Annie Ernaux et l’absence de honte

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Aujourd’hui reconnue comme une des plus grandes écrivaines françaises contemporaines, Annie Ernaux continue d’affronter les réprobations du monde social.

Au début des années 2000, alors que sa réputation n’est déjà plus à faire, Annie Ernaux essuie une forme d’indifférence crasse lorsqu’elle publie L’événement qui fait le récit de son avortement clandestin datant des années 1960. Ce livre d’Ernaux dérange, comme souvent. “Elle a tant remis en cause les formes littéraires établies”, dit d’elle le jeune et talentueux écrivain Edouard Louis. Il détaille comment Ernaux a créé en lui “une volonté forte d’agresser la littérature”, de ne pas la respecter pour mieux la changer en y mettant du “je”, du pathos et, bien sûr, de la politique. Quelle est la portée politique de ce Jeune homme, dernier texte en date de l’écrivaine paru dans la collection Blanche de Gallimard? Elle touche à cette différence d’âge entre elle et l’amant de presque 30 ans son cadet rencontré à la fin des années 1990, au “regard lourdement réprobateur de clients dans un restaurant”, écrit-elle, qui renforce la détermination de la femme de 50 ans: “Si j’étais avec un homme de 25 ans, c’était pour ne pas avoir devant moi, continuellement, le visage marqué d’un homme de mon âge, celui de mon propre vieillissement. (…) Les hommes savaient cela depuis toujours, je ne voyais pas au nom de quoi je me le serais interdit”. On éprouve le plaisir de retrouver une très grande plume dont on aime démêler les fils de la création en les croisant avec les journaux d’écriture qu’elle fait paraître en parallèle de son oeuvre. Dans L’Atelier noir, qui vient de reparaître en version augmentée dans la collection L’Imaginaire (toujours Gallimard), elle écrit: “Chaque livre est la tentative – l’illusion – d’aller vers la lumière”. La lumière de ce Jeune homme n’est peut-être pas la plus flamboyante dans l’oeuvre de l’écrivaine, mais elle est bien présente.

Annie Ernaux, “Le jeune homme”, Gallimard, 48 pages, 8 euros et “L’Atelier noir”, Gallimard, 180 pages, 10 euros.

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