Balades au soleil et dans les nuages à La Gomera

Reliefs, palmiers et cultures en terrasses: paysages typiques de l'île. © SYLVIE BRESSON

Toutes les îles de l’archipel des Canaries ne sont pas super-touristiques. L’une d’entre elles est restée paisible et discrète, offrant une nature superbe au regard des randonneurs.

A moins d’une heure de ferry de Tenerife est ancrée sa petite soeur La Gomera, cinq fois moins grande, 40 fois moins peuplée et sans doute 100 fois moins touristique si l’on exclut les visiteurs d’un jour. Paradis des randonneurs pour ses paysages sauvages et ses dénivelés sportifs, l’île a conservé la forêt primaire qui couvre son centre montagneux. Pas de grands immeubles, pas d’infrastructures bruyantes et une circulation calme. L’anti-Tenerife, en quelque sorte, pour le plus grand bonheur des amateurs de nature, de marche, d’air pur, de tranquillité…

Nombre des passagers débarquant à La Gomera n’y passeront que la journée : c’est une excursion populaire au départ de la grande île voisine. On identifie aisément ceux qui y séjourneront… à leurs chaussures de marche. Car si l’on s’attarde sur La Gomera, c’est pour randonner. Les 650 km de sentiers balisés ont séduit de nombreux marcheurs européens, surtout allemands. Il n’est, pour autant, pas interdit de flâner un peu. A San Sebastian en particulier, la capitale de l’île. Le port s’est agrandi et modernisé, au point de pouvoir aujourd’hui accueillir un navire de croisière en sus des deux ferries habituels. L’invasion reste toutefois occasionnelle, ne rompant guère le calme de cette petite ville au riche passé. Plusieurs fois dévastés par les pirates, ses édifices historiques des 15e ou 16è siècles furent largement restaurés, voire reconstruits, durant les siècles suivants, sans perdre leur charme.

Pas de grands immeubles, pas d’infrastructures bruyantes et une circulation calme. L’anti-Tenerife, en quelque sorte.

Combat naval dans une église

Bel exemple : la Torre del Conde, l’élégante tour qui trône dans le parc faisant face au port. Tout à côté, sur la plaza de Las Americas, l’ ayuntamento (hôtel de ville) mérite un coup d’oeil, comme l’immeuble voisin. Promenade obligée sur la calle del Medio (ou calle Real), artère historique bordée de quelques commerces et restaurants. Elle conduit à l’esplanade bordant l’église de la Virgen de la Asuncion, qui arbore d’intéressants éléments décoratifs : les étranges colonnes de bois torses entourant le portail du centre et une Vierge du 16e siècle qui serait originaire de Malines. Et surtout la fresque au fond de l’aile gauche : oui, il s’agit bien d’un combat naval, un décor inaccoutumé dans une église ! Elle illustre la victoire sur le pirate anglais Windham en 1753 ; et non le départ de Christophe Colomb, comme souvent affirmé. Après un éventuel crochet par le musée archéologique voisin, quelques pas supplémentaires dans la rue mènent à la Casa Colon, où le découvreur de l’Amérique séjourna avant de traverser l’Atlantique. La Gomera fut en effet la dernière escale de Christophe Colomb et les habitants de l’île n’en sont pas peu fiers.

LeTeide, volcan de Tenerife, en arrière-décor de nombreuses balades.
LeTeide, volcan de Tenerife, en arrière-décor de nombreuses balades.© SYLVIE BRESSON

Dominé par l’Alto de Garajonay, sommet aux pentes douces culminant à 1.487 mètres, le centre de La Gomera est occupé par la laurasilva, ou forêt de lauriers, aussi appelée laurisylve en français. Elle couvre la partie la plus élevée de l’île et est strictement protégée au sein du parc national de Garajonay. Classé au patrimoine de l’humanité en 1986, ce dernier s’étend sur un gros dixième de La Gomera.

Cette laurasilva est remarquable à plusieurs égards. Sur le plan historique notamment: à l’ère tertiaire, elle s’étendait tout autour du bassin méditerranéen et même jusqu’en Europe de l’Ouest. En se baladant dans cette forêt, on réalise donc un bond dans le passé de quelques millions d’années… La période glaciaire a fait reculer la laurisylve jusqu’aux îles Canaries, où elle fut largement détruite par l’homme, sauf à La Palma et surtout à La Gomera (elle reste aussi très présente sur l’île de Madère).

