Celle qu’on a laissé tomber

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Cette affaire n’est pas vraiment une affaire. Quand il y a suicide, la crim’ n’a pas à enquêter. Et celui de Clara Delattre, retrouvée dans une piscine parisienne les poignets proprement tailladés, ne devrait pas déroger à la règle. Sauf que Rhonda, enquêtrice adjointe de Tomar Khan, n’en démord pas. Si cette jeune femme a priori heureuse a mis fin à ses jours, c’est qu’il y a quelqu’un qui l’y a poussé. Que faire alors ? Rien de plus, lui répondent ses collègues empêtrés dans d’autres galères. Son supérieur et amant voit se concentrer sur lui un faisceau de suspicions dans l’assassinat d’un policier qui enquêtait sur ses méthodes parfois… limites. Il risque une fin de carrière anticipée s’il ne réagit pas. ” On a affaire à un vide juridique, constate Niko Tackian. En dehors de la conviction des enquêteurs, il n’y a rien. ” Le titre, Celle qui pleurait sous l’eau, est tiré du jargon des nageurs compétiteurs qui laissent leurs problèmes aux vestiaires et restent concentrés sur leur entraînement intensif. Clara ne laissait pas couler ses larmes. Alors Rhonda décide de la jouer solitaire et commence à établir une liste de suspects. Et si c’était ce maître-nageur qui a découvert son corps ? Il lui donnait des cours, était son amant avant d’être éconduit quelques jours plus tôt.

Quand on côtoyait la mort au quotidien, les idées noires n’étaient jamais loin.

Quand le droit semble impuissant

C’est par une avocate spécialisée que l’auteur a eu connaissance de ce champ très particulier des violences psychologiques faites aux femmes – celles qui poussent la victime au ” suicide forcé “. Lui qui avoue n’avoir jamais besoin de se documenter, il a particulièrement bien assuré ses arrières pour ce nouvel épisode d’une série de polars entamée en 2017 avec Toxique. ” Je suis un homme qui traite ici un sujet très actuel, très féminin. Je devais le documenter pour éviter d’être uniquement dans le pathos. ” Il fallait donc patiemment décortiquer la mécanique psychologique de ce type de maltraitance vis-à-vis duquel le droit semble impuissant. Mais comme nous le rappelle Niko Tackian, ” justice et droit n’ont rien à voir “. Ses personnages, tous passionnés par leur métier, sont animés d’une soif de justice même si cela vient contredire la morale ou la déontologie, donnant lieu à des dilemmes particulièrement bien saisis par le style sec et efficace de celui qui a commencé par la bande dessinée, avant d’écrire pour la télévision (la série Alex Hugo avec Samuel Le Bihan, c’est lui).

Une plume noire et nébuleuse

Se plonger dans une enquête du ” Pitbull ” Tomar Khan, c’est aussi se confronter à un monde dur, celui du passé de ce flic d’origine kurde, toujours traumatisé par une enfance passée sous le joug d’un père violent. Il est d’ailleurs encore sujet à des absences, l’emmenant dans des endroits de son cerveau encore inconnus. Sa mère Ara reste son pilier. C’est dans ses détours particulièrement intimes que la plume de Niko Tackian s’avère particulièrement noire et nébuleuse. Son intention adjacente : montrer un panel humain diversifié jusque dans les forces de l’ordre très souvent montrées comme un bloc univoque.

On l’aura compris, Niko Tackian aime baigner ses romans – assez courts pour le genre – dans un contexte profond, ouvert à bien des méandres dans lesquels ses histoires peuvent à tout moment s’empêtrer. S’il a choisi le genre policier, c’est parce qu'” il permet de traiter de tout “. ” Ce sont des récits très prenants et techniques sur le plan purement policier, mais au final, tout n’est que récit humain .” Par son choix d’un sujet difficile, peu traité, et des personnages riches, il ne fait que nous le prouver.

Niko Tackian, ” Celle qui pleurait sous l’eau “, éditions Calmann-Lévy, 250 pages, 18,50 euros.

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