Bruno Colmant à propos de l’euro digital: “C’est la négation du capitalisme”

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Le CEO de la banque Degroof Petercam, Bruno Colmant, est de ceux qui estiment que cet euro digital constitue une véritable révolution.

Professeur à l’ULB et à l’UCLouvain, Bruno Colmant croit que cet euro digital pourrait raviver cette vieille idée émise voici un peu moins d’un siècle, lors de la crise de 1929, par l’économiste américain Irving Fisher. Celui-ci avait planché dans son “plan de Chicago” sur une économie qui ne serait plus alimentée que par de la monnaie banque centrale (*).

Trends-Tendances. Pourquoi l’euro digital pourrait aboutir à cela?

Bruno Colmant. A partir du moment où l’on se lance dans un projet d’une telle envergure, on ne peut qu’aller jusqu’au bout. La loi de Gresham, qui dit que la mauvaise monnaie chasse la bonne, pousse à n’avoir plus qu’une monnaie, qui serait ici l’euro digital. Car si deux euros (l’euro digital et l’euro “banque commerciale”) coexistent, la demande d’euro digital, plus sûr, augmenterait en cas d’instabilité financière. A l’extrême, on pourrait voir un euro normal valoir moins qu’un euro digital.

On l’a déjà constaté par le passé, lorsqu’il y avait des monnaies d’or et des monnaies d’argent. Ces systèmes bimétalliques n’ont finalement jamais survécu, laissant la place à un système monométallique. Mais si seule la monnaie banque centrale survit, cela aura pour conséquence que l’Etat déterminera l’enveloppe de crédit dont l’économie peut disposer. Ce qui est extraordinaire.

Pourquoi Irving Fisher avait-il émis cette idée?

Il faut garder en mémoire que la monnaie est partiellement crée par les banques centrales mais qu’elle est essentiellement imprimée grâce aux dépôts bancaires. Ceux-ci permettent aux banques de prêter des euros qui seront, à leur tour, déposés auprès d’une autre banque, etc. C’est le multiplicateur bancaire qui crée sa propre fécondité. Mais ce multiplicateur, les Etats ne le contrôlent pas. En période d’expansion, le multiplicateur s’emballe. Et en période de contraction, les agents remboursent anticipativement leurs dettes et le multiplicateur tombe à zéro, alors qu’au contraire, en cas de dépression, il faudrait l’augmenter. D’où l’idée, imaginée dans le Plan de Chicago, d’exclure les banques privées de la création monétaire. Seules les banques centrales seraient à même de le faire, ce qui leur permettrait de moduler la masse monétaire en fonction de la conjoncture.

Mais dans ce système, à quoi servent encore les banques commerciales?

Fisher avait imaginé de forcer toute banque qui reçoit en dépôt un dollar à le déposer auprès de la banque centrale. Et c’est la banque centrale qui ré- accorderait ces dollars pour une enveloppe de crédit. La banque centrale donnerait alors le rythme de roulement de l’économie. Les banques commerciales seraient dépossédées de leur rôle d’intermédiation et ne seraient plus que des comptoirs d’escompte.

C’est très déstructurant.

Oui, c’est pour cela qu’à l’époque, le président Roosevelt a dit non.

Mais finalement, ce plan est-il plutôt une bonne ou une mauvaise idée?

Je pense que c’est une révolution, et comme toute révolution, on ne sait pas à quoi elle aboutit. Mais la vraie révolution est qu’avec un système dans lequel ne circulerait que de la monnaie banque centrale, la spontanéité du capitalisme disparaîtrait. D’autant plus qu’avec un euro digital, on pourrait pister le trajet de la monnaie: son propriétaire, son utilisation, etc., ce qui est impossible actuellement: personne ne sait d’où vient un euro et où il va. Et l’on arrive ici à un système quasiment soviétique, doté d’une monobanque. C’est la négation du capitalisme.

(*) Bruno Colmant, L’histoire du plan monétaire de Chicago, Académie royale de Belgique, Collection “L’Académie en poche”, 3,99 euros.

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