De la grève à la relance

Christophe De Caevel

Une grève générale en pleine crise économique et sanitaire, quand plusieurs secteurs sont en arrêt forcé depuis des mois, c’est déjà particulier. Mais quand, en plus, cette grève vise à obtenir une hausse des salaires alors que le PIB vient de plonger de 6,5%, cela devient incompréhensible. Les syndicats seraient-ils donc devenus fous? Eh bien, peut-être pas.

Une grève, c’est l’utilisation d’un rapport de forces dans l’espoir d’arracher des concessions au-delà du fruit des négociations classiques. Plus la situation est tendue – par exemple en raison d’une grave crise économique – et plus la partie adverse sera susceptible de lâcher du lest, de peur de voir tout s’effondrer. Mais plus aussi la tentative de passage en force, qu’elle réussisse ou qu’elle échoue d’ailleurs, risque de laisser des traces dans les relations futures entre les deux camps. En d’autres termes, la frontière est parfois très floue entre le pire et le meilleur moment pour déclencher une grève.

La frontière est parfois très floue entre le pire et le meilleur moment pour déclencher une grève.

L’appel à la grève générale pour le lundi 29 mars s’inscrit en outre dans un contexte de lassitude de plus en plus affirmée d’une partie de la population, face aux restrictions de la vie sociale imposées par la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Mais aussi, nous y viendrons, face aux atermoiements de la sortie économique de la crise, à la lenteur de la concrétisation des plans de relance, plus généralement à l’absence d’éléments nous incitant à l’optimisme. Ce contexte peut tout aussi bien renforcer la mobilisation que la transformer en un exutoire à toute cette colère que l’on sent bouillir au sein de la société civile.

Cette colère montante, il faut pouvoir la gérer, la canaliser. Et cela nous amène au fond du débat: la conclusion ou pas d’un accord interprofessionnel qui garantit de facto une forme de paix sociale. Les représentants patronaux ne veulent pas aller au-delà de la norme salariale de 0,4% fixée par le Conseil central de l’économie – avec l’indexation prévue, c’est en réalité 3,2%, disent-ils – tandis que les syndicats n’y voient qu’une aumône. Ils réclament à tout le moins de la flexibilité avec cette norme salariale. Car si des secteurs sont à l’arrêt total, il y a aussi des entreprises qui tournent à plein régime et distribuent de copieux dividendes.

Ce désaccord risque de renvoyer le dossier au gouvernement fédéral où la situation sera tout aussi conflictuelle, si pas plus, entre les ailes droite et gauche de la coalition Vivaldi. Le PS a déjà pris fait et cause pour les revendications syndicales, tandis que le MR et l’Open Vld dénonçaient “l’irresponsabilité” des représentants des travailleurs.

Le politique paie peut-être ici le prix de la lenteur de son action. Le discours sur la nécessité de ne pas entraver la compétitivité de l’économie belge – la raison d’être de la norme salariale et de la fameuse loi de 1996 – serait nettement plus audible s’il pouvait s’appuyer sur des plans de relance en bonne et due forme, sur des projets concrets et des textes législatifs votés, susceptibles de dessiner des perspectives et de rendre confiance aux citoyens. Regardez le temps qu’il faut pour imaginer ce Get Up Wallonia ou son équivalent bruxellois. A contrario, moins de deux mois après son investiture, le président américain Joe Biden a déjà fait voter par le Congrès un plan fort de 1.900 milliards de dollars. Barack Obama avait fait de même en 2009, en signant la promulgation du Recovery Act pour extirper son pays de la crise financière à peine 100 jours après sa prise de fonction. Un sens de l’urgence et de l’efficacité dont il serait judicieux de s’inspirer de côté-ci de l’Atlantique.

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