Spécial Inondations – Comment payer ces dégâts gigantesques?
Quelques jours après les inondations qui ont ravagé la Wallonie, difficile de calculer le montant des pertes que devront absorber les assureurs et l’Etat. Une seule certitude: cela se chiffrera en milliards.
A combien se chiffrera la facture des dégâts matériels des inondations? Et qui la prendra en charge? C’est la question qui vient à l’esprit, alors que chaque jour qui passe montre l’étendue toujours plus surprenante des dégâts des inondations qui ont frappé le pays. Outre les infrastructures et les maisons détruites, Comet, le groupe spécialisé dans le recyclage des déchets, parle de 50.000 véhicules (voitures, motos, etc.) hors d’usage et de 10.000 tonnes de produits électroménagers bons pour la ferraille.
“Le montant des indemnisations? Nous n’en savons encore rien, répond Barbara Van Speybroeck, la directrice de la communication d’Assuralia, la fédération des assureurs. Il faudra sans doute attendre début août pour en savoir davantage.” Mais une chose est sûre, les dégâts s’élèvent “à des niveaux jamais vus en Belgique, poursuit la responsable, et seront donc bien plus élevés que ceux des dernières grandes inondations de 2016”. A l’époque, elles avaient causé 27.000 sinistres et 143 millions d’euros de dégâts.
En Allemagne, l’association des assureurs estime que le secteur devra supporter un coût de 5 milliards d’euros. Mais cette somme ne représente évidemment qu’une partie de la totalité des dommages car, en Allemagne, seuls 45% des ménages disposent d’une assurance inondation, alors que la proportion chez nous est de l’ordre de 95%.
Réforme de 2007
Cette proportion très élevée d’assurés inondation en Belgique est une conséquence de la réforme et de la régionalisation du Fonds de calamités mise en place en 2007: tous les détenteurs d’une police d’assurance incendie sont protégés contre les risques d’inondation, le Fonds de calamités n’intervenant plus que pour les dégâts qui n’étaient pas assurés.
Si le risque devient plus structurel, les réassureurs augmenteront leurs tarifs.”
Gerrit Feyaerts (AG Insurance)
Depuis 2007 donc, les compagnies d’assurance indemnisent la plupart des sinistres “ordinaires” via l’assurance incendie. Ce nouveau système comporte un double avantage: en étendant la prime inondation à tous les contrats d’assurance habitation, il permet de rendre ce risque supportable pour les assureurs. “C’était le but de la réglementation, explique Gerrit Feyaerts, responsable de la communication chez AG Insurance. Il fallait assurer la mutualisation des risques. Sans ce mécanisme de solidarité, les assureurs n’auraient pu assurer ces risques, souvent très localisés mais avec un impact énorme.” Et puis, ce système permet une indemnisation plus rapide des sinistrés, qui passent désormais par leurs assureurs plutôt que l’administration du Fonds de calamités. On le voit aujourd’hui: à l’ouverture des dossiers de sinistre, les assureurs ont immédiatement débloqué des avances pour permettre aux gens qui avaient tout perdu de faire face aux besoins de première nécessité. L’intervention des assureurs dépasse bien sûr les dégâts aux logements privés et aux entreprises. Une entreprise publique comme Infrabel, le gestionnaire du réseau ferré, est elle aussi couverte par une police d’assurance.
Réassureurs, Etat, Europe
On le sait, pour pouvoir assumer ces risques rares mais énormes, les assureurs se “réassurent”. Au-delà d’un certain montant de pertes, ce sont donc ces réassureurs comme Munich Re, Swiss Re, etc., qui interviennent. Difficile d’avoir une idée de l’importance de leur intervention. “Chaque assureur négocie avec les réassureurs et ces montants ne sont pas divulgués”, observe le porte-parole d’Ethias, Daniel Eycken.
Autre filet de sécurité financier: l’Etat. A l’heure d’écrire ces lignes, les assureurs et les divers gouvernements (fédéral, régionaux) discutaient encore pour établir le montant de leurs interventions respectives. Car la réforme du Fonds de calamités a également introduit un mécanisme qui permet aux assureurs d’être aidés par de l’argent public si les dommages auxquels ils doivent faire face dépassent les 350 millions d’euros. Montant qui, ici, sera très certainement dépassé. Le mécanisme devrait donc être activé pour la première fois.
95%
Part des ménages belges assurés contre l’inondation. Cette proportion n’est que de 45% en Allemagne.
Indépendamment de ces mécanismes d’assurances, les pouvoirs publics ont également mis en place un système d’aide aux entreprises et aux communes, sans compter leur intervention directe pour reconstruire voiries, infrastructures, etc. Parlant de “montants colossaux non encore estimables”, le président de l’exécutif wallon Elio Di Rupo a toutefois annoncé que la Région allait débloquer 2 milliards (1 milliard d’emprunt nouveau, 800 millions du plan de relance redirigés et 200 millions apportés par la trésorerie wallonne), une somme qui servira aussi à prendre de nouvelles mesures de prévention pour limiter l’impact d’un autre événement climatique similaire. Il faudra en effet songer à redimensionner le réseau d’égouttage, repenser les berges et les bassins d’écoulement, revoir les plans d’aménagement, améliorer le système d’alerte, acheter de nouveaux équipements, etc.
Et puis il existe un dernier mécanisme, européen, qui pourrait s’enclencher si les dégâts dans le pays devaient dépasser les 2,78 milliards d’euros. Mais de l’avis des experts, cet argent couvrira au mieux 6 à 7% des dommages.
Facture à la hausse
Il faudra aussi songer au futur. Est-ce que ces indemnisations record feront monter la facture des assurés? “Nous n’en sommes pas encore là. Mais si le risque devient plus structurel, les réassureurs augmenteront leurs tarifs, et cela se traduira à un moment ou l’autre dans les primes des clients”, répond Gerrit Feyaerts. “Le risque lui-même est bien compris en principe, et reflété dans les modèles et les procédures de gestion des risques”, observe Stefan Straub, directeur de la communication de Munich Re. Qui ajoute que “le défi consiste plutôt à prendre en compte correctement l’évolution de l’intensité et de la fréquence dans le temps”. Or justement, cette fréquence augmente. “Le nombre d’événements que nous avons enregistrés et le montant des dommages qu’ils causent ont augmenté au cours des quatre dernières décennies“, détaille-t-il. Certes, une partie de cette augmentation est due à une plus grande précision dans l’enregistrement des événements. Mais une autre vient du changement climatique lui-même.
Et la Belgique ne sera pas épargnée. Une étude d’un groupe d’experts réalisée l’an dernier pour la Commission nationale Climat prévoit qu’avec le réchauffement, “le total annuel des dommages attendus dus aux inondations fluviales et côtières en Belgique se situe entre 343 et 940 millions d’euros par an en 2050 et entre 2,5 et 5,6 milliards par an en 2100″. Et il ne s’agit que des coûts “directs”. Si l’on additionne les pertes dues à l’inactivité forcée, aux retards, aux interruptions de service, il faudrait doubler ces montants… D’une manière ou d’une autre, donc, les assurés et les contribuables devront assumer à l’avenir une facture de plus en plus lourde.
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