Des milliards gérés en quelques clics de souris

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L’avènement des ” exchange traded funds ” (ETF) a bouleversé les marchés financiers. Ce qui était autrefois considéré comme une stratégie de placements gagnante ne l’est peut-être plus de nos jours.

Les Bourses ont une nouvelle vocation. Autrefois consacrées à la négociation des actions et à la fixation des cours, on y assiste aujourd’hui à l’échange d’un nouveau produit, différent des actions : les exchange traded funds (ETF).

” Malgré des débuts modestes, l’impact des ETF sur les transactions boursières a atteint des proportions phénoménales. Ils représentent aujourd’hui presque la moitié de toutes les transactions en actions américaines “, déclare Jack Bogle, fondateur de la société de gestion Vanguard. Et il n’y a pas qu’en matière de transactions que les ETF occupent le haut du podium. Le montant des actifs sous gestion, insignifiant il y a 20 ans, s’élève aujourd’hui à 3.000 milliards de dollars. Ils capturent les nouveaux flux financiers et sont en train de révolutionner l’épargne à long terme, autrefois dominée par les traditionnels fonds communs de placement (FCP). Selon une étude de Morningstar, les décaissements des FCP américains ont atteint 130,7 milliards de dollars sur les 12 derniers mois, tandis que les encaissements des ETF américains atteignaient 240 milliards.

Ils ont permis aux investisseurs particuliers – et même aux institutions – d’accéder à certains actifs autrefois inaccessibles comme les prêts bancaires, les valeurs des marchés émergents ou les matières premières. L’or, notamment, se négocie à présent beaucoup plus facilement, sans même avoir à prendre possession et conserver des pièces d’or. Ce sont ainsi près de 27 milliards de dollars qui s’échangent quotidiennement au travers du plus grand ETF lié à l’or.

Double avantage pour l’investisseur

Comme les fonds communs, les ETF constituent des paniers de valeurs rassemblées en un fonds. Presque tous les ETF suivent un indice, à l’instar des FCP indiciels à gestion passive. A ceci près que les FCP sont dits ” ouverts “, c’est-à-dire que les investisseurs peuvent acheter ou revendre des parts directement auprès du gestionnaire du fonds. Ces transactions ont lieu une fois par jour, au cours fixé à la clôture des marchés. Dans le cas d’un ETF, les investisseurs achètent ou revendent des parts, mais pas directement auprès du fonds. Au lieu de cela, les parts sont négociées en Bourse et les teneurs de marchés achètent, vendent et créent de nouvelles parts afin d’assurer que leur nombre évolue en fonction de la valeur du fonds.

L’avantage pour l’investisseur est double. Premièrement, il peut acheter ou vendre des parts à tout moment au cours de la journée de négociation, au dernier cours. Et ensuite, le fonds lui-même engendre moins de coûts. Sans compter qu’il existe encore un troisième avantage aux Etats-Unis : les ETF sont fiscalement plus avantageux.

Cela étant, la croissance des ETF soulève également des inquiétudes. Leur prépondérance sur les marchés est-elle susceptible d’engendrer de nouveaux risques systémiques ou de déclencher une nouvelle crise des marchés ? Comme les valeurs détenues sont souvent moins liquides que les ETF à proprement parler, il existe des risques d’inadéquation et de ventes forcées.

” Croire en leur liquidité sous-jacente, et ce peu importe les actifs en portefeuille, a toujours constitué une idée dangereuse. Vu leur poids grandissant, je ne peux qu’inviter les régulateurs à se pencher sur la question “, affirme Mark Dampier, de l’entreprise de services financiers Hargreaves Lansdown. ” Les ETF n’ont pas encore atteint cette masse critique susceptible de provoquer une crise systémique, nuance Amin Rajan, directeur de Create Research au Royaume-Uni. Ils ont cependant la capacité de créer un effet boule de neige en cas de véritable dégringolade des marchés. ” Et Amin Rajan de souligner que les ETF semblent plutôt diriger le marché, plutôt que de le répliquer.

