Avec la bénédiction de Notre-Dame

Les collines du Mont Brouilly, refuges de crus désormais capables de vieillir avec élégance. © GETTY IMAGES

Le Beaujolais a une étiquette de Nouveau qui lui colle au col. Coincé entre la Bourgogne et le Rhône, il est pourtant hautement recommandable et connaît une véritable montée en gamme. Pour promouvoir leur travail d’artisans, les vignerons de deux crus ont créé l’association Terre des Brouilly. Nous sommes allés à leur rencontre.

Elle veille sur le vignoble de Brouilly depuis 1857. Elle fut créée pour protéger la vigne des fléaux qui, quelques années plus tôt, l’avait ravagée : grêle, gelées et oïdium, un champignon qui réduit drastiquement les récoltes. Notre-Dame des Raisins, dont la façade est ornée d’un ” A Marie protectrice du Beaujolais “, trône fièrement au sommet du Mont Brouilly. D’une hauteur de 434 mètres, ce dernier porte désormais le label ” Géoparc Mondial Unesco ” qui récompense les territoires dont la géologie présente un intérêt patrimonial unique. Le Mont Brouilly est, en réalité, l’un des géosites extraordinaires qui a permis à l’ensemble du Beaujolais de décrocher le label et de devenir le premier vignoble primé. Une visite pédestre permet de comprendre la complexité de son terroir composée de diorite (des roches issues d’un magma qui a refroidi lentement), de ” pierre bleue ” âgée de 400 millions d’années et de méta-diorite appelée aussi granit rose.

Nous sommes très actifs dans la protection de la biodiversité. ” Jonathan Buisson (Les Roches Bleues)

Une centaine de lieux-dits

Le Mont Brouilly veille sur deux des crus majeurs du Beaujolais : le Côte de Brouilly dont les vignes garnissent les pentes et le Brouilly qui s’étend au pied. Il s’agit du plus petit (314 hectares en production) et du plus grand (1.227 hectares) des crus. Fiers de leur travail d’artisans (les domaines sont parmi les plus petits de France), les vignerons ont décidé de se regrouper pour valoriser leur production et leur terroir. L’association Terre des Brouilly s’est donné pour mission, à l’instar des fameux climats de Bourgogne, de redonner ses lettres de noblesse au parcellaire historique via la définition de lieux-dits. A ce jour, 105 ont été identifiés, symboles d’une expression différente des vins. Une fois validés par l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), le garant des AOC en France, ils font leur apparition sur les étiquettes. C’est, par exemple, les Berthaudières en Côte ou Saburin et Pissevieille en Brouilly. C’est la même démarche qui avait valu l’apparition de Côte de Py sur les étiquettes de certains Morgon.

Domaine du Père Jean, de Julien Matray : coup de coeur absolu.
Domaine du Père Jean, de Julien Matray : coup de coeur absolu.© PG

Parallèlement, Terre des Brouilly mène un combat pour préserver la biodiversité dans la région. Il y a deux ans, l’association a lancé une expérience de confusion sexuelle (on empêche les insectes de se multiplier en éloignant les mâles des femelles) pour limiter l’utilisation de produits phytosanitaires. Une expérimentation aujourd’hui étendue à 60 hectares. ” Cela ne se limite pas à cela, raconte Claude-Edouard Geoffray, le jeune représentant de la sixième génération aux commandes du Château Thivin, bien connu des cavistes belges. Nous réduisons le désherbage et promouvons le labour par traction animale. Cela crée plus de vie dans le sol et le décompacte. Nous replantons des haies et laissons l’herbe pousser en dehors des rangs de vigne. L’un dans l’autre, on voit réapparaître du gibier comme des perdrix et des lièvres mais aussi des rapaces. Au Château, nous pratiquons en outre l’écopâturage par notre troupeau de moutons et plantons des bandes fleuries entre les rangs ou dans des parcelles au repos. La prise de conscience écologique est très prégnante ici et elle se poursuit lors de la vinification. Nous sommes nombreux à limiter l’intervention et à réfléchir à l’apport des sulfites dans les vins. ”

