Emmanuel Macron, le président des ruptures

© BELGA IMAGE

Inconnu il y a trois ans, doté de culot et de détermination, le nouveau chef d’Etat vient de réaliser un incroyable exploit politique. Mais, dans une France fracturée, les qualités requises pour conquérir le pouvoir ne suffisent pas à l’exercer. Emmanuel Macron a le goût du secret, du contrôle et décide souvent seul. De quoi douter de sa promesse : ” Je ne veux pas gouverner, je veux présider “.

“L’état de grâce, il faudra le conquérir. ” En lâchant ces mots, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle, l’économiste Marc Ferracci, ami de longue date d’Emmanuel Macron, très impliqué dans sa campagne, résume l’avis dominant dans l’entourage du nouveau président de la République. Elu ce dimanche face à Marine Le Pen, il doit encore affronter des élections législatives incertaines. Porté par les Français diplômés, aisés et optimistes, il entre à l’Elysée grâce au barrage républicain de beaucoup d’autres. Satisfaire les premiers sans négliger les seconds est désormais son défi. ” Félicitations, le plus dur commence “, lui a écrit le patron monde d’Accenture Pierre Nanterme, au soir du premier tour.

S’en sortira-t-il avec autant de maestria qu’il a accompli sa conquête de l’Elysée ? C’est un fait, Emmanuel Macron a réalisé un exploit politique. Inconnu il y a encore trois ans, il devient, à 39 ans, le plus jeune président de la Ve République. Libéral assumé, il s’impose dans un pays qui, traditionnellement, ne se vit pas comme tel. ” Il faut être ‘disruptif’ “, répétait-il à ses troupes au début de l’aventure. Et ” disruptif ” il l’a été, au sens où, dans la nouvelle économie, on parle d’une innovation en rupture avec les schémas anciens.

Bien sûr, il a eu de la chance. Mais pas seulement. Deux scènes résument le culot et la détermination qu’il lui a fallu pour se lancer. La première nous a été racontée, en novembre 2016, par Henry Hermand, quelques mois avant son décès. Ce financier de la deuxième gauche couvait la jeune pousse prometteuse depuis des années lorsqu’il fut informé de son ambition présidentielle. C’était il y a 19 mois, presque une éternité… Des réunions secrètes se tiennent à Bercy à l’automne 2015. A la fin de l’une d’entre elles, Henry Hermand prend le ministre à part : ” Et si François Hollande maintient sa candidature ? ” Réponse ferme d’Emmanuel Macron : ” Je ne ferai pas Conflans-Saint-Honorine “. Déjà il croit en sa chance, déjà il assure qu’une fois lancé, il ne se retirera pas, contrairement à Michel Rocard qui s’était effacé devant François Mitterrand en 1981.

Un an plus tard, le 30 août 2016, le ministre annonce au chef de l’Etat sa démission du gouvernement. ” Tu ne gagneras pas “, lui dit froidement François Hollande dans le huis clos de l’Elysée. ” Tout est possible “, réplique Emmanuel Macron. Et tout a effectivement été possible pour ce candidat qui a su prendre un risque et identifier avant d’autres les ferments de sa victoire : la déception née des quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande qui offrait un espace pour dépasser le clivage droite-gauche ; et, fort d’une dynamique, qu’il pourrait décourager le président sortant de se représenter.

Préjugé favorable au-delà des frontières françaises

” Il y a un point commun “, note Brice Hortefeux, entre Emmanuel Macron et le Nicolas Sarkozy de 2007 : ” L’un et l’autre ont su incarner une forme de rupture alors qu’ils appartenaient à la majorité sortante “. Et pourtant, Emmanuel Macron a, somme toute, moins souffert de l’image du traître que Manuel Valls. Cela témoigne d’une capacité à dévier les tirs, toujours utile pour un dirigeant politique. ” L’important, ce n’est pas César et Brutus, l’important, c’est la France “, rétorquait à l’automne le député Richard Ferrand, secrétaire général d’En marche.

A l’étranger, on applaudit. L’élection d’Emmanuel Macron a été soutenue à la fois par le très orthodoxe ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble (avant le premier tour) et par son ennemi juré le Grec Yánis Varoufákis (entre les deux tours) puis, cerise sur le gâteau, par Barack Obama. On peut se dire qu’ils voulaient d’abord faire barrage à l’extrême droite, et c’est vrai. Mais cela prouve que le sort de la France intéresse et que le nouveau chef de l’Etat jouit d’un préjugé favorable au-delà des frontières nationales.

