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Usine Porsche à Leipzig. Les constructeurs allemands peinent à négocier la transition vers les véhicules électriques. © GETTY IMAGES

Le pays, qui n’a pas assez investi dans les secteurs porteurs de l’économie, va avoir du mal à s’adapter aux évolutions du monde.

En 2020, une partie des certitudes séculaires de l’Allemagne seront mises à l’épreuve, voire ébranlées. Son économie ouverte flirtera avec la récession, parallèlement au ralentissement du commerce mondial. L’ordre garanti par les Etats-Unis, qui sous-tend la prospérité et la sécurité allemandes, continuera de se fissurer. Un pays conçu pour être ouvert devra s’adapter à un monde en repli.

Des transformations structurelles s’ajouteront à des soubresauts cycliques. Les constructeurs automobiles allemands, qui sont couvés, peinent à négocier la transition vers les véhicules électriques ; ils n’ont par ailleurs aucune solution pour résister à la baisse des ventes en Chine. L’Allemagne est peu investie dans les secteurs montants de l’économie, comme les connexions internet dernière génération ou l’intelligence artificielle. La faiblesse des investissements publics, limités par un carcan budgétaire que l’Etat s’impose, a hypothéqué l’avenir du pays.

Risques théoriques

Les personnalités politiques, à commencer par Angela Merkel, savent que cette somnolence n’est pas viable, mais elles ne font pas grand-chose pour y remédier, que ce soit en investissant dans la défense, en dérégulant les services ou en acceptant des compromis au sujet de la zone euro. Malgré des coûts d’emprunt extrêmement bas et une dette faible, la classe politique allemande n’a pas prévu, en 2020, de s’embarquer dans les investissements ciblés à long terme que recommandent les économistes. Sur un plan géopolitique, Angela Merkel a exhorté l’Europe à assumer plus de responsabilités. Mais si Donald Trump paraît vulnérable à l’approche de l’élection présidentielle de novembre, les Allemands se prendront à rêver d’un retour à la pax americana.

A l’heure où l’économie prend une couleur géopolitique, l’Allemagne entre dans une sphère de pouvoir qui ne lui a jamais vraiment convenu.

Pour de nombreux électeurs, les risques que pose l’inaction restent en grande partie théoriques. Dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, le ralentissement de la croissance ne se traduira pas immédiatement par de grandes vagues de licenciements ou des baisses de salaire. Les embrasements qui font rage ailleurs en Europe n’ont pas de conséquences directes sur le sentiment de sécurité des Allemands depuis la crise migratoire de 2015-2016. L’Allemagne s’inquiète plus de l’extrémisme au sein même du pays que des guerres en Libye, en Syrie ou en Ukraine. A l’intérieur de l’Union (dont l’Allemagne assurera la présidence au second semestre), le pays affectera plus d’argent au budget post-Brexit et cédera une part de son autorité à la France.

Repli politique

Le paysage politique national se repliera sur lui-même à mesure qu’approche la fin du long règne d’Angela Merkel. La ” grande coalition ” – mariage résigné du parti de la chancelière, la CDU (centre droit), de son homologue bavarois de la CSU et du SPD (sociaux- démocrates) – pourrait tout à fait se dénouer prématurément avant sa fin naturelle en 2021. Les poids lourds de la CDU qui se bousculent pour succéder à Angela Merkel ne convaincront pas les électeurs s’ils appellent à une réorientation de la politique budgétaire. Le SPD, de son côté, risque de sombrer dans les luttes intestines plutôt que de poser les vraies questions en matière de politique étrangère. On peut éventuellement s’attendre à une réflexion plus innovante chez les Verts, qui rejoindront quasi certainement le prochain gouvernement. Mais la récession, associée à l’attention accrue dont ils feront l’objet, pourrait entamer leur popularité.

Pendant des années, l’Allemagne a prospéré en se laissant dicter des stratégies, car ses talentueux exportateurs exploitaient l’intégration des pays en développement aux marchés mondiaux. Mais à l’heure où l’économie prend une couleur géopolitique et où les superpuissances s’enfoncent dans le conflit, l’Allemagne entre dans une sphère de pouvoir, et non plus de normes – une sphère qui ne lui a jamais vraiment convenu.

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