Accor s’offre une nouvelle jeunesse

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Fondé en 1967, le champion français de l’hôtellerie est sur le point de céder le contrôle de son immobilier. Une manne qui doit lui permettre d’accélérer sa transformation, notamment grâce au digital.

Pour son cinquantenaire, qu’il célébrera le 19 novembre, le groupe a encore l’allant d’une ” jeune pousse “. Numéro six mondial de l’hôtellerie, AccorHotels n’a même ” jamais été aussi fort “, comme aime à le souligner son PDG, Sébastien Bazin, à la tête de l’entreprise depuis la fin août 2013, après en avoir été pendant huit ans un administrateur prépondérant voire dominant en tant que patron Europe de la société d’investissement Colony Capital.

Record

Cinquante ans après sa création par Paul Dubrule et Gérard Pélisson et l’inauguration de leur premier hôtel de chaîne sous l’enseigne Novotel à Lesquin, près de Lille, le groupe n’aura ainsi jamais ouvert autant d’établissements qu’en 2017 avec environ 250 unités supplémentaires, soit une de plus toutes les 35 heures. Son rythme de développement est sans précédent en nombre de chambres additionnelles avec un total prévisionnel de 40.000, alors qu’AccorHotels peinait, il y a quelques années, à ” casser ” la barre des 30.000. Et l’opérateur, qui compte aujourd’hui plus de 4.200 hôtels dans 95 pays sous une vingtaine de marques, de l’économique – hotelF1, Ibis, etc. – au luxe – Raffles, Fairmont, Sofitel, etc. – en passant par le moyen de gamme – Ibis Style, Mercure, Novotel, etc. -, en a sous le pied avec un programme de développement, à date, portant sur 970 établissements.

Par ailleurs, sa rentabilité opérationnelle n’a jamais été aussi élevée avec un profit d’exploitation qui devrait être compris, au terme de l’exercice 2017, entre 460 millions et 480 millions d’euros, à comparer à 393 millions l’an dernier. Une comparaison qui n’inclut pas l’essentiel du pôle immobilier, ” sorti ” des comptes du groupe, puisque filialisé depuis le 30 juin au sein d’une nouvelle entité, AccorInvest. Il s’agit-là du préalable à la cession de son contrôle, un projet annoncé en juillet 2016 et dont la finalisation est désormais attendue d’ici au début 2018. Initialement, son aboutissement était annoncé pour l’été 2017.

Complexe

L’opération est, il est vrai, complexe, n’étant pas une cession de murs classique. Elle englobe aussi la vente de fonds de commerce et concerne quelque 40.000 salariés. Alors que la direction d’AccorHotels se fait pour le moins laconique sur les discussions en cours, sont sur les rangs pour composer le tour de table d’AccorInvest : le fonds souverain saoudien Public Investment Fund, la société d’investissement américaine Colony NorthStar, et enfin, deux mastodontes français de la gestion d’actifs, Amundi et Predica. Dans la mesure où Sébastien Bazin veut a minima déconsolider AccorInvest, donc céder au moins 50 % de son capital, le montant de la transaction se chiffre à plus de 3,3 milliards d’euros, sur la base d’une valeur globale brute des actifs de 6,6 milliards à la fin 2016, l’ensemble du pôle immobilier, HotelInvest, ” pesant ” alors 7,6 milliards, à comparer à 5,5 milliards en 2013.

On voit par-là que l’optimisation de la gestion immobilière d’AccorHotels impulsée par son PDG a pour le moins payé, quitte à surprendre – tout au moins au départ – la communauté financière avec l’annonce de rachats de murs et/ou fonds de commerce pour gagner en rentabilité.

Un retrait limité d’AccorInvest laisse certains observateurs dubitatifs voire sceptiques car, in fine, ” moins pur ” que la scission à laquelle a procédé l’américain Hilton fin 2016-début 2017 ou que celle de son compatriote Marriott International en 1993, sans parler du monumental programme de cession de murs mené par le britannique InterContinental Hotels Group au cours des 15 dernières années.

Transformation

Pour autant, l’heure n’en est pas moins à une nouvelle donne chez AccorHotels. Son désengagement de l’immobilier hôtelier amplifie indubitablement une transformation engagée depuis 2006 avec son recentrage sur l’hôtellerie, ce dernier ayant eu pour point d’orgue la mise en Bourse en juillet 2010 de la branche Services (titres et cartes de service), devenue la société Edenred. En clair, AccorHotels colle toujours plus au modèle nord-américain de l’opérateur hôtelier sans actifs et agissant dans le cadre de contrats de management et/ou comme franchiseur.

