Amazon fait trembler la grande distribution

Le monde de l’entreprise évolue à un rythme effréné. Aujourd’hui, c’est le secteur de la distribution qui est ébranlé. La domination constante des grandes enseignes de supermarchés comme Wal Mart est remise en cause depuis l’annonce, à la mi-juillet, de l’acquisition du distributeur américain ” classique ” Whole Foods Market par Amazon pour 13,7 milliards de dollars. Chez nous, c’est principalement l’action Ahold Delhaize qui a souffert de la bombe lancée par Amazon sur le marché de la distribution. En outre, ces derniers jours, une rumeur s’est propagée : le géant préparerait une offre sur Carrefour.

Réactions diverses

Le cours d’Ahold Delhaize a plongé de 15 % à l’annonce de l’acquisition de Whole Foods par Amazon aux États-Unis à la mi-juillet. Quelques jours plus tard, alors que la vague de panique s’était atténuée, l’action perdait à nouveau 5 %. Les investisseurs estiment que l’approche agressive et sans doute novatrice d’Amazon affectera en premier lieu les détaillants américains. Et le groupe fusionné belgo-néerlandais Ahold Delhaize réalise précisément la majeure partie de son chiffre d’affaires et de son bénéfice outre-Atlantique.

Pour l’action de Colruyt, le recul s’est ” limité ” à 6 %. Elle a rapidement retrouvé son niveau antérieur, mais est à nouveau sous pression depuis.

Carrefour, l’une des plus grandes enseignes de supermarchés d’Europe et un acteur important dans notre pays, avait moins à souffrir de l’acquisition de Whole Foods. L’action est d’ailleurs restée stable à l’annonce de l’opération. Mais la réaction est intervenue avec retard, ce qui est généralement le pire. L’action Carrefour affiche aujourd’hui un recul de 25 % par rapport au début de cette année après des résultats semestriels très décevants. Elle a (brièvement) rebondi la semaine dernière quand une publication française a évoqué son acquisition par Amazon.

Concurrent de taille

Le groupe Whole Foods Market a enregistré une nette hausse de son taux de fréquentation après la réduction drastique des prix par Amazon. Certes, ces données ne sont basées que sur les premiers jours qui ont suivi l’acquisition de Whole Foods et ont été comparées au nombre de visiteurs enregistré la semaine précédente, mais elles n’en restent pas moins significatives. Les cours des concurrents de Whole Foods, dont le groupe Ahold Delhaize, se sont inscrits en forte baisse après l’annonce de l’acquisition et de baisses des prix. Le raisonnement sous-jacent est bien entendu que les concurrents de Whole Foods risquent d’être confrontés à une pression accrue sur les marges. Et ces dernières n’étaient déjà pas énormes ces dernières années.

L’arrivée du géant Amazon sur le marché classique de la distribution fait peur aux enseignes existantes. Mais Amazon battra-t-il pour autant la concurrence ? Whole Food n’est pas un simple groupe de supermarchés. C’est surtout l’enseigne favorite des démocrates. Elle est réputée privilégier les produits frais et sains, qu’elle vend à des prix élevés. Whole Foods y avait trouvé un marché de niche au début des années 1980, à l’opposé des chaînes de fast-food et des hypermarchés. Mais depuis, les autres enseignes lui ont emboîté le pas. Si bien que Whole Foods doit aujourd’hui lutter contre les versions américaines de nos Aldi et Lidl. Whole Foods est enfoncée dans une profonde crise. L’action a perdu la moitié de sa valeur en quatre ans, et les actionnaires ont protesté. C’est à présent à Amazon d’inverser la tendance, mais la tâche ne sera pas aisée.

Amazon veut relancer la vente d’aliments frais par le biais d’Amazon Fresh ou de Prime Now, et en livrer la majeure partie aux clients dans un délai d’une à deux heures après la prise de commande. Plusieurs entreprises s’y sont cependant déjà cassé les dents. Il pourrait s’agir d’une manoeuvre stratégique intelligente de Jeffrey Bezos, le CEO d’Amazon : proposer une offre intéressante de produits frais pour inciter les consommateurs à visiter chaque semaine le site Web de Prime Now et accroître ainsi le trafic récurrent sur Amazon.com.

Knoops remercié

Parmi les trois grandes enseignes de supermarchés belges, seule Ahold Delhaize est directement impliquée dans la refonte du paysage américain de la distribution. Le plongeon de son action n’est pas étonnant. Mais le cours affiche actuellement un recul de 30 % par rapport à son niveau d’il y a douze mois. La menace d’Amazon n’est pas le seul facteur responsable de cette dégringolade. Les Néerlandais ont pris le pouvoir et débarqué Denis Knoops, le directeur (belge) de Delhaize Belgique. Les résultats semestriels d’Ahold Delhaize ont révélé un chiffre d’affaires pro forma à peu près stable en Belgique, mais un recul des cash-flows opérationnels sous-jacents (EBITDA) et de la marge correspondante. La marge ” belge ” est (trop) inférieure à la moyenne du groupe.

Malaise français

Chez Carrefour aussi, la direction est dans l’oeil du cyclone. François-Melchior de Polignac, le CEO de Carrefour Belgique, a déménagé en France et la Belgique a été transférée dans la division Europe de l’Est. C’est significatif. Le chiffre d’affaires net a augmenté de 6,2 %, à 38,5 milliards d’euros au premier semestre 2017, mais la marge opérationnelle s’est contractée de 1,9 à 1,6 %.

Carrefour a revu à la baisse ses prévisions de croissance du chiffre d’affaires pour l’exercice 2017, en raison de conditions de marché difficiles. La direction table aujourd’hui sur 2 à 4 % à cours de change constant, alors qu’elle avait pronostiqué une croissance de 3 à 5 %. Elle a également prévenu que les conditions de marché resteraient difficiles au deuxième semestre dans certains pays dont la France, le premier marché du groupe.

Les cash-flows opérationnels négatifs de 1,54 milliard d’euros et la hausse de la dette nette, désormais à 7,72 milliards d’euros, ont déçu de nombreux investisseurs. Carrefour veut à présent réduire ses investissements (2,2 à 2,3 milliards d’euros au lieu des 2,4 milliards prévus).

Érosion des marges

L’action Colruyt a été sanctionnée pour ses résultats décevants. Le chiffre d’affaires annuel est certes en hausse, mais la rentabilité se contracte. La concurrence intense et les investissements croissants dans la technologie et l’e-commerce pèsent (pour l’heure) sur les résultats. Colruyt ravit des parts de marché à Carrefour et Delhaize depuis des années, mais les discounters Aldi et Lidl font encore plus de mal au secteur. Aujourd’hui, Colruyt affiche une part de marché de 32 % en Belgique, contre un quart chacun pour Delhaize et Carrefour. Bien entendu, ces chiffres ne disent pas tout. Le chiffre d’affaires de Colruyt n’atteint ” que ” 10 milliards d’euros. Delhaize réalise un chiffre d’affaires six fois plus élevé, et Carrefour vend huit fois plus.

Jef Colruyt, le directeur de l’enseigne du même nom, affirme ne pas croire au modèle d’Amazon. L’avenir dira s’il a raison. Mais cet avenir n’est sans doute pas si lointain. Tous les experts s’attendent à ce que demain, même en Belgique, la grande distribution soit totalement différente. Et comme il n’y a plus de croissance importante à attendre du marché belge, ceux qui veulent croître devront grappiller des parts de marché à leurs concurrents.

Amazon veut relancer la vente de produits frais par le biais d’Amazon Fresh ou de Prime Now.

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