Flûtes enchantées

© GETTY

Chaque année à l’approche des fêtes, nous essayons de sortir des sentiers battus pour vous permettre d’épater vos convives. Quoi de plus banal que du champagne, nous direz-vous ? D’abord, le champagne reste un produit d’exception. Ensuite, cette année, nous allons vous emmener vers le haut de gamme, les cuvées spéciales et les champagnes de terroir. Bonnes fêtes !

“J’ai enfin goûté du champagne belge, c’est vraiment bon ! “, nous disait dernièrement une connaissance. Alors oui, les bulles produites en Belgique ont atteint un merveilleux niveau de qualité. Mais non, nous ne produisons pas de champagne. Pas plus que l’Italie ou l’Espagne. Comme disent les Champenois, ” il n’est champagne que de la Champagne “. Depuis 1936 et la reconnaissance de l’AOC, ne peut porter le nom champagne qu’un effervescent produit par méthode champenoise (avec prise de mousse dans la bouteille) dans une zone d’appellation bien précise de 34.000 hectares située à cheval sur les départements de la Marne, l’Aube, l’Aisne et, pour une infime partie, la Haute-Marne et la Seine-et-Marne. En dehors de cette zone, point de champagne. Et le Comité Champagne qui regroupe toute l’interprofession viticole y veille avec férocité et promptitude.

Le champagne, le vin des rois et des couronnements, demeure un produit d’exception à réserver aux grandes occasions. La montée en puissance des cavas (singulièrement en Belgique qui en a longtemps été le premier importateur mondial) et autres proseccos et crémants lui fait-il du tort ? Il semble que non puisque qu’en 2017, le chiffre d’affaires de l’appellation a grimpé à 4,9 milliards, dopé par une exportation en forte hausse (+6,6 % à 2,8 milliards). En fait, dans le monde, le champagne ne représente que 10 % du marché des bulles en volume mais 36 % en valeur !

Flûtes enchantées
© PG

Et chez nous ? Après une année 2016 compliquée liée à la forte augmentation des accises, les expéditions de champagne vers notre pays ont connu une forte augmentation en 2017 : + 8,9 % en volume et +10,4 % en valeur. La Belgique, avec 9.074.781 bouteilles, est le cinquième importateur mondial. On n’est pas loin de la bouteille par habitant… D’autant que, bien évidemment, ce chiffre ne tient pas compte des coffres bien remplis des voitures belges qui reviennent d’une escapade en Champagne… Quant au goût, le Belge, comme le Français ou le Suisse, est très conservateur. Le rosé ne décolle pas vraiment (3,4 %). Pas plus que les cuvées spéciales (2,7 %). C’est le champagne brut classique qui accapare nos achats : 92,3 % ! Raison supplémentaire pour s’aventurer aujourd’hui sur le terrain des cuvées spéciales et parcellaires !

L’excellence au bord de la Marne

Découvert un mercredi d’automne lors d’associations culinaires avec le caviar de la vénérable maison parisienne Petrossian, le champagne Lallier, très connu dans la restauration française, débute sa conquête belge. Créée en 1906 à Aÿ, sur les bords de la Marne par René Lallier, la marque appartient depuis 2004 à Francis Tribaut. L’homme s’y connaît en champagne puisqu’il est à la fois le propriétaire et le régisseur du domaine mais aussi son maître de cave ! Et, sympathique en diable, sait également où il veut aller. ” Nous ne travaillons que deux des cépages autorisés : le pinot noir et le chardonnay. Mes cuvées contiennent très peu de sulfites car je n’en mets qu’à la vendange et plus du tout après. Enfin, pour les fermentations alcooliques, je n’utilise que notre propre levain, peu oxydant, développé à partir de levures présentes sur les chardonnays de notre plus belle parcelle : le grand cru Loridon. ”

