Bolsonaro contre vents et marées

FÊTE NATIONALE BRÉSILIENNE, le 7 septembre 2020. Si la présidentielle avait lieu demain, Jair Bolsonaro serait réélu. © BELGA IMAGE

Malgré la pandémie, les feux qui ravagent l’Amazonie et les procédures judiciaires à son encontre, le président brésilien jouit encore d’une forte popularité. Mais les conséquences économiques et sanitaires de la crise sont loin d’être terminées.

En 2021, le chemin sera étroit pour le président du Brésil, Jair Bolsonaro, s’il entend sauver l’économie sans y laisser sa popularité. Sur la scène internationale, l’épidémie de Covid-19 a conforté sa réputation de paria. Alors que le Brésil décrochait une sinistre deuxième place mondiale en nombre de victimes, le président rétorquait à un journaliste: “Et alors?” Dans son pays, pourtant, beaucoup semblent s’habituer à sa personnalité provocatrice. Sa famille a beau accumuler les scandales et l’Amazonie être livrée aux incendies, sa cote auprès de ses compatriotes a progressé.

Il le doit notamment à un généreux plan d’aide versée aux Brésiliens les plus pauvres, d’un montant mensuel de 600 reais (95 euros) au début de la pandémie, passé à 300 reais (47 euros) à partir de septembre et jusqu’à la fin de 2020. Ce fut une vraie volte-face pour le ministre de l’Economie, le très libéral Paulo Guedes, qui s’était engagé à sortir le Brésil d’une récession précédente (2014-2016) par des coupes claires dans les dépenses et une bureaucratie allégée. Ses réformes ont été reportées afin de faire face au Covid-19.

Ne pas passer pour un grippe-sou

En 2021, les marchés risquent d’être moins indulgents. Toute nouvelle dépense non assortie de mesures d’économie ou de réformes rapprochera l’Etat brésilien de la faillite. En 2020, la dette publique a bondi, passant de 76% à près de 95% du PIB. Une décision du Congrès qui mettrait fin au plafonnement des dépenses publiques instauré en 2016, quoique peu probable, déclencherait une crise de confiance sur les marchés. Et la démission de Paulo Guedes.

Or, la disparition du filet de sécurité mis en place pendant la pandémie entraînera automatiquement une hausse de la pauvreté, et une chute de Bolsonaro dans les sondages. Après les élections municipales de 2020, les partis d’opposition auront en ligne de mire la présidentielle de 2022. Pour ne pas passer pour un grippe-sou, Jair Bolsonaro devra donc compenser ses réformes économiques par des mesures qui caressent son électorat dans le sens du poil.

Une refonte du très byzantin Code des impôts allégerait les coûts des entreprises, séduirait les investisseurs étrangers et soutiendrait les créations d’emplois. Sa réussite dépendra largement du bon vouloir du centrão, ce bloc de partis de centre droit au Congrès qui, en 2020, s’est mis à voter à l’unisson des parlementaires bolsonaristes (grâce, d’ailleurs, à des manoeuvres clientélistes comme les a tant décriées le président).

Le chef de l’Etat pourrait également se lancer dans des chantiers plus idéologiques, comme l’extension du port d’armes, ou la sape des mesures de protection de l’environnement. De quoi contenter sa base conservatrice et le puissant bloc des parlementaires BBB (pour boeuf, balles et Bible), défenseurs de l’agroalimentaire, du lobby pro-armes et des Eglises évangéliques.

Vandalisme écologique

L’année 2021 ne sera pas plus clémente pour l’Amazonie que les deux précédentes, et les incendies continueront de ravager cette forêt comme les zones humides du Pantanal. C’est presque un phénomène inévitable tant il est favorisé par la conjugaison du changement climatique et d’une déforestation toujours croissante. D’autant que le cours élevé de l’or a entraîné une explosion de l’orpaillage clandestin. Le gouvernement de Bolsonaro incitera le Congrès à légaliser cette pratique sur les réserves indigènes, et pendant que le monde politique se déchire autour de ce projet de loi controversé, chercheurs d’or et coupeurs de bois continueront d’envahir des terres. Le harcèlement s’intensifiera autour des rares communautés indiennes isolées qui survivent encore.

Le chef de l’Etat pourrait se lancer dans plusieurs chantiers plus idéologiques, comme l’extension du port d’armes ou la sape des mesures de protection de l’environnement.

Les pressions des investisseurs étrangers pousseront peut-être les gros producteurs de boeuf et de soja à lutter contre les mauvaises pratiques dans leurs chaînes d’approvisionnement. Mais le discours de Jair Bolsonaro, lui, n’est pas près de verdir. Joe Biden, moins indulgent qu’un Donald Trump, dénoncera le vandalisme écologique du Brésil, mais n’ira sans doute pas jusqu’à prendre des sanctions.

Le Congrès brésilien sera une fois encore à la manoeuvre pour faire avancer les initiatives les plus ambitieuses. En 2020, il a ainsi engagé une réforme très attendue de la réglementation sur l’assainissement, secteur désormais ouvert aux investissements privés, ainsi qu’une refonte du principal mécanisme de financement de l’enseignement public, rendu plus favorable aux écoles les moins bien dotées.

Enquêtes et scandales

A moins d’un effondrement de sa cote de popularité, Jair Bolsonaro peut compter sur le centrão pour le protéger de toute procédure de destitution. Avec l’entrée à la Cour suprême de deux nouveaux magistrats qu’il a désignés, le président peut aussi espérer ralentir les enquêtes ouvertes sur lui et ses fils. Flávio, sénateur pour l’Etat de Rio de Janeiro, est soupçonné de blanchiment et de liens avec le banditisme, en l’occurrence ces organisations appelées ” milícias” au Brésil. Carlos et Eduardo, eux aussi engagés en politique, sont également dans le collimateur de la justice pour leur rôle dans une “usine à fake news” en ligne. Et le Tribunal suprême fédéral a ouvert une enquête contre le chef de l’Etat lui-même pour obstruction à la justice, après que Sérgio Moro, son ancien ministre de la Justice, a claqué la porte en accusant le président d’avoir renvoyé le directeur de la police fédérale pour protéger ses proches.

Et pourtant, assurent les sondages, en dépit des scandales et des outrances, si la présidentielle avait lieu demain, Jair Bolsonaro serait réélu. Reste que le Brésil est un pays plein de surprises, et que d’ici à 2022, le chemin est long, et semé d’embûches.

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