Quand l’eau vient des arbres

Cette laurasilva est également remarquable sur le plan hydrologique. Si des vêtements de pluie s’imposent pour s’y balader, c’est que la forêt accroche les nuages apportés par les vents alizés. Les arbres récoltent leur humidité et la concentrent en gouttes qui tombent sur le sol. Un phénomène naturel imité par l’homme en plusieurs endroits du globe, au moyen de grands filets attrape-brume, comme dans le nord du Chili. Cette ” fausse pluie ” s’infiltre ici dans le sol, comme la ” vraie “, de sorte que l’île dispose de sources couvrant largement ses besoins en eau potable. A La Gomera, l’eau du robinet vient des nuages, non de la mer comme à Tenerife, Lanzarote ou Fuerteventura.

Hermigua, ses bananeraies et son Pescante, en bout de route.
Hermigua, ses bananeraies et son Pescante, en bout de route.© SYLVIE BRESSON

Remarquable, la laurasilva l’est également par les essences qui la composent. Représentée par quatre espèces, la famille des lauriers n’en constitue qu’un cinquième. Les autres arbres, également à feuilles persistantes, sont parfois très surprenants. ” Quel est donc celui-ci, à côté de la bruyère ? ” De la bruyère, répond notre guide. Aurait-elle mal compris ? ” Non, à côté de la bruyère ? ” C’est aussi une bruyère, insiste-t-elle avec un petit sourire. Un regard plus attentif le confirme, mais elle fait 10 mètres de haut ! Etonnant. Plus fort encore : le myrte. Ce buisson est bien connu en Corse, où on en tire une liqueur célèbre. Ici, le myrte est un arbre gigantesque. En voici un, au bord du chemin, dont la circonférence dépasse 2,50 mètres !

Valle Gran Rey, hommage aux derniers Guanches.
Valle Gran Rey, hommage aux derniers Guanches.© SYLVIE BRESSON

Pissenlits géants et pains de sucre

Encore une surprise : cette plante à fleurs jaunes ressemble furieusement à un pissenlit. Impossible, pourtant, avec son mètre de haut… Oui, il s’agit bien d’un pissenlit, mais d’une variété arborescente. Comme chez le palmier, les feuilles mortes subsistent et bâtissent progressivement un petit tronc. C’est clair : pour les passionnés de nature, cette laurasilva vaut à elle seule le voyage. En n’oubliant pas qu’il fait ici 10 à 15 degrés de moins qu’en bord de mer. Et qu’il y fait humide au point que certaines branches ploient sous le poids des mousses et lichens. Le parc de Garajonay, ce sont aussi les paysages exceptionnels qu’offrent des points de vue facilement accessibles par la route. Le mirador Morro de Agando offre ainsi une vue grandiose sur les énormes pains de sucre qui témoignent de l’activité volcanique. Une vue différente de celle du très couru mirador Los Roques.

Si l’on s’attarde sur La Gomera, c’est pour randonner. Les 650 km de sentiers balisés ont séduit de nombreux marcheurs européens, surtout allemands.

Le summum, c’est toutefois… le sommet. L’ascension d’El Alto est des plus aisées si l’on choisit la facilité : un bon kilomètre, depuis la route, sur un sentier en pente douce. Nous y sommes une quinzaine, à espérer que le ciel se dégage. Les nuages ne semblent-ils pas se disperser ? Oui, non… Soudain, en quelques minutes à peine, ils ont presque tous disparu, offrant une vue à 350 ° (il subsiste un récalcitrant) sur les montagnes, les forêts, les vallées, la mer… Emerveillement !

On ne saurait parcourir le parc Garajonay sans découvrir les Chorros de Epina, modeste mais légendaire fontaine septuple. Ni sans avoir visité son centre d’accueil. Pour des informations sur la flore, la géologie et des conseils plus personnalisés sur les randonnées qui vous tentent. Un pavillon annexe évoque le terrible incendie qui ravagea un dixième de La Gomera en août 2012.

Spécialité : le miel de palme

Après la montagne, cap sur le bord de mer. Direction Hermigua, gros village typique blotti dans la vallée éponyme, au pied de montagnes abruptes. Il s’étire sur plusieurs kilomètres, descendant jusqu’à la mer. On y visite le sympathique petit musée ethnographique et on jette un oeil, en face, sur un improbable terrain de foot. Dans ces régions où les zones plates n’existent guère à l’état naturel, les municipalités n’ont pas lésiné sur les investissements en terrains de sport. Même constat dans le village suivant, Agulo, où l’on flâne volontiers dans les vieilles ruelles. On ne quitte toutefois pas Hermigua sans bifurquer à droite, en bordure de mer. Après les bananeraies, sur la gauche, la route conduit au Pescante, vestige de l’infrastructure construite en 1908 pour permettre l’expédition des fruits produits dans la vallée. Agrémenté d’une piscine, c’est un des sites les plus célèbres de l’île.