Flûtes enchantées
© PG

L’autre particularité des champagnes Lallier est la faible proportion des vins de réserve dans les cuvées. Par exemple, ses champagnes qu’on appellera de base, le Blanc de Blancs brut Grand Cru ou le Grand Rosé Brut Grand cru (à la belle couleur rose pâle et aux notes subtiles de fraise), n’en contiennent qu’entre 8 et 12 %. Ce sont donc les vins issus de la vendange de l’année qui sont privilégiés dans les assemblages. Si l’ensemble des champagnes Lallier méritent le détour, singulièrement la série R, on avoue un très gros faible pour ses cuvées spéciales et parcellaires. Loridon, issu de la parcelle citée plus haut, est un champagne très droit, très sec et très minéral. Il a offert un contraste parfait avec le crémeux du caviar osciètre. Les Sous est un 100 % pinot noir issu d’une parcelle pentue qui permet une maturité lente. C’est tendu, droit, complexe et frais à la fois. C’est un très grand champagne vineux. Enfin, Ouvrage est le summum de la gamme. Francis Tribaud fait vieillir la cuvée selon une méthode ancestrale : avec des bouchons de liège maintenus par des agrafes. A l’arrivée, Ouvrage, avec son nez magnifique, est une belle réussite, saline, vineuse et crémeuse. La plupart des cuvées Lallier sont disponibles en Belgique auprès des Vins de Julien (www.lvdj.be – Tél.: 02 461 35 00). Les prix vont de 35 à 66 euros. Franchement, vu le niveau de qualité, c’est donné.

Les deux Bruxellois qui montent

L’un travaille dans une grande banque, l’autre est au service d’une commune bruxelloise. Il y a quelques années, ils n’y connaissaient rien au champagne, en dehors d’être de grands amateurs de vin. Une visite chez Pierre Mignon (à Le Breuil dans la Marne), qui venait de perdre son distributeur belge, va changer leur vie. De longs mois plus tard, voici Thomas Colart et Benjamin Duplouy à la tête d’une intéressante petite société d’exportation de champagnes de terroir appelée C. de Champagne (www.c-de-c.be – Tél.: 0472 35 34 04). Pas de grande marque mais de grands champagnes issus de petits domaines peu voire pas du tout connus du public belge. Dynamiques, les deux amis d’enfance ont fait récemment découvrir leur gamme à l’occasion d’un pairing particulièrement osé (mais réussi) avec les délicieux fromages fermiers de Saint-Octave. Ils ont aussi réussi à imposer leurs cuvées à l’Air du Temps (et dans les trois restaurants San) de Sang-Hoon Degeimbre ou encore au Comme Chez Soi de Lionel Rigolet. Thomas et Benjamin proposent aux particuliers comme aux entreprises les champagnes issus de 12 domaines. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses. On a beaucoup aimé le Brut Prestige de Pierre Mignon. A 28 euros, voilà un brut sans année complexe qui vaut tous les champagnes de marque du monde ! Le champagne Bolieu est la nouvelle marque issue de la réunion des domaines Baffard, Ortillon et Beaulieu. Le domaine est situé sur les célèbres Côteaux vitryats autour de Vitry-le-François. Très crayeux, le terroir donne au chardonnay des notes exotiques très recherchées. Nous avouons un gros faible pour Fleur de Craie, un 100 % chardonnay dont une petite partie (entre 10 et 15 %) est élevée en fûts de chêne. Un beau champagne vineux avec des notes d’épices et d’agrumes et une bouche beurrée et crémeuse. A 30 euros, voilà une belle bouteille pour les fêtes. Citons encore dans la gamme la cuvée Jean-Baptiste de Perceval-Farge (45 euros) et l’excellent Aspasie millésimé 2010. Ce dernier est un champagne de gastronomie aux arômes de noix et de noisettes et une bouche minérale avec des notes de pomme et de pêche. A 34,50 euros, c’est une affaire !

