Dior sous toutes les coutures

L'exposition "Christian Dior, couturier du rêve" célèbre les 70 ans de la célèbre maison de couture. © LUC BOEGLY

Fleuron du groupe LVMH et incarnation du chic parisien en pleine prospérité, la maison fondée par Christian Dior en 1947 fait l’objet d’une fastueuse rétrospective au Musée des arts décoratifs, à Paris. Tenue correcte exigée.

Alors que LVMH doit acquérir courant du semestre 100 % du holding Christian Dior SA pour 6,5 milliards d’euros (le groupe de Bernard Arnault en contrôlait jusqu’à présent 74%), la maison de haute couture fête en grande pompe ses 70 d’existence avec une exposition majeure au Musée des arts décoratifs, à Paris.

En réunissant plusieurs centaines de créations, assemblées dans les ateliers de couture comme des oeuvres d’art, mais aussi des images d’archives, des croquis de travail, des tableaux ou des clichés signés par les plus grands photographes de mode (Bert Stern, David LaChapelle, Juergen Teller, etc.), ” Christian Dior, couturier du rêve ” retrace avec faste la saga d’une histoire très française née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Synonyme de raffinement et de prestige, le style du légendaire couturier parisien ne pouvait s’accommoder d’un simple coup d’oeil dans le rétroviseur.

Dans Dior, il y a Dieu et il y a Or, rappelait avec emphase Jean Cocteau. Tout a été mis en oeuvre dans ce somptueux espace de la rue de Rivoli, bâti en 1905 dans une aile du palais du Louvre, pour honorer à la fois le styliste de légende, mort prématurément en 1957. Sans oublier l’apport des directeurs artistiques – et de la première directrice artistique, Maria Grazia Chiuri, depuis 2016 – qui lui ont succédé et le rayonnement d’une marque qui continue à briller dans le monde avec ses défilés événements, ses 198 magasins de prêt-à-porter, sa gamme de parfums et ses accessoires chics. La rétrospective n’a pas pour vocation de retracer la conquête des parts de marché. La réussite commerciale aurait pourtant constitué un intéressant chapitre. Ces cinq dernières années, les ventes ont été multipliées par deux pour un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards d’euros. De quoi doper l’action Dior qui cote actuellement à ses plus hauts historiques.

La séduction à l’heure du rationnement

Le succès a toujours été au rendez-vous. Dès la présentation de sa première collection le 12 février 1947 dans les salons de l’hôtel particulier qui lui sert de quartier général, au 30, avenue Montaigne, Christian Dior est intronisé dans la cour des grands. La rédactrice en chef de Harper’s Bazaar, dont l’avis peut faire ou défaire une carrière, vante instantanément la sensualité des coupes – la fameuse ligne corolle – et invente l’expression new look. La formule fera date.

A l’époque, les femmes s’habillent encore de jupes droites et de vestes carrées. Christian Dior prend le contrepied. Sous ses allures de ministre de la 4e République à la silhouette replète et au front dégarni, se dissimule un frondeur qui rue dans le dressing. Avec lui, les jupes deviennent amples, les tailles cintrées, la courbure des hanches exacerbée. Une révolution. Après les années d’austérité et de privation, c’est un retour à la séduction. Qui lui sera parfois reproché. En 1947, l’armistice a beau avoir été signée depuis deux ans, l’achat de nourriture et de textile est encore soumis au rationnement. Pour une robe utilitaire, fabriquée avec trois mètres de tissu, il faut sept tickets. Sachant que les modèles de Dior nécessitent parfois 25 mètres de drapé, s’offrir une robe Diorama représente jusqu’à deux années d’économies pour la population…

Le procès en incivilité et en opulence sera bien réel mais de courte durée. Les commandes affluent, la maison est en pleine expansion et représente rapidement la moitié des exportations de la haute couture, reléguant Balmain, Balenciaga ou Jacques Fath au second plan.