San Sebastian, Torre Del Conde.
San Sebastian, Torre Del Conde.© SYLVIE BRESSON

Le relief de La Gomera excluant la construction d’une route circulaire en bord de mer, il faut reprendre de l’altitude pour arriver de l’autre côté de l’île, à Playa Santiago ou Valle Gran Rey. C’est l’occasion de faire un crochet par la charmante route en lacets conduisant à Alojera, où un modeste musée explique la production du ” miel de palme “. En réalité, un sirop produit par réduction de la sève pompée dans le coeur du palmier, façon sirop d’érable. On y apprend qu’ici, quand on vend un terrain, on reste propriétaire des palmiers, et avec droit d’accès ! La mini-boutique propose un large choix de producteurs de ce miel de palma, par ailleurs vendu partout dans l’île.

Forêt de lauriers du parc national de la  Garajonay.
Forêt de lauriers du parc national de la Garajonay.© SYLVIE BRESSON

On dirait le Sud…

Deux miradors offrent une vue plongeante sur Valle Gran Rey quand on dégringole de la montagne. Un arrêt au moins s’impose. Une drôle d’impression gagne le conducteur à l’approche de la ville. Trouvé : c’est cette ligne droite de plusieurs centaines de mètres, la première depuis San Sebastian ! Principale station balnéaire de l’île, Valle Gran Rey est assez animée dans sa partie sud, qui débouche sur le port. C’est d’ici qu’on part à la rencontre des baleines et dauphins et qu’on va admirer les falaises de Los Organos, à la pointe Nord de l’île. Du moins quand la mer le permet… Un peu à l’écart, sa partie nord est une véritable colonie allemande. A preuve : elle possède aussi une plage naturiste.

A l’est de Valle Gran Rey, on entre dans la partie sud de La Gomera, fort aride et peu fréquentée. Il faut toutefois repasser par la montagne, l’occasion de rencontrer les trois artisanes fabriquant de la céramique sans tour à El Cercado, puis d’admirer le plateau rocheux Fortaleza depuis Chipude. C’est de là que les derniers Guanches, les autochtones, se jetèrent dans le vide pour échapper aux conquistadores. Plus bas, proche d’Alajero, trône l’arbre le plus célèbre de La Gomera, un dragonnier supposé tricentenaire. On y accède par un long chemin de pierres… très irrégulières.

Les sentiers de cette partie sud de l’île offrent des paysages très différents de ceux du nord. Conséquence de l’aridité : moins de végétation et de cultures en terrasses, et très peu de retenues d’eau. Par ailleurs, on n’y aperçoit guère le Teide (3.718 mètres), point culminant de Tenerife et de l’Espagne. Souvent visible par-dessus les nuages, ce volcan emblématique s’est largement imposé dans les paysages à La Gomera.

En pratique

La Gomera est accessible par bateau depuis Los Cristianos, à Tenerife, à raison d’une dizaine de voyages par jour. La compagnie Fred Olsen assure la liaison en ferry rapide, et Armas, en navire plus traditionnel. Plusieurs loueurs de voiture sont présents dans le port de San Sebastian ; réservation indispensable. Le réseau de bus est bien développé mais les fréquences sont très faibles sur cette île peu peuplée. Quant au réseau routier, il est fort sinueux mais en très bon état. Les autochtones y pratiquent volontiers l’auto-stop.

Une adresse incontournable pour se loger : le Parador de San Sebastian. Bordé d’un joli parc offrant des vues magnifiques, il est perché sur les falaises dominant la ville et le port. Il a les apparences d’un ancien monastère, avec son patio intime et ses cours intérieures, mais la construction date de 1971 ! Dans le parc, un petit bâtiment abrite un spa, au bord de la piscine en plein air. Petit-déjeuner et carte du restaurant sont à la hauteur du décor. Compter 200 euros environ la chambre double. Infos sur www.parador.es/fr.

Deux restaurants recommandables. Le modeste et pittoresque Chalana de Playa de Santiago, situé en bordure de la plage de galets, est réputé pour son poisson frais et ses prix fort raisonnables. A Hermigua, Las Chacaras affiche les grands classiques de la cuisine locale, dont l’ almogrote, fromage de chèvre écrasé et pimenté, ou encore le ragoût de chèvre, sans oublier les mojas, les deux sauces (verte et rouge) obligatoires sur toute table locale. Plusieurs restaurants touristiques proposent (à midi) une démonstration de silbo, le fameux langage sifflé des bergers. A l’ère du téléphone portable, il a évidemment disparu dans la vie courante, même s’il est à présent enseigné à l’école.

Informations touristiques : www.lagomera.travel. Office espagnol du tourisme à Bruxelles : 02/280.19.29, bruselas.crm@tourspain.es.

Balades au soleil et dans les nuages à La Gomera
© SYLVIE BRESSON

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