” C’est un jeune président qui veut réconcilier la France avec la mondialisation : il va devenir un phénomène planétaire, donc c’est bon pour notre pays “, assure le PDG d’Euronext Stéphane Boujnah qui le côtoie depuis la commission Attali de 2007. Rencontré dans le même cénacle, Pierre Nanterme explicite : ” L’élection de Macron est le signe que la France peut renouer avec le dynamisme, l’espoir et la modernité. Les investisseurs internationaux peuvent être motivés par son programme, fiscalement favorable et par son équation personnelle. ”

” De plus en plus seul ”

” En une année, nous avons changé le visage de la vie politique française “, a triomphé Emmanuel Macron au soir du 23 avril. Un peu trop, un peu trop tôt. ” Il ne faut pas qu’il soit arrogant, c’est son point faible “, lâche alors un de ses soutiens. Ils ont été plusieurs ce soir-là, politiques et non politiques, à tenter de le dissuader d’inviter ses équipes et des people à la Rotonde, une brasserie parisienne dans laquelle le candidat a ses habitudes. Par SMS souvent, de visu aussi.

Au sixième étage du QG de campagne, devant une quinzaine de personnes, c’est son attachée de presse Sibeth Ndiaye qui a osé. En vain. ” Ce n’est pas le Fouquet’s, je vais juste dîner dans une brasserie “, a répondu le candidat. L’image a quand même eu un effet désastreux. Et la réaction d’Emmanuel Macron, pris en faute, n’a rien arrangé : ” Ce ne sera pas le diktat d’une bien-pensance triste qui me dira où je dois aller. ” Il n’aime pas qu’on lui fasse la leçon, c’est un fait. Il le supporte d’ailleurs de moins en moins. ” C’est une évolution “, glisse un proche.

Anecdotique ? Certainement pas. En accédant au pouvoir, les possibilités d’erreurs se multiplient et le nombre de personnes qui osent contrarier le chef se raréfie. Deux membres de sa garde rapprochée savent, selon leurs pairs, se faire entendre : Ismaël Emélien, le conseiller en stratégie, et Richard Ferrand. Mais l’Elysée isole. Et déjà, Emmanuel Macron a confessé à Laurent Delahousse sur France 2 : ” Je suis frappé de voir qu’à mesure qu’on avance sur ce chemin, on est de plus en plus seul “. Aïe !

” Parler aux oubliés ”

Les qualités requises pour conquérir le pouvoir ne suffisent pas pour l’exercer. Le carnet d’adresses international est sans conteste un plus dans un contexte tendu. La capacité à convaincre ses interlocuteurs est aussi un acquis chez un dirigeant qui a passé sa vie à se constituer un réseau d’alliés. Avec toujours le même talent décrit par un ancien membre de la commission Attali : ” Il vous regardait dans les yeux comme si sa vie entière s’était écoulée dans le seul objectif de permettre cette conversation avec vous “. Sauf que dans une France fracturée et en colère, l’humilité est aussi nécessaire que l’audace et l’entregent.

En passant plus d’une heure à discuter à bâtons rompus avec les ouvriers de Whirlpool, il a montré qu’il n’avait ” pas peur d’aller au contact ” et savait éviter les fausses promesses, mais il n’a pas pour autant convaincu ces salariés échaudés. ” Tu dois parler aux oubliés “, lui a plusieurs fois dit le communicant Robert Zarader, avec qui il échange de temps en temps.

Un CV peut coller à la peau. En septembre dernier, François Bayrou fustigeait le candidat ” des forces de l’argent “. Désormais, il est catégorique : ” Emmanuel Macron n’est pas manipulé et pas manipulable “. Le président du Modem a toutes les raisons d’être satisfait. Il est l’un des rares politiques, avec le socialiste Jean-Yves Le Drian, à qui Emmanuel Macron a réservé un traitement spécial, en acceptant de le traiter en ” allié “. Ces égards ne doivent rien à la sensiblerie. En se rangeant sous sa bannière, le président du Modem a permis au leader d’En marche (devenu La République en marche) de franchir le cap des 20 % d’intentions de vote. Et pourtant, comme bien d’autres avant lui, François Bayrou a été bluffé. ” C’est un homme libre et j’ai un goût immodéré pour les esprits libres. ” Sacro-sainte liberté, brandie en étendard par Emmanuel Macron lorsqu’il quitta son poste de secrétaire général adjoint de l’Elysée en juillet 2014 : ” Le truc que je déteste le plus, c’est la prison dans laquelle je suis “, avait-il dit à François Hollande. Sacro-sainte liberté, qui, assure Jean Pisani-Ferry, est le gage d’une ” grande ouverture d’esprit “. ” Comme homme d’idées, il a une absence totale de préjugés : ce qui compte pour lui, c’est l’efficacité. C’est extrêmement important car ce n’est pas quelqu’un qui laissera tout faire aux technos. ”

