Je voudrais revenir sur les deux derniers coups de gueule d’Elon Musk, le fondateur de Tesla et de SpaceX. Motif? Ils éclairent bien l’actualité économique récente. D’abord, il a osé dire que “tous les trucs de covid à la maison ont amené les gens à penser qu’ils n’ont pas vraiment besoin de travailler dur. Le réveil sera rude”. A l’évidence, Elon Musk dénonce le télétravail. D’ailleurs, dans un e-mail au vitriol envoyé à ses collaborateurs, le patron de Tesla leur demande de passer un minimum de 40 heures au bureau par semaine. Et s’ils ne se présentent pas physiquement au bureau, il considérera que ces collaborateurs ont en réalité démissionné! Pour Elon Musk, l’objectif de Tesla est “de créer les produits les plus excitants de toutes les entreprises sur terre, et ça ne se fera pas au téléphone”.
On peut être un génie des affaires et avoir une mémoire de poisson rouge.
Le CEO a justifié ses critiques au bazooka en prétextant de l’égalité de temps de travail avec les ouvriers de ses usines qui, eux, sont nécessairement obligés de se rendre sur place. Les ennemis d’Elon Musk ont beau jeu de rappeler que Tesla a décidé d’implanter sa dernière méga-usine de batteries en Allemagne. Avec une question perfide à la clé: comment va-t-il réagir vu que l’Allemagne a le taux de télétravail moyen le plus élevé d’Europe, soit 1,8 jour par semaine. Question subsidiaire: comment dit-on “bonne chance” en allemand?
Le deuxième coup de gueule d’Elon Musk est encore plus étonnant. Alors que les nuages d’une éventuelle récession planent sur les Etats-Unis, son pays d’adoption, ce natif d’Afrique du Sud n’a rien trouvé de mieux à dire que: “C’est en fait une bonne chose. Il pleut de l’argent sur les imbéciles depuis trop longtemps. Certaines faillites doivent avoir lieu”. Gloup! On savait que le CEO ne votait pas pour Jean-Luc Mélenchon, mais de là à souhaiter une récession?
Petit mot d’explication sur ce tweet hallucinant. Son propos, pour choquant qu’il soit, n’est pas isolé: certains économistes estiment qu’une récession courte serait la meilleure manière de faire baisser l’inflation et donc de redonner du pouvoir d’achat aux ménages. Joe Biden ne fait-il d’ailleurs pas la même chose, plaçant sa lutte contre l’inflation au premier plan, au risque de faire sombrer son pays dans la récession?
Le propos d’Elon Musk est brutal, ne serait-ce qu’à l’égard des nombreuses entreprises qui resteront effectivement sur le carreau. Mais en réalité, le fantasque patron de Tesla souhaite surtout l’élimination des entreprises “zombies”, comme on les appelle. Estimées à 36.000 en Belgique, ces sociétés n’ont pu survivre que grâce aux taux d’intérêt très bas mis en place par les banques centrales. Une politique monétaire laxiste qui devait justement nous éviter la récession…
En bon darwinien, Elon Musk estime que ces entreprises assurent une concurrence déloyale aux entreprises saines. Avec la récession, donc, ce sera “bon débarras”. Le seul souci, c’est que notre milliardaire libertarien n’est pas irréprochable. Il oublie que sa propre entreprise, Tesla, doit en partie sa valorisation boursière stratosphérique aux faibles taux d’intérêt. Elon Musk oublie également de dire que Tesla tire la majeure partie de ses revenus non pas de la vente de ses voitures électriques mais de la revente de ses crédits carbone aux autres constructeurs automobiles.
Autrement dit, le CEO devrait être plus modeste et faire attention à ses propos. Après tout, Tesla n’a été rentable qu’en 2020. Mais bon, on peut être un génie des affaires et avoir une mémoire de poisson rouge. D’ailleurs, comme le disait Ingrid Bergman, “le bonheur, c’est une bonne santé et une mauvaise mémoire”.