Atteindre 1.000 clients sans levée de fonds

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Beebole n’a jamais cherché d’argent frais auprès des investisseurs. Un choix assumé par son CEO, à contre-courant du modèle classique des start-up.

Tous les entrepreneurs ne suivent pas le même chemin. Celui d’Yves Hiernaux l’a conduit hors des sentiers battus du ” modèle start-up ” tel qu’on le connaît. Aujourd’hui, la vie d’une jeune pousse semble rythmée par les levées de fonds : seed (amorçage), série A, série B… Les étapes de financement d’une start-up numérique sont de plus en plus balisées. Elles font intervenir les business angels, les invests publics et les fonds de private equity. Ces acteurs incontournables mènent la danse : ils injectent de l’argent frais, prennent des participations dans les entreprises soutenues, intègrent leur conseil d’administration, les emmènent (si tout va bien) sur le chemin de la croissance, avant de préparer leur sortie, si possible avec un bon retour sur investissement.

Cette route toute tracée, le CEO de Beebole n’a pas voulu la suivre. Quand il crée sa société en 2008 avec son cofondateur Mic Cvilic, l’ingénieur bruxellois Yves Hiernaux choisit très vite de rester aux manettes, et de ne pas tendre la main aux investisseurs. Malgré quelques contacts avec des fonds d’investissement, il préfère vivre sur fonds propres. Le CEO veut se prémunir d’une influence extérieure et garder le pouvoir de décision sur son entreprise.

Engrenage

Surtout, l’entrepreneur souhaite éviter de s’épuiser dans un processus chronophage de levées de fonds successives. ” Tu passes six mois à préparer ta première levée de fonds, évoque Yves Hiernaux. Puis, une fois qu’elle est bouclée, il te reste six mois pour préparer la suivante. Tu mets le doigt dans un engrenage sans fin. Personnellement, ça ne m’excite pas de courir après l’argent, après la rentabilité, tout ça pour au final réussir ton exit ( revente des parts à la sortie de l’entreprise, Ndlr). ”

Yves Hiernaux, CEO de Beebole
Yves Hiernaux, CEO de Beebole© PG

En contournant le processus de levées de fonds, l’entrepreneur estime avoir dégagé le temps nécessaire pour se consacrer à son business. ” On évite les sprints. On ne doit pas engager une armée en un temps record. On peut se focaliser sur la qualité des produits “, égrène le cofondateur de Beebole. En préservant l’indépendance de sa start-up, il peut aussi lui imprimer la direction qu’il a choisie. Et éviter une trop grande pression : ” Les investisseurs imposent beaucoup de choses, ils t’obligent à trimer comme un dingue pour réaliser leurs objectifs. De mon côté, j’ai toujours trouvé important de préserver un équilibre vie privée-vie professionnelle “.

Pendant les premières années de sa société, l’entrepreneur vit en Inde. Il ne veut pas sacrifier ce choix familial et développe Beebole depuis le continent asiatique. Le segment de marché dans lequel est actif l’entreprise convient parfaitement à un mode de fonctionnement à distance. Un ordinateur et une bonne connexion Internet suffisent lorsqu’on est actif dans le domaine du logiciel.

Depuis son lancement, Beebole développe des systèmes de timesheets (littéralement feuilles de temps) pour les entreprises. En clair, il s’agit d’outils permettant de mesurer en direct le temps de travail des employés. Le but est d’optimiser l’organisation des ressources humaines, de mieux planifier les horaires (heures de travail, congés, absences, etc.), et de faciliter la facturation aux clients. Les logiciels de la jeune entreprise sont proposés en ligne, en mode SaaS ( software as a service). Le client souscrit un abonnement mensuel. Le montant de l’abonnement dépend du nombre de collaborateurs travaillant pour l’entreprise et pour lesquels les heures de travail doivent être suivies.

PME décentralisée

Pour développer ce genre de business, pas besoin de locaux fixes. L’équipe travaille à distance, en Inde, en Belgique, aux Etats-Unis… ” L’idée de départ était de créer une petite PME travaillant de façon décentralisée, assure Yves Hiernaux. Ce genre de concept est un plus quand il s’agit de convaincre de nouveaux collaborateurs. ” Une douzaine de personnes travaillent aujourd’hui chez Beebole.

Pour grandir, la start-up n’a donc pas pu compter sur les poches profondes d’un fonds d’investissement. Il a fallu mettre en place une stratégie de croissance progressive, et générer suffisamment de revenus pour investir dans le développement et la commercialisation de la plateforme.

Les investissements en marketing étant limités, Beebole a opté pour un démarchage en ligne à l’international. La start-up a activé Google ad words et acheté des mots-clés sur le site du célèbre moteur de recherche. Elle a également misé sur le SEO ( search engine optimization), un ensemble de techniques permettant d’améliorer son référencement ” naturel ” sur Google. Ce choix stratégique élimine de facto certains types de clients. ” En procédant de la sorte, on attire rarement les grosses boîtes “, reconnaît Yves Hiernaux. Les grandes entreprises ont des procédures de sélection de sous-traitants plus sophistiquées que la ” simple ” recherche sur Internet. De plus, elles utilisent des logiciels d’entreprise ” complets “, les ERP, qui peuvent eux aussi intégrer des outils de gestion du temps de travail.

” L’histoire de ma start-up n’est pas sexy ” Retrouvez le témoignage atypique d’Yves Hiernaux, cofondateur et CEO de Beebole, sur le site Trends Numerik.

Cela n’a pas empêché Beebole de signer une série de grands groupes au nom ronflant : Michelin, Leroy-Merlin, Hitachi, Atlas Copco, l’assureur Zurich… et même Tesla, le constructeur de voitures électriques créé par Elon Musk ! Pour le reste de son portefeuille, la start-up s’est tournée vers une catégorie d’entreprises de taille plus modeste. La plupart de ses clients emploient entre 50 et 100 personnes.

Les limites de la stratégie ” solo ”

Le parcours de la start-up n’a cependant pas été un long fleuve tranquille. Deux ans après son lancement, la société a traversé un fameux trou d’air. Beebole s’est retrouvée à court de liquidités. L’entrepreneur a alors touché les limites de sa stratégie de fonctionnement en mode ” solo “, sans intervention d’investisseurs extérieurs. Pour faire rentrer de l’argent dans les caisses, Yves Hiernaux a dû reprendre du travail dans la consultance. Le soir, il se consacrait à son entreprise vacillante. Un double boulot épuisant, mais qui a fini par payer, puisque la start-up s’est remise sur les rails.

La stratégie des petits pas engagée par Beebole a porté ses fruits. Dix ans après sa création, la start-up n’est certes pas devenue une licorne à la croissance spectaculaire, mais elle a connu un développement continu qui lui permet de revendiquer fièrement plus de 1.000 clients et d’être active dans plus de 60 pays dans le monde. Le chiffre d’affaires de l’entreprise tourne autour du million d’euros. Et sa rentabilité est acquise depuis cinq ans, souligne Yves Hiernaux. ” On parle beaucoup des start-up qui bouclent une levée de fonds, on les présente souvent comme des success stories, mais on parle rarement de ce qui se passe après, remarque l’entrepreneur. Notre succès, c’est que 10 ans plus tard, nous somes toujours là. “

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