Du vignoble… au Père Lachaise

Lassé de son image de Nouveau qui lui colle à la peau (mais qui a aussi contribué à une certaine reconnaissance il faut bien l’avouer), le vignoble du Beaujolais se restructure. On y réduit le nombre de pieds à l’hectare (de 10.000 à 6 ou 7.000) pour favoriser la qualité. L’arrivée d’une nouvelle génération aux commandes des domaines incarne pleinement le renouveau d’une région trop souvent négligée et qui produit des rouges (seul le gamay est autorisé) modernes, frais et très gourmands. Des vins qui sont aussi devenus capables de vieillir avec élégance.

Enfin, et ce n’est pas une donnée anodine, le Beaujolais est une région où le foncier reste accessible. Ce qui favorise l’installation de jeunes et autorise une transmission familiale moins compliquée. Mais cette accessibilité attise aussi les appétits extérieurs. A l’instar du groupe Maïa qui vient de racheter le plus beau domaine de Brouilly : le Château de La Chaize. Une magnifique propriété classée monument historique en 1972: les jardins ont été créés par Le Nôtre, le jardinier de Louis XIV et le château par Jules- Hardouin Mansart, le surintendant des bâtiments royaux. Pour la petite histoire, le nom provient du propriétaire initial, François de La Chaize, frère du célèbre Père La Chaize, confesseur de Louis XIV. Ne cherchez pas plus loin l’origine du nom du célèbre cimetière parisien, érigé sur le lieu-même de la résidence du Père : seule une erreur cléricale administrative a transformé l’orthographe.

Christophe Gruy, le patron du groupe Maïa, a de grandes ambitions pour les 250 hectares du Château de La Chaize : conversion en bio, pratiques environnementales strictes avec limitation des intrants, autarcie énergétique, oenotourisme haut de gamme, etc. Des vins à suivre de près quand la transformation du domaine sera achevée.

Des vins à attendre

Moins glorieuse que des appellations comme Morgon ou Saint-Amour, l’AOC Côte de Brouilly mérite toutefois qu’on s’y intéresse. Sur les pentes du Mont Brouilly, le gamay mûrit à merveille, s’exprime tout en élégance et développe une belle complexité aromatique avec des notes florales et épicées. Un peu âpre dans sa jeunesse, le Côte de Brouilly mérite qu’on le laisse vieillir en cave au moins cinq ans pour en apprécier toute la profondeur. Parmi les jeunes vignerons membres de Terre des Brouilly, on a beaucoup aimé le Côte de Brouilly Brulhié 2017 du Château Thivin. On y retrouve la démarche naturelle prônée par Claude-Edouard Geoffray avec un vin très marqué par les fruits rouges. Les vins du Château Thivin sont disponibles à La Maison des Vins Fins à Mons (065 35 16 66 – www.maisondesvinsfins.be) ou Velu Vins à Bruxelles (02 520 60 68 – www.veluvins.be).

Notre-Dame des Raisins, une vierge parotectrice du vignoble depuis plus d'un siècle et demi.
Notre-Dame des Raisins, une vierge parotectrice du vignoble depuis plus d’un siècle et demi.© PG

Après une carrière dans la finance à Lyon et Paris, Jonathan Buisson est venu reprendre le domaine des Roches Bleues à Odenas qui appartient aux parents de son épouse Chloé. En harmonie avec son beau-père, Dominique Lacondemine, il apporte une touche de modernité à des vignes idéalement situées sur le versant sud du Mont Brouilly. ” Nous sommes en conversion bio, explique Jonathan. Et nous sommes très actifs dans la protection de la biodiversité. Nous privilégions l’élevage en foudre pour laisser le terroir s’exprimer et aller vers une expression typique du gamay : du frais et du croquant. Je vais aussi planter du chardonnay pour me lancer dans le beaujolais blanc, encore trop rare. ”

On a beaucoup aimé son Côte de Brouilly Les Lys 2017 tout en finesse malgré une matière dense. Il tire son nom de la fleur de lys qui servait avant de repère pour les vendanges : 90 jours après sa floraison. Les vins du domaine sont en vente chez nous au Vigneron Provençal à Kapellen (03 664 56 00 – www.vigneronprovencal.be) ou à L’Avinture à Bruges (0477 77 76 92 – www.lavinture.be).