En permettant aux investisseurs de placer des paris ciblés sur certains secteurs ou certaines classes d’actifs en un seul clic, les ETF ont aussi rendu ce type de transactions plus simple. En deux semaines, entre le 8 novembre et les vacances de Thanksgiving, environ 50 milliards de dollars ont afflué vers les ETF d’actions, tandis que les fonds à revenu fixe voyaient sortir presque autant de capitaux. Selon Mark Lapolla de Sixth Man Research à Atlanta, il s’agit de ” la modification d’allocation d’actifs la plus concentrée de l’histoire “.

Selon Mark Lapolla, ce sont près de 20 % des flux de capitaux qui ont afflué vers le secteur financier en à peine 12 jours de négociation. Deux ETF investissant uniquement dans des valeurs financières ont vu leur capitalisation boursière augmenter de 46,5 et 31 % respectivement. Ces achats ont poussé à la hausse toutes les valeurs de l’indice suivi pareillement par ces deux ETF. Cela signifie que certaines des banques les plus faibles sont désormais sous-évaluées, alors que d’autres seront surévaluées.

Sous-performances des gestionnaires actifs

L’actualité a toujours influencé le cours des actions, mais depuis l’avènement des ETF, c’est davantage le cas, à en croire Laszlo Birinyi de Birinyi Associates. ” Les flux des ETF auront pour effet de masquer les problèmes rencontrés par une grande entreprise. Les investissements des ETF dans IBM, par exemple, intéressent plus les investisseurs que les activités d’IBM en tant que telles. Voilà pourquoi les réactions sont encore plus vives lorsque les entreprises font des annonces en lien avec leurs activités. ”

Cette tendance vers des corrélations plus étroites comporte des conséquences considérables pour les gestionnaires actifs, qui vont s’efforcer de sélectionner des transactions avant de se rendre compte que leurs actions restent bon marché. Et couplé aux brusques mouvements des marchés, ce phénomène a donné lieu à un contexte dans lequel les gestionnaires actifs n’ont fait que sous-performer depuis la crise. Des mauvaises performances sanctionnées par les investisseurs, comme en témoignent les 336 milliards de dollars sortis des fonds US à gestion active au cours des 12 derniers mois.

Autre conséquence : les petites sociétés éprouvent plus de difficultés à lever des capitaux. Les investisseurs qui déplacent des fonds à travers les ETF sont plutôt enclins à investir dans les plus grandes entreprises affichant la plus grande pondération au sein de l’indice, délaissant les autres. Sur les marchés relativement illiquides et inefficients, comme certains marchés émergents, cette rapide rotation des actifs peut engendrer des problèmes. Jack Bogle (Vanguard) souligne que le taux de rotation d’une action ordinaire s’élève à 12 % chaque année, contre 880 % pour les ETF. ” Les implications de ces transactions rapides – osons parler de spéculation – doivent encore être examinées “, ajoute-t-il.

Le principal ETF des marchés émergents, géré par BlackRock, affiche un volume de transactions de 2,6 milliards de dollars chaque jour, plus que n’importe quelle action individuelle à l’exception d’Apple. En règle générale, les marchés émergents sont dominés par une poignée de grandes entreprises, partiellement aux mains de l’Etat, vers lesquelles afflue automatiquement une grande portion de l’argent des ETF en raison de leur pondération au sein de l’index. Trouver des capitaux devient ainsi bien difficile pour de plus petites entreprises qui, sans cela, sembleraient plus attrayantes.

Tout cela a mené les gestionnaires actifs à arguer que la croissance des ETF et de la gestion passive était en train de rendre les marchés moins efficients. AllianceBernstein a même publié un rapport cette année, intitulé The Silent Road to Serfdom, dans lequel on peut lire que l’investissement passif est ” pire que le marxisme “.

L’avenir leur appartient

Il en faudra plus pour impressionner les partisans des ETF. ” Affirmer que les corrélations entre les actions se renforcent lorsque l’indexation augmente en proportion des actifs est une tautologie, affirme Matt Hougan, CEO du bureau d’études Inside ETFs. Mais au fond, s’agit-il réellement d’un problème ? Ce n’est pas aux marchés boursiers que les capitaux sont affectés, mais aux IPO (entrées en Bourse, Ndlr) et aux placements secondaires. ”

Il s’attend en réaction à un accroissement de l’activité des groupes de capital-investissement, capables de dénicher les petites entreprises qui valent la peine et qui ne sont pas financées par des ETF. C’est ce qui se produit sur les marchés émergents, où les groupes de capital-investissement sont de plus en plus actifs.