Une volonté de tout contrôler

” Laisser tout faire aux autres ” est une tendance qu’aucun de ceux qui ont travaillé avec lui ne prête à Emmanuel Macron. La raison pour laquelle sa promesse maintes fois répétée – ” Je ne veux pas gouverner, je veux présider ” – suscite un franc scepticisme. ” C’est l’inverse de sa personnalité. Et puis, on ne délègue pas la révolution “, rit Gaspard Gantzer, le responsable de la communication à l’Elysée qui fut son camarade de promo à l’ENA.

Tout au long de la campagne, les confidences de son équipe sur le degré de détails requis par le candidat pour décider, sa volonté de tout contrôler ont été légion. Pour éprouver une mesure avant de l’inclure dans son programme ou pour choisir les candidats de La République en marche aux législatives (c’est lui qui a validé les 14 premiers), les seuls dévoilés jusqu’à présent. ” Je vous le confirme, Emmanuel Macron n’est pas Ronald Reagan qui se contente de dire : voilà le cap. Il s’assure dans le détail que le truc est bien conçu. C’est un élément de sécurisation pour lui “, reconnaît Jean Pisani-Ferry. Le porte-parole Christophe Castaner cherche une synthèse entre la promesse du candidat et son tempérament : ” Il sait déléguer, mais il veut contrôler. C’est une délégation de fonction, pas de pouvoir “.

” L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle ”

Souvent, les membres de l’équipe Macron préfèrent ne pas être cités du tout. Seuls quelques-uns sont habilités à parler aux médias et leur patron chérit le secret. ” Macron se méfie des gens qui parlent “, confirme François Bayrou. De ce point de vue, la présidence Hollande sert de contre-exemple. Sur la façon de décider, en revanche, il y a quelques similitudes entre le nouveau président et son prédécesseur. Richard Ferrand raconte : ” Sur le moment, Emmanuel Macron ne donne jamais tort ou raison à personne. Vous vous apercevez, en apprenant la décision, à qui il a donné tort ou raison “. Avec ses équipes, l’exigence est très élevée et la capacité d’adaptation doit être totale. Vendredi 28 avril à 17 heures, il n’avait pas encore tranché s’il tenait son meeting à Paris le 1er mai. Tout a été organisé en moins de trois jours. Le sénateur François Patriat explique : ” Son autorité s’impose à nous car il a une vision et qu’il a toujours réussi “. Jusqu’à présent.

Dans la perspective des législatives, Emmanuel Macron refuse toute négociation avec le PS ou LR, décidé à ” rompre jusqu’au bout avec le système “. C’est prendre à nouveau un gros risque mais c’est conforme à sa promesse de renouvellement. Pour la gestion du pays, il n’a pas non plus l’intention d’amender son programme quelle que soit la part du vote de barrage (et non d’adhésion) qui l’a portée au pouvoir. ” Notre démocratie meurt de l’absence de cohérence “, a-t-il déclaré sur RTL. Soit. Mais au pouvoir, la raideur peut conduire au désaveu.

Et vient une question à laquelle Emmanuel Macron ne peut pas encore répondre. Comment, lui, qui a croisé toute sa vie des gens fascinés par son brio, affrontera-t-il les premiers signes de l’impopularité ? Puisqu’il aime la littérature, peut-être songera-t-il à cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry : ” L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle “.

Elsa Freyssenet / Les échos (8 mai 2017)

” En une année, nous avons changé le visage de la vie politique française. ” – Emmanuel Macron

” Laisser tout faire aux autres ” est une tendance qu’aucun de ceux qui ont travaillé avec lui ne prête à Emmanuel Macron.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content