Historiquement concentré sur l’hôtellerie économique et milieu de gamme, le groupe s’est de surcroît solidement ancré dans le luxe avec l’acquisition, l’an dernier, des chaînes Raffles, Fairmont et Swissôtel, soit près de 200 hôtels et complexes de loisirs. Avec cette triplette de prestige, AccorHotels a changé d’image, de profil et s’est doté d’un levier d’accroissement de sa rentabilité et d’une capacité à amplifier son développement, et ce sans engagement capitalistique. A moyen terme, cette hôtellerie de luxe devrait représenter 50 % de ses revenus pour 25 % des ouvertures, à comparer à 30 % pour 20 % des ouvertures pour la période 2010-2015. Des objectifs confortés par les partenariats noués, par ailleurs, avec le singapourien Banyan Tree Holdings et le turc Rixos.

AccorHotels, qui a investi 5 milliards d’euros au total depuis l’arrivée de Sébastien Bazin, a également complété son offre par des acquisitions ciblées, soit pour renforcer ses parts de marché, à l’instar de la récente reprise de l’australien Mantra pour l’Asie-Pacifique, soit pour occuper un nouveau segment. En la matière, l’adossement, fin 2014, de Mama Shelter, concept de boutique-hôtel branché à succès, a valeur de symbole. Dans la foulée, AccorHotels a mis fin à son enlisement en Chine en faisant d’un grand acteur local, Huazhu, son franchisé exclusif pour ses marques économiques et milieu de gamme, en contrepartie d’une participation de 10 % (en parallèle, Huazhu a pris une part de 10 % dans son pôle luxe et haut de gamme en Chine).

Partition

Dans un contexte de consolidation ravivée de son secteur, AccorHotels a joué sa propre partition tandis que certains de ses concurrents ont grossi spectaculairement. Ainsi, Marriott a ravi le leadership mondial en avalant, l’an dernier, Starwood Hotels & Resorts, franchissant, au passage, la barre mythique du million de chambres sous enseignes. De son côté, Jin Jiang est entré dans le Top 5 mondial, mettant notamment la main sur le français Louvre Hotels Group (Première Classe, Campanile, Kyriad, Golden Tulip, etc.). Le numéro un de l’hôtellerie chinoise est même devenu le premier actionnaire… d’AccorHotels avec une part 12,58 % devant le Qatar (10,4 %) et le milliardaire et prince saoudien Al Walid, (5,8 %), ces deux derniers étant entrés dans son capital en cédant Raffles, Fairmont et Swissôtel. Ils sont aussi au conseil d’administration contrairement à Jin Jiang, dont l’influence semble, à ce stade, circonscrite.

La partition d’AccorHotels pourrait même paraître décalée eu égard à sa ” révolution digitale ” en cours depuis plus de trois ans et qui a mobilisé grosso modo 10 % de ses investissements. L’entreprise a notamment mis le paquet dans la distribution afin de mieux faire face à la pression des grandes plateformes de réservation, les Booking.com, Expedia et consorts. Elle est notamment devenue un poids lourd en tant que fournisseur de solutions technologiques avec les acquisitions des sociétés Fastbooking, Availpro et tout récemment Gekko. En substance, le nouvel Accor Hotels s’affiche aussi comme un groupe de services tant auprès des professionnels de son secteur que de ses clients. S’agissant des voyageurs, cette évolution est d’autant plus tangible qu’il mise aussi sur l’hébergement alternatif à l’hôtellerie : en moins de deux ans, AccorHotels a fait une percée fulgurante dans la location de villas et appartements privés haut de gamme avec services hôteliers, déployant désormais une marque mondiale, Onefinestay, du nom de sa principale acquisition dans ce domaine. Un pari audacieux et un petit foyer de pertes à ce stade.

Attente

Alors que certains observateurs estiment qu’AccorHotels ” ne s’occupe pas de ses marques ” historiques, considèrent que Sébastien Bazin ” reste un dealmaker “, son PDG doit plus que jamais démontrer la justesse de sa vision. Le récent abandon de la ” place de marché ” ouverte à une sélection d’hôtels indépendants – au fond, une forme de consolidation grâce au numérique -, témoigne que sa ” révolution digitale ” est loin d’être une évidence sur le plan opérationnel.

Lancé tout récemment en France, le programme AccorLocal, qui vise à proposer à la clientèle les services des commerces de proximité et, inversement, à faire des hôtels du groupe un réseau de services aux habitants de leur quartier respectif, sera, à ce titre, à son tour éclairant. Mais AccorHotels est surtout attendu quant à l’usage de la manne qu’il recueillera avec son désengagement d’AccorInvest…

Christophe Palierse / Les Echos (16/11/2017)

Son désengagement de l’immobilier amplifie une transformation engagée depuis 2006 avec son recentrage sur l’hôtellerie.

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