Modeste modéliste

Christian Dior est né sous une bonne étoile. Avant même son premier défilé, il reçoit le soutien financier de Marcel Boussac, puissant entrepreneur de la confection qui a fait fortune dans l’industrie cotonnière. L’homme d’affaires, qui est également à la tête de multiples sociétés immobilières, lui propose de prendre la direction de Philippe & Gaston, une maison de couture en perte de vitesse. Christian Dior, qui n’est encore qu’un modeste modéliste, décline l’offre mais convainc Boussac de lui donner les moyens de lancer une maison à son nom. Le 8 octobre 1946, la société est constituée. ” La première saison fut brillante au-delà de tous mes souhaits, note le styliste dans ses mémoires, publiées en 1956. C’est la première fois que j’affrontais les journalistes et les acheteurs professionnels. Chez Piguet ou chez Lelong, où je n’étais que modéliste, je disparaissais, une fois mes robes créées. Ma tâche était alors terminée et je me hâtais de retrouver le calme de la campagne après le brouhaha de la collection. Maintenant c’était autre chose. Il me fallait profiter d’un départ fulgurant aux conséquences envahissantes. ”

Le dernier-né des couturiers comme il se définit, n’est pas un jeune premier. Il a 42 ans au moment de se lancer dans l’aventure. Avant de manier l’aiguille, ce fils de notables normands qui s’est essayé brièvement aux études supérieures a été marchand d’art entre 1928 et 1935. A 23 ans, grâce à l’appui de sa famille qui ne partage pourtant pas vraiment les ambitions du rejeton, il ouvre avec un associé une galerie de tableaux, rue La Boétie. Seule exigence de ses parents : que le nom de Dior ne figure pas sur la devanture pour ne pas entacher la réputation de la famille ! Le jeune homme a du nez et de l’audace. Il contribue a révéler le talent de nouvelles pousses comme Max Jacob, Léonor Fini ou Salvador Dali. Le jour, il tient boutique rive droite. Le soir, il fréquente en voisin Le Boeuf sur le toit, un cabaret en vue du tout-Paris, et partage la table d’Erik Satie ou de Fernand Léger. Son amour de l’art ne le quittera jamais. Dès ses débuts en tant que styliste, les motifs floraux, en écho aux toiles de Van Gogh et de Bonnard, envahiront son inspiration.

” Nos vendeuses étaient sur les dents ”

La première partie de l’accrochage parisien est consacrée à cette ” vie d’avant ” qui s’achève avec la crise de 1929 et la ruine de la famille. Pour subvenir à ses besoins, il s’initie au dessin de mode et vend ses croquis aux journaux et aux maisons de couture. Sa rencontre avec Marcel Boussac le révélera à lui-même et… au management, comme il le rappelle dans son livre de souvenirs. ” La maison ne fermait pratiquement pas (…). Aux Américains succédèrent les Anglais, puis les Italiens qui se montrèrent tout de suite d’excellents clients (…). Puis vinrent les Belges, les Suisses, les Scandinaves. Peu après, les Américains du Sud, les Australiens, et quelques saisons plus tard, les Allemands et les Japonais. Nos vendeuses étaient sur les dents .”

L’ascension a quand même de quoi donner le vertige et suscite quelques (brefs) questionnements existentiels. ” Où était la petite maison dont j’avais rêvé ? Affolé par le bruit de ma soudaine popularité, je la regrettais un peu. Mais le succès était là et nul n’y est insensible. N’est-ce pas après tout pour réussir que l’on travaille ? ”

Une marque à part entière

En moins de 10 ans, Dior devient le couturier le plus célèbre de son époque, celui qui habille les étoiles de Hollywood (Rita Hayworth, Grace Kelly, Marlène Dietrich, etc.), est nominé en 1954 aux Oscars et fait la une du Time. Dans l’ombre, Boussac oeuvre au rayonnement de son poulain devenue une marque à part entière grâce aux accords de licence et la mise sur pied, dès 1947, d’une société de parfums qui correspond au lancement du jus ” Miss Dior “.