Flûtes enchantées
© PG

La ” solera ” de Philipponnat

Assez curieusement, voici une grande marque de champagne qui reste largement méconnue s’il faut en juger les réactions d’étonnement recueillies ces derniers temps. Pourtant, on trouve la trace de la famille Philipponnat à Aÿ dès 1522 ! Cette maison est particulière à deux niveaux. D’une part, elle possède une incroyable parcelle d’un seul tenant de 4,5 hectares appelée le Clos des Goisses. Goisse, en vieux français, désigne un côteau très pentu. Et c’est exactement le cas de cette parcelle située plein sud qui n’a pas une seconde d’ombre tout au long d’une journée ensoleillée… D’autre part, pour ses assemblages, Philipponnat pratique depuis toujours l’art de la ” solera “. Pour simplifier, les vins de réserve (ceux de l’année qu’on n’utilise pas immédiatement) sont conservés dans des fûts de chêne. Ils sont introduits dans l’assemblage du champagne non millésimé suivant dans une proportion d’un quart à un tiers. Ce même assemblage est conservé comme vin de réserve de l’assemblage suivant. Et ainsi de suite… Donc, si vous avez bien suivi, il y a dans chaque bouteille trace de tous les millésimes assemblés depuis le début.

Toute la gamme est à découvrir chez Vins Pirard (www.vinspirard.be – Tél. 067 77 31 01). On adore le 1522 millésimé 2008 (75,95 euros). Son nom rappelle évidemment l’arrivée de la famille en Champagne. 2008 est une excellente année, notamment en raison d’une arrière-saison bien ensoleillée. A l’arrivée, cette cuvée qui fait la part belle au pinot noir est juste magique. Avec un mélange tant au nez qu’en bouche de notes bien beurrées rappelant la brioche ou les pâtisseries mais aussi la pêche et les fruits secs (noisettes et amandes). Quant au Clos des Goisses 2009 (157 euros), une cuvée systématiquement millésimée depuis 30 ans, il est magnifique. Un vrai champagne de gastronomie qu’on réservera à table pour le gibier à plumes, le caviar et un beau plateau de fromages.

Flûtes enchantées
© PG

La cuvée de Lily

En 1941, à la mort de son mari Jacques Bollinger, Elisabeth Law de Lauriston prend en main les destinées du champagne du même nom. Lily Bollinger, comme on l’appellera par après, va donner à la maison ses marques de noblesse et la reconnaissance qu’elle a aujourd’hui. En 1963, elle lance une nouveauté dans le monde du champagne : une cuvée dont on spécifie la date de dégorgement. Ce dégorgement est une étape cruciale dans la production du champagne : il consiste, avant de définitivement bouchonner, à expulser le dépôt qui s’est formé dans la bouteille pendant l’élevage et le remuage. Soit manuellement et on parle alors de dégorgement à la volée en remontant rapidement une bouteille inclinée vers le bas. Soit mécaniquement en congelant à -25 °C le col de la bouteille. Une fois relevée, on la débouche et la pression interne va faire sauter les dépôts congelés.

En 1963, Bollinger a donc mis sur le marché son premier RD (pour Récemment Dégorgé). Il était millésimé 1952. Cinquante-cinq ans plus tard, la maison vient de sortir son RD 2004. L’avantage d’une cuvée récemment dégorgée réside dans la fraîcheur et l’intensité qu’elle donne au champagne. En l’occurrence, cette année, un champagne qui a passé 13 années en cave ! Installée aussi à Aÿ, la maison Bollinger est réputée pour la qualité de ses pinots noirs (largement majoritaires dans les cuvées) et pour ses champagnes puissants et fins à la fois. Le RD 2004, très faiblement dosé, ne fait pas exception à la règle. Avec sa couleur or, son nez de marmelade d’orange et de compote et une bouche confite aux épices douces comme la cannelle. Inutile de préciser que ce très grand champagne mérite qu’on le serve à table. Nous l’avons testé, avec grand bonheur, tant sur une poularde de Bresse avec une sauce à la truffe que sur un fromage de caractère comme le munster. Le RD 2004 est disponible chez Rob (www. rob-brussels.be – Tél.: 02 771 20 60) au prix de 249 euros (225 à partir du 3 décembre dans le cadre des promotions de fin d’année) et chez Mig’s (migsworldwines.be – Tél.: 02 534 77 03).

