A Londres, les seigneurs du Ring n’ont pas dit leur dernier mot

Le " Ring " est truffé de micros et de caméras en cas de différend ou de contestation sur une transaction. © BELGAIMAGE

Le LME, la Bourse des métaux de Londres, est la dernière place de marché physique sur le sol européen. Le ” Ring “, comme on le surnomme, permet d’assurer la liquidité pour des métaux moins liquides que d’autres.

En ce jeudi de février 2020, les cas de coronavirus se multiplient en Chine, la nervosité règne sur les marchés et les cours des matières premières sont sous pression. Il est presque midi et demi au London Metal Exchange, la dernière Bourse physique européenne, où des financiers en chair et en os échangent des produits à la force de la voix et du geste. Une dizaine de traders tirés à quatre épingles viennent s’asseoir sur des canapés rouges formant cercle – le fameux ” Ring ” qui a traversé les siècles. Ils auront cinq minutes pour acheter ou vendre du cuivre. Derrière eux, des clerks – sur leur trente et un eux aussi – viennent s’accouder à la banquette. Leur mission ? Enregistrer les transactions de leur trader et suivre plusieurs conversations à la fois. Un peu plus en arrière, des opérateurs de marché placent un téléphone filaire de chaque côté de leur visage : ils font un commentaire en direct à leurs clients.

Le ” Ring ” ne représente que 10 % des volumes du LME, le reste passant par les plateformes électroniques, mais l’industrie est attachée à ce prix au jour le jour.

Assurer la liquidité

Il est 12h30 : c’est parti pour cinq minutes de négoce. Mais à peine le remarque-t-on : dans un calme olympien, les investisseurs assis renouvellent quelques contrats en parlant à voix basse. C’est aussi le moment de ” décrypter le langage corporel des autres pour pouvoir adapter sa stratégie “, raconte un collaborateur de la banque française Société Générale, intervenant régulièrement sur le ” Ring “. Ce n’est qu’à la dernière minute que tout s’accélère. D’un coup, les décibels s’emballent, les mains s’agitent. Vers le haut ? J’achète ! Vers le bas ? Je vends ! Le nombre de doigts donne une indication de prix. Envahis par l’adrénaline, certains se lèvent et s’avancent, mais leur corps doit rester en contact avec la banquette sous peine de sanctions, il ne faut pas bloquer la vue des autres.

Il est à présent 12h35 : la cloche sonne et le prix de la dernière transaction apparaît quasi instantanément sur le grand tableau qui surplombe l’arène : ce sera le cours LME du cuivre de cette journée, un prix servant de référence pour les contrats de l’industrie dans le monde entier. Le volume sonore redescend, on passe à l’aluminium pour cinq minutes, ensuite ce sera au tour de l’étain, puis du plomb, du zinc, du nickel… En tout, chaque jour, quatre sessions sont ainsi organisées, entre 11h40 et 17 h, pour une série de métaux de base non-ferreux.

Un cercle tracé dans la sciure

Ce rituel a démarré voici près de deux siècles. Le Royal Exchange, première Bourse des métaux outre-Manche, a été créé sous le règne de la reine Elisabeth Ire en 1571, mais la révolution industrielle ayant accéléré la financiarisation du Royaume-Uni et entraîné une explosion de la demande en métaux, la Bourse royale est vite arrivée à saturation. Au début du 19e siècle, des négociants peinant à entrer dans les locaux du marché décident alors de se retrouver près du Jerusalem Coffee House de la capitale. L’un d’eux dessine, dans la sciure au sol, un cercle autour duquel les transactions doivent se réaliser : le ” Ring ” est né.

A sa création, en 1877, le London Metal Exchange, officialisant ces rendez-vous, a repris cette habitude en organisant son marché autour de canapés rouges disposés en rond. Une tradition que la Bourse des métaux de Londres a perpétuée au fil des siècles. Même en 2016, quand le LME a déménagé pour s’installer au 10 Finsbury Square dans un immeuble ultramoderne, l’opérateur a reconstruit son fameux ” Ring “, à l’identique. Si le LME a conservé son marché à la criée malgré la digitalisation de la finance, ce n’est pas seulement à des fins de marketing. ” C’est une publicité fantastique, reconnaît son patron Matthew Chamberlain, mais c’est une raison secondaire. ” Du fait de son histoire, la Bourse des métaux fixe un prix au jour le jour. On peut y acheter du plomb, livré dans deux jours, dans deux mois, ou dans six ans. Les autres marchés ne proposent que des contrats à terme sur plusieurs mois au minimum.

” Le nombre total d’instruments qui peuvent s’échanger sur le LME, la combinaison de produits et de dates sont bien plus grands que pour d’autres marchés “, explique le dirigeant. La liquidité n’est toutefois pas toujours au rendez-vous. ” Le ‘Ring’ nous permet de faciliter le trading pour des contrats moins liquides et des dates moins liquides, car sur les plateformes électroniques, on ne peut pas faire de propositions de la même façon “, poursuit Matthew Chamberlain. En face-à-face, avec un temps limité, les traders finissent toujours par trouver un arrangement. Le ” Ring ” ne représente que 10 % des volumes du LME, le reste passant par les plateformes électroniques, mais l’industrie est attachée à ce prix au jour le jour, par habitude surtout. ” L’industrie des métaux s’est développée avec le LME et elle l’a intégré dans ses contrats, c’est difficile de s’en défaire “, raconte Matthew Chamberlain. Un avis que partage la Société Générale, dont les clients ne cessent de montrer un intérêt pour ces cours.

Les nouveaux terrains du LME

Mais qui vend et qui achète sur le LME ? Il y a d’une part les industriels – comme les constructeurs automobiles ou les aciéries – qui viennent se couvrir contre des mouvements brutaux. D’autre part, on trouve des acteurs financiers qui ont une démarche plus spéculative. L’ensemble de ces acheteurs passe par des courtiers ou des banques qui emploient une armée de financiers. Nigel Farage en a fait partie avant d’entrer en politique et de mener la campagne en faveur du Brexit.

Mais la longévité du ” Ring ” signifie-t-elle que ce dernier est éternel ? Matthew Chamberlain ne s’avance pas au-delà de 10 ans. ” Je pense que d’ici là, il a de bonnes chances d’exister encore. ” En attendant, l’opérateur de Bourse doit s’adapter aux évolutions des marchés sous-jacents des métaux : le lithium, par exemple, sera au coeur de la décarbonation des transports, mais comme il est inflammable, il ne se stocke pas comme les autres. Le LME devra aussi assouvir la soif sans limites des investisseurs pour les données. Des sociétés utilisent des satellites pour mesurer la température d’une usine et déterminer sa production, confie Matthew Chamberlain. L’avenir du LME est-il dans l’espace ? Pourquoi pas ! Après tout, il existe bien des projets d’extraction minière sur la Lune.

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