La modification de la structure de propriété représente une autre source d’inquiétude. Les ETF et les FCP passifs empiètent sur les plates-bandes des FCP actifs qui constituent le fondement de l’épargne pension des Américains. Les modifications de la régulation prévues aux Etats-Unis devraient encore accélérer la tendance en poussant les courtiers à vendre des fonds moins chers, et donc des ETF et FCP passifs.

Les gestionnaires actifs jouent généralement un rôle important dans la gouvernance d’entreprise. Or, ils se plaignent que ce ne sera bientôt plus le cas en raison des ETF. Une accusation fermement démentie par le plus grand fournisseur d’ETF, arguant qu’il ne dispose pas d’autre moyen pour protéger ses intérêts que d’adopter une approche agressive en matière de gouvernance d’entreprise.

L’avenir appartient aux ETF, commente Matt Hougan, responsable du service de recherche chez Inside ETFs. Ils constituent la structure que les gens utiliseront à l’avenir pour s’exposer aux actions, reléguant les FCP aux oubliettes, à l’image des machines à écrire évincées par les ordinateurs. La technologie des ETF est plus efficace, tout simplement, et les fonds viendront donc à disparaître au cours des 20 prochaines années. ”

Etats-Unis contre Europe

Si les ETF ont conquis les Etats-Unis, ils ne suscitent pas le même engouement en Europe. Avec 529 milliards de dollars, les actifs sous gestion des ETF européens représentent moins d’un quart de ceux des ETF américains. Les gestionnaires de fonds ont hâte de voir ce fossé se combler. Plusieurs banques européennes s’emploient à établir une présence aux côtés des principaux fournisseurs d’ETF américains, mais les progrès s’annoncent lents. ” Les ETF ne sont pas aussi avantageux fiscalement en Europe qu’aux Etats-Unis “, commente Amin Rajan, directeur de Create Research au Royaume-Uni.

La législation américaine exige des FCP qu’ils paient des taxes sur les plus-values de leur portefeuille. Le client final n’a pas la liberté de choisir quand réaliser ses gains ou pertes en capital, ce qui peut constituer un gros problème pour les investisseurs fortunés. Parallèlement, les plus-values sur les ETF ne sont taxées qu’une fois les ETF vendus. Un avantage dont les ETF ne peuvent bénéficier en Europe en raison du régime fiscal différent applicable aux fonds communs.

La distribution représente un autre problème. Les Etats-Unis ont connu une croissance stable des activités de conseil rémunérées, dans le cadre desquelles le client verse une commission directement au courtier qui, lui, ne touche pas de commission de la part du groupe de fonds dont il vend les produits. Le marché de l’épargne européen est quant à lui toujours dominé par les grandes banques dont les conseillers offrent des produits assortis de lourdes commissions.

La fragmentation, aussi, constitue un problème. Le marché américain est un marché unique, vaste. A l’opposé de l’Europe, où les ETF sont distribués dans différentes devises et soumis à différentes juridictions fiscales. Les réglementations évoluent. Des pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont déjà proscrit les rétrocessions pour les activités de conseil, mais il faudra probablement attendre de longues années encore avant que les ETF n’acquièrent en Europe la même prédominance qu’aux Etats-Unis.

JOHN AUTHERS ET CHRIS NEWLANDS (FINANCIAL TIMES)

Les ETF capturent les nouveaux flux financiers et sont en train de révolutionner l’épargne à long terme, autrefois dominée par les traditionnels fonds communs de placement.

“L’impact des ETF sur les transactions boursières a atteint des proportions phénoménales. Ils représentent aujourd’hui presque la moitié de toutes les transactions en actions américaines.” – Jack Bogle, fondateur de la société de gestion Vanguard

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