Flûtes enchantées
© PG

Enfin, on ne saurait trop vous conseiller de vous ruer sur les dernières bouteilles d’une autre petite merveille de chez Bollinger : le rosé millésimé 2006. Une cuvée atypique qui nous réconcilie avec le champagne rosé : subtile, pas chargée en fruits rouges, au nez délicat de café et de tabac et une bouche longue et élégante où dominent les agrumes. On en trouve encore quelques exemplaires (avec une élégante boîte en métal) chez Rob (89 euros, 80 à partir du 3 décembre) et chez Wine & More (www.wineandmore.be – 081/35 43 69).

Le luxe selon LVMH

Evoquer les champagnes haut de gamme sans parler de Dom Pérignon serait un crime. Tout comme est un crime de lèse-majesté de penser que dom Pierre Pérignon, moine bénédictin, gestionnaire de l’abbaye de Hautvillers, à côté d’Epernay, a inventé le champagne. Comme l’a écrit, en 2016, Jean-Luc Barbier, un ancien directeur général du puissant Comité Champagne : ” Dom Pérignon inventeur de l’effervescence, ce n’est qu’une légende “.

Ceci n’enlève évidemment rien à la qualité des cuvées de la maison Dom Pérignon, propriété de LVMH, comme Yquem, Cheval Blanc (en partie), Moët & Chandon ou encore Ruinart. La marque, qui a fait appel récemment au génie créatif du chanteur Lenny Kravitz, vient de sortir le deuxième millésime de son P2. P pour plénitude, un moment de perfection subtile, selon Dom Pérignon. En fait, il s’agit de mettre sur le marché des vieux millésimes à d’autres moments de dégustation optimale. P2, c’est 16 ans d’élaboration. Il existe aussi une version P3 qui propose des cuvées de 25 à 40 ans d’âge. Elles ne sont réservées qu’à un public averti et trié sur le volet… Inutile de préciser que le P2 millésime 2000 est un gigantesque champagne. Bien dans la lignée de cette grande maison qui ne produit que des bouteilles millésimées. Et si une année, les vins ne conviennent pas pour déclarer le millésime, les meilleures pièces de la récolte partent chez… Moet & Chandon ! Testée sur le caviar issu de la maison belge Pearls of Persia, la salinité du P2 y a fait merveille. Plus vin que vraiment champagne avec ses bulles très fines, le millésime 2000 présente un nez et une bouche délicatement briochés. Avec des notes de réglisse et d’anis. Il ne se découvre pleinement qu’après plusieurs gorgées tant sa bouche est riche et complexe. Ce champagne d’exception est disponible chez Rob, chez Marius Corner (www.mariuscorner.be – Tél. 02 772 13 39 et 081 83 37 96) et au Comptoir des Vins de Waterloo (Tél. 02 354 31 35) pour des prix qui varient entre 375 et 410 euros.

Enfin, toujours dans la galaxie LVMH, il est impossible de parler de champagnes de classe sans évoquer Ruinart. Plus vieille maison de champagne créée en 1729, elle est réputée pour la finesse de ses chardonnays issus de la Montagne de Reims et de la Côte des Blancs. Cuvée emblématique de la maison, le Dom Ruinart, qui rappelle dom Thierry Ruinart, lui aussi moine bénédictin, à l’origine de la maison, est composé à 100 % de chardonnay, tous des grands crus. La version 2006 est merveilleuse de finesse et de subtilité avec des notes florales très présentes et un caractère toasté, marque de fabrique de la maison. Il est disponible, entre autres, chez Marius Corner au prix de 175 euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content