En pleine tempête

LES DIRIGEANTS EUROPÉENS vont découvrir que s'il est facile d'emprunter de l'argent, il est beaucoup plus difficile de se mettre d'acord sur la meilleure manière de le dépenser. © GETTY IMAGES

Une année difficile se profile: les dirigeants européens vont devoir s’entendre sur la politique intérieure, et adopter une attitude cohérente sur la scène internationale.

Des frictions en interne, des soucis à l’extérieur des frontières, sans parler des adieux qui s’éternisent… En 2021, l’Union européenne aura du pain sur la planche. Un effort colossal a été consenti pour accepter de débloquer pour la première fois 750 milliards d’euros au plus fort de la crise sanitaire, afin d’amoindrir la crise financière. En 2021, les dirigeants européens vont découvrir que, s’il est facile d’emprunter de l’argent, il est beaucoup plus difficile de se mettre d’accord sur la meilleure façon de le dépenser.

Les pays dits ” frugaux “, comme les Pays-Bas, surveilleront de près ce que les gouvernements vont faire avec cet argent ; les responsables politiques espagnols et italiens n’apprécieront pas que d’autres pays de l’UE s’immiscent dans leurs budgets. Ils devront cependant s’y habituer. En temps normal, de tels débats sont du ressort des Etats. En 2021, ils commenceront à se dérouler au niveau européen.

Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, n’aura guère intérêt à prendre des gants avec ses voisins du Sud. Les Pays-Bas sont en effet appelés aux urnes au printemps – la première de deux importantes élections européennes en 2021 – et Rutte ne ménagera pas les gouvernements du Sud pour ne pas perdre ses électeurs de la droite eurosceptique. Mais le Premier ministre néerlandais, conservateur libéral, devra également repousser les partis europhiles qui le menacent sur sa gauche. Rutte a trouvé la parade: attendez-vous à ce qu’il se joigne à ses rivaux de gauche et critique sévèrement la Pologne et la Hongrie, qui prennent trop de liberté avec les impératifs démocratiques. Pour les Néerlandais, un Hongrois qui muselle la presse est tout aussi dangereux qu’un Italien dispendieux.

Postulat simple mais pas garanti

Les inquiétudes sur le maintien de l’Etat de droit vont peser sur l’Union européenne en 2021. La situation s’aggravera à mesure que des pays comme la Bulgarie, Chypre et Malte, où les soupçons de corruption, de falsification de passeports et de censure de la presse s’accumulent, viendront rejoindre la Pologne et la Hongrie sur le banc des mauvais élèves de l’UE. Le marché unique repose sur un postulat simple: chaque pays doit disposer d’hommes et de femmes politiques incorruptibles, d’une presse libre et d’un système juridique équitable, mais ce postulat ne peut être garanti. Les dirigeants européens risquent de manquer de patience.

Mais le volontarisme leur fera également défaut. Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, dame le pion à ses adversaires libéraux depuis plus de 10 ans, protégé en partie par son appartenance au Parti populaire européen, l’influent groupe de centre droit de la classe politique européenne. Les dirigeants politiques invertébrés de centre droit n’ont pas fait grand-chose pour le freiner. La série de victoires d’Orbán ne s’arrêtera pas là, au grand dam de ses collègues.

De nombreux dirigeants préfèrent faire l’autruche parce qu’ils pensent que l’UE a des problèmes plus importants, ce qui n’est guère rassurant. En matière de politique étrangère, ils n’ont certes pas tort. Le bloc européen est cerné d’instabilités, de l’Afrique du Nord à la Russie. Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan menaceront les frontières de l’Union, sans que celle-ci ne réagisse. Concevoir une politique étrangère commune et cohérente concernant les voisins de l’UE sera un cauchemar. Les intérêts divergent trop à l’égard de pays comme la Russie et la Turquie, qui sont des amis utiles pour certains Etats membres alors qu’ils représentent un vrai danger pour d’autres.

Cavalier seul

L’UE présentera un front uni sur des questions plus éloignées géographiquement. Il est plus facile, sans que ce soit un jeu d’enfant, d’élaborer une politique commune à l’égard de la Chine qu’à l’égard de la Russie. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche était venue rappeler à point nommé que les intérêts américains et européens n’allaient pas toujours dans le même sens. Les puissances européennes (poussées notamment par Emmanuel Macron) ont appris, certes un peu tard, que l’UE devait parfois faire cavalier seul.

La souveraineté européenne, c’est-à-dire sa capacité à ne pas se faire dicter sa conduite par des puissances hégémoniques, sera le mot d’ordre de l’UE en 2021. Le président Joe Biden ne fera pas grand-chose pour freiner cette évolution inexorable. Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, a déclaré qu’elle dirigerait une ” Commission géo- politique “. C’est dans les relations de l’UE avec d’autres grandes puissances que cette idée se concrétisera. L’Union européenne continuera de se méfier d’une dépendance excessive à l’égard des Etats-Unis. Elle est déterminée à ne pas se laisser entraîner dans un conflit entre la Chine et l’Amérique.

L’Union a longtemps tenu sa place de grande puissance grâce au commerce. En 2021, sa (piètre) capacité militaire fera l’objet d’une plus intense réflexion. Après tout, le Royaume-Uni, qui était le principal obstacle, mais non le seul, à une défense européenne commune, ne fait plus partie de l’UE.

Vide sidéral

En 2021, les choses sérieuses commenceront pour le Brexit. Après quatre ans de débats, ses effets se feront ressentir. Les hommes d’affaires savent depuis longtemps que leur vie va changer, mais le réveil sera plus brutal pour les citoyens britanniques. Des conséquences apparemment insignifiantes de la sortie du pays de l’UE feront les gros titres. Les passeports pour animaux de compagnie et le spectacle potentiel des douaniers français mettant à la fourrière des chiens britanniques domineront davantage le débat que les questions économiques. Les partisans du Brexit ont longtemps fait l’erreur de ne pas prendre au sérieux l’Union européenne, et ses opposants ont toujours pensé qu’elle était bien disposée à leur égard. Les deux camps risquent fort de tomber de haut.

D’autres départs laisseront un vide sidéral. Angela Merkel fera ses adieux à la scène européenne lorsqu’elle quittera ses fonctions après les élections allemandes, à l’automne. Angela Merkel était la constante copernicienne du système européen: la vie politique européenne tournait autour d’elle. Même si l’Allemagne n’obtenait pas toujours ce qu’elle voulait, elle réussissait presque toujours à ne rien se laisser imposer. Son départ va laisser un grand vide. Qui va pouvoir le combler? La réponse à cette question sera, pour l’Europe, l’élément déterminant de 2021.

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