ne pas les vider. De plus, la consommation a baissé de 20%. Sans oublier que les gouvernements européens ont mis 700 milliards sur la table pour soutenir les ménages et les entreprises.
Que retenir de mon modeste propos? Je ne dis pas que tout va bien mais l’idée est de montrer que l’économie ne peut pas se résumer à de grands titres. Non pas que la presse invente des choses qui n’existent pas (ce serait faux et injuste de le dire) mais plutôt que d’amplifier le bruit ambiant, le rôle des médias sérieux consiste à hiérarchiser l’information. Hélas, comme le fait remarquer l’excellent éditorialiste Eric Le Boucher des Echos, cette fonction d’instruction publique de la hiérarchie des événements a été abandonnée, souvent faute de moyens financiers et humains de la part de certains médias. Mais je vous rassure la presse de qualité existe encore. Vous êtes en train de la lire en ce moment.
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