Un vin de brasserie

Brouilly, vignoble le plus étendu du Beaujolais, est reconnu comme appellation contrôlée depuis 1938. Cru le plus vendu à l’international, il a, comme particularité, d’embrasser dans sa zone toutes les configurations viticoles, plates et pentues, et tous les terroirs, en ce y compris des sols calcaires très rares dans la région. Il en résulte une très grande variété d’expressions dans les vins. Ce qui justifie pleinement le travail des lieux-dits entamé par Terre des Brouilly. Vin phare des restaurants lyonnais et de leurs fameux pots, le Brouilly est aussi le vin le plus vendu dans les brasseries françaises. Et pour cause, c’est, majoritairement, un vin souple, tendu et sur le fruit. Il accompagne avec bonheur la plupart des plats typiques de brasserie : les viandes en sauce, le navarin d’agneau, le petit salé aux lentilles, les pièces de boeuf grillées, etc. Il fait aussi évidemment merveille sur les charcuteries, grande spécialité lyonnaise, mais aussi les fromages à pâte molle comme le camembert ou le brie.

Le gamay, seul cépage autorisé en beaujolais, pour des vins modernes, frais et très gourmands.
Le gamay, seul cépage autorisé en beaujolais, pour des vins modernes, frais et très gourmands.© PG

Lors de nos différentes dégustations, les vins de Florent Rude, hélas pas distribués chez nous, sont, à chaque fois, sortis parmi les meilleurs. Comme son Brouilly 2011, une petite merveille arrivée pleinement à maturité. Mention bien aussi au Brouilly 2017 et Brouilly 17 élevé en fûts de chêne du Domaine du Père Benoît. Les vins de Pascal et Laurence Mutin sont disponibles auprès de Roland Jamin dans son Arbre à vin installé à… Arbre (081 43 34 99). Mais notre coup de coeur absolu, nous l’avons trouvé chez Julien Matray au Domaine du Père Jean. Son Brouilly 2018 est l’archétype du beaujolais qu’on aime : juteux, croquant et fruité. Un vrai glouglou de potes qui, en plus, ne coûte que 7,60 euros sur place. Chose remarquable : c’est une nouveauté du Domaine qui jusqu’ici ne faisait que du Côte ! Julien Matray a parfaitement réussi son coup ! Signalons, au passage, que son Côte de Brouilly 2018 est, lui, très prometteur. Le Domaine du Père Jean n’est pas distribué en Belgique mais participe régulièrement à des salons à Verviers et à Sprimont.

Des cuvées communes

Preuve de leur engagement collectif, les vignerons de Terre des Brouilly ont décidé de se lancer dans une nouvelle aventure. Ils viennent de mettre sur le marché une marque solidaire : ” 484, un vin, ses vignerons “. Cette marque va se décliner tant en Brouilly qu’en Côte de Brouilly. Sur base d’une charte qui reprend les valeurs de la Haute Valeur Environnementale (HVE 3), les vignerons partagent leurs raisins pour décliner deux cuvées communes au volume plus important et aux propriétés organoleptiques plus complexes. Voilà une belle aventure humaine dont nous avons pu déguster les premiers fruits lors du récent salon Wine Paris-Vinexpo 2020. Il n’y a pas à dire, ces jeunes vignerons savent travailler…

Si vous êtes de passage dans la région, n’hésitez à pousser la porte de l’Espace des Brouilly à Saint-Lager. Tenu à, tour de rôle, par les responsables des domaines, il offre la possibilité de déguster mais aussi d’embrasser, d’un seul coup, une bonne partie de la production locale.

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