Esthète raffiné, amateur du 18e siècle, Dior mène la grande vie. En marge de ses défilés, il organise de fastueux bals mondains à Paris ou Venise. En écho à ce goût de la démesure, de l’or et des pampilles, la grande nef du Musée a pris des airs de Versailles 3.0, baignée dans un grand bain de projection 3D comme on en voit dans les grands shows événementiels.

Le règne de Christian Dior n’aura duré en définitive que 10 ans. A sa mort, il est remplacé au pied levé par un jeune assistant nommé Yves Saint Laurent. De manière chronologique, pour mieux dessiner sans doute la touche de chaque héritier chargé de perpétuer, et en même temps de renouveler, l’esprit de la maison, les scénographes ont imaginé une suite d’espaces avec une sélection de créations qui condensent la sensibilité des différents directeurs artistiques.

Crises de trésorerie

Après le départ de Saint Laurent, jugé trop anticonformiste, Marcel Boussac désigne Marc Bohan, un ancien de Patou. Cet homme discret installe la marque sur des rails… qui finissent par être un peu trop rectilignes. En pleine période du Swinging London, la griffe doit faire face aux assauts d’une ” nouvelle ” génération, portée par Paco Rabanne et Pierre Cardin, et affronter la concurrence du prêt-à-porter. En interne, Boussac, l’homme au flair infaillible, commence à s’enrhumer sérieusement. Son groupe subit des crises de trésorerie à répétition. Une grippe passagère, minimise le patron. Le groupe finit par revendre 20 % du pôle parfums à Moët-Hennessy mais le pansement ne suffit pas à stopper l’hémorragie.

En 1978, le groupe Boussac dépose le bilan, la totalité des actifs est cédée au groupe Willot qui passera, six ans plus tard, sous le contrôle de Bernard Arnault. C’est l’heure du changement. Au terme de 27 ans de bons et loyaux services, Marc Bohan prend sa retraite. Bernard Arnault nomme à sa place l’Italien Gianfranco Ferré dont les envolées lyriques et postmodernes sont censées donner un coup de fouet. Avec le recul, c’est plutôt un coup dans l’eau. Le geste du Transalpin paraît bien académique en regard de la fantaisie débridée de John Galliano, le couturier au statut de rock star qui aura la charge d’électriser les collections à partir de 1996. L’Anglais excentrique s’en donne à coeur joie. Ses robes en peau de crocodile semblent taillées dans des pneus Michelin et son défilé Clochards (2000) fait grand bruit.

Malheureusement pour Dior, le buzz le plus retentissant de la décennie n’a pas grand rapport avec la mode. Une petite vidéo qui montre Galliano proférer dans un café des propos antisémites sous le coup de l’alcool met sa carrière entre parenthèses. Débarrassé de son génial mais encombrant trublion, LVMH opère un virage à 180 degrés en la personne du Belge Raf Simons, figure très peu médiatique, qui allie minimalisme et romantisme, sensualité et austérité, à l’exact opposé de l’exubérance un peu tapageuse de Galliano. En 2016, Simons qui a rejoint Calvin Klein en tant que directeur de la création a été remplacé par Maria Grazia Chiuri, dernière recrue en date. Fera-t-elle aussi bien que son prédécesseur ? Il est trop tôt pour le dire. Seul regret de ce vaste et impeccable panorama déployé sur quatre niveaux, le peu de place pour ne pas dire moins, accordée à la ligne homme (dirigée depuis 2007 par Kris Van Assche). Dommage. Comme quoi le plus beau des vêtements n’est pas à l’abri d’un accroc…

“Christian Dior, couturier du rêve”, au Musée des Arts décoratifs de Paris, jusqu’au 7 janvier 2018.

ANTOINE MORENO

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