Reconnaissance faciale: demain, tous des codes-barres!

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Les machines sont désormais capables d’identifier avec précision les visages sur des images de vidéosurveillance. Cela signe peut-être la fin de l’anonymat dans l’espace public.

Les caméras de surveillance font partie du paysage urbain. Parcs, intersections de rues et réseaux de transports en commun en sont équipés au nom de la lutte contre la criminalité. Dans les grandes agglomérations comme Londres, elles se comptent par milliers, produisant des quantités d’images faramineuses, dont la grande majorité, pixélisées et sans intérêt, passe à la trappe.

Les dernières avancées du machine learning (” apprentissage automatique “) ont permis de concevoir des logiciels capables de scanner les traits distinctifs du visage sur les photos ou les vidéos avec un taux de réussite bien supérieur à ce que pouvaient faire les technologies disponibles jusqu’à présent. Il est désormais possible pour les machines de pister un nombre considérable de personnes au fil de leurs déplacements dans l’espace public, une tâche qui aurait été bien trop coûteuse si elle avait été confiée à des humains.

Grâce aux logiciels de reconnaissance, le visage se transforme en code-barres et les caméras en scanners, enregistrant automatiquement toute personne qui passe devant leur objectif. Les forces de l’ordre ne se servent pas encore de ces technologies dernier cri à grande échelle et leurs logiciels de reconnaissance faciale sont réputés pour leur fiabilité approximative.

L’association de défense de la vie privée Big Brother Watch s’est intéressée à l’efficacité du dispositif de reconnaissance faciale utilisé par la police du sud du Pays de Galles lors de manifestations publiques pendant les deux dernières années. Elle a relevé un pourcentage d’erreurs de 91 %. Autrement dit, sur 100 personnes repérées par le dispositif, seules neuf étaient vraiment celles que le logiciel pensait être.

Risques d’abus

Mais ça ne devrait pas durer. Après la prochaine mise à niveau technologique, les caméras de surveillance du monde entier seront capables d’enregistrer des images en haute définition, améliorant ainsi l’efficacité des algorithmes de reconnaissance faciale. Les systèmes de vidéosurveillance peuvent même être conçus à cet effet et se servir de deux caméras ou plus pour filmer les visages sous plusieurs angles, facilitant ainsi l’identification.

La reconnaissance faciale façon Silicon Valley, qui repose sur l’utilisation de superordinateurs et d’énormes bases de données de visages pour ” former ” des logiciels ultrapointus, commence seulement à gagner le secteur de la sécurité. La tendance devrait s’accélérer en 2019, ce qui ne va pas sans soulever certaines inquiétudes. Les Etats sont particulièrement bien placés pour abuser de ces outils de reconnaissance faciale puisque ce sont eux qui gèrent les infrastructures publiques où sont filmés les visages. Les autorités pourraient par exemple scanner les visages d’un groupe de manifestants et arrêter tous ceux qui ont un casier, tout en rangeant les autres dans une liste de ” visages suspects “.

La reconnaissance faciale a de quoi inquiéter pour les principes qu’elle transgresse et les risques qu’elle induit.

La reconnaissance faciale peut également donner lieu à des abus de la part du privé. Les enseignes pourraient créer des bases de données capables de croiser l’identité des clients et les produits qu’ils regardent, comme le pistage des internautes aujourd’hui, empiétant ainsi sur leur vie privée. La reconnaissance faciale permettrait aussi de fusionner le pistage en ligne et le pistage dans la vraie vie : le visage deviendrait alors une sorte d’adresse permettant de relier le comportement dans le monde réel à un profil en ligne et inversement. Cette alliance du cyberpistage et des outils biométriques comme la reconnaissance faciale va réduire l’espace dans lequel les humains peuvent échapper à la surveillance en 2019.

Aux JO de 2020

Aux Etats-Unis, par exemple, la Ligue majeure de baseball va permettre aux supporters de valider leur entrée et d’accéder au stade au moyen d’un simple scan du visage, sans avoir besoin d’un billet papier. Le nouveau centre commercial géant de Singapour aura recours à la même technologie pour pister ses clients et leur conseiller des produits. Tokyo passera le plus clair de l’année à installer des dispositifs de reconnaissance faciale en vue des Jeux olympiques de 2020, pour s’assurer que seules les personnes autorisées puissent accéder aux périmètres sécurisés. D’Atlanta à Bangalore, les aéroports s’en serviront pour suivre les passagers à travers les contrôles de sécurité et d’immigration.

Une étude de la Société internationale de télécommunication aéronautique (SITA) révèle que les trois quarts des aéroports et des compagnies aériennes sont en train d’investir dans cette technologie ou planchent sur la question. Samsung, l’un des principaux concurrents d’Apple sur le marché des smartphones, adoptera la reconnaissance faciale 3D en 2019 sur le modèle du Face ID de l’iPhone.

On a du mal à imaginer les dangers découlant de ces nouvelles technologies. Aux débuts de la publicité en ligne, personne n’aurait imaginé qu’elle ferait du Web une machine à capter l’attention des internautes où les infos les plus ” chocs ” se répandent comme une traînée de poudre et font plus de bruit que l’information précise et nuancée.

La reconnaissance faciale a donc de quoi inquiéter pour les principes qu’elle transgresse et les risques qu’elle induit. Les êtres humains ont besoin d’espaces où leurs faits et gestes ne sont pas scrutés, où ils sont libres de se retrouver avec qui ils le souhaitent. Un monde où la reconnaissance faciale serait omniprésente serait un monde où aucune conversation de comptoir, aucune promenade de minuit, aucune course en ville ne pourrait avoir lieu sans qu’y soient associés un visage et une identité. Le meilleur moyen de limiter ce genre de surveillance est d’adopter des lois strictes protégeant les droits individuels. La reconnaissance faciale a ouvert la boîte de Pandore, mais il est toujours possible de contrôler ce qu’il en sort.

Par Hal Hodson.

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