Lutte contre la fraude et réforme fiscale, ce débat politique majeur ravivé par les Pandora papers
Les constructions fiscales off shore alimentent un bras de fer sensible entre gauche et droite. Avec deux enjeux importants, souligne Edoardo Traversa (UCLouvain): empêcher les mafias de mettre la main sur la Belgique et arrêter les relations malsaines politique/économique.
Les constructions fiscales dans les paradis off shore, mises à jour par la nouvelle vague de révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICJ), soulèvent un débat politique majeur à un moment clé de la Vivaldi fédérale. Le gouvernement De Croo prépare son budget 2022 avant la déclaration de politique du Premier ministre à la chambre, mardi 12 octobre. En toile de fond, il prépare également une réforme fiscale en plus d’autres projets socio-économiques sensibles au sein de la coalition (marché du travail, pensions…).
Cette “plus grande fuite financière de l’histoire”, avec quelque 1217 Belges impliqués, met en lumière la nécessité de lutter contre la criminalité financière – une promesse qui est une constante dans les projets de budget politiques.
Mais elle soulève aussi la question du modèle fiscal de notre pays. Ce sont les deux facettes d’un enjeu majeur.
“L’enjeu majeur, à mes yeux, est surtout celui de l’identité des investisseurs qui mettent la mains sur notre économie”, insiste Edoardo Travera, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain, interrogé par Trends tendances. Selon lui, le risque majeur n’est autre que de voir des mafias s’emparer de pans entiers de notre économie, avec un blanchiment d’argent susceptible de pervertir le système.
Le bras de fer gauche/droite
Politiquement, le débat enfle depuis les révélations médiatiques de ce début de semaine.
“L’évasion fiscale par le biais de constructions offshore, c’est de la fraude, sans aucun doute. La transparence internationale est la clé de la lutte contre la fraude, souligne le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V). Le fisc se penche sur les pandora papers et prendra les mesures nécessaires, ce que je soutiens pleinement.”
En septembre, déjà,le PS avait réclamé des ministres compétents la mise en place d’un plan de lutte contre la criminalité financière. “Je demande que les trois ministres compétents – Justice, Intérieur et Finances – présentent rapidement un plan de lutte contre la criminalité financière, avait souligne Ahmed Laaouej, chef de groupe à la Chambre. L’accord de gouvernement est très clair à ce sujet.” L’interpellation faisait suite à la rentrée judiciaire bruxelloise, au cours de laquelle le procureur soulignait que la police judiciaire féfdérale ne mènerait désormais plus toutes les enquêtes pénales qui devraient lui être confiées.
Sous la pression du PTB, à gauche, le PS est attentif à cet enjeu fiscale et demande à nouveau des comptes. “Après les Panama Papers, Off Shore Leaks, Dubaï Papers, Bahamas Leaks, Lux Leaks etc…, il est temps de faire le point sur les résultats!“, insiste Ahmed Laoouej.
Le MR, lui, opte pour un autre angle de tir. “Les pandora papers, sans que ces mécanismes soient nécessairement illégaux, illustrent la nécessité d’avoir une fiscalité plus juste, souligne pour sa part Georges-Louis Bouchez, président du MR. Par une baisse des taux pour les classes populaires et moyennes et le paiement de l’impôt par chacun. Taxer moins pour payer juste!” Les libéraux mettent l’accent sur la réforme fiscale en gestation et la nécessité de diminuer les charges qui pèsent sur le travail. Un argumentaire répété mardi matin dans l’invité de Bel RTL.
Dans l’opposition, François De Smet (DéFI) a déjà dénoncé les promesses floues régulièrement assénée par le fédéral, qui prévoit par exemple plus d’un milliard d’euros. Il relaie aussi un message de l’ancien président du parti, Olivier Maingain: “La fraude fiscale n’a rien avoir avec les taux d’imposition comme tente de le suggérer le président du MR. Il s’agit d’une criminalité organisée comme la mafia de la drogue et elle doit être réprimée comme telle. Et il est temps d’en donner les moyens à la justice.”
Une certitude: Alexander De Croo devra arbitrer les tensions entre gauche et droite dans le cadre du conclave actuel et dans la perspective de la réforme fiscale à venir.
Le risque des mafias
“Ce qui me dérange le plus dans ces révélations, c’est de voir que l’on peut investir dans ce pays de manière totalement anonyme, souligne Edoardo traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain. On peut acheter des immeubles, prendre des parts dans des entreprises, sans avoir aucune idée de l’identité réelle de ces investisseurs. On peut occulter cela pour des raisons fiscales, bien sûr, mais aussi pour des raisons pénales, de blanchiment d’argent… L’impression que cela donne, c’est que des mafias s’emparent peu à peu de notre économie.”
Cela a potentiellement des conséquences très concrètes pour les citoyens, souligne-t-il. “Par exemple, est-ce que le prixde l’immobilier dans les villes augmentent parce que de plus en plus de gens veulent y habiter ou parce que des capitaux non identifiés spéculent?”
Des évolutions ont déjà eu lieu, notamment la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs.”On avance pas à pas, mais il faudrait aller plus vite afin que chaque responsabilité soit traçable et que les obligations de transparence soient respectées“, insiste le professeur de droit fiscal.
De la crédibilité des politiques
Au sujet du débat politique initié par les Pandora Papers, Edoardo Traversa souligne que, en matière de criminalité financière aussi, des pas ont été posés. “Pour lutter contre l’optimalisation fiscale, on a mis en place une série de choses, dit-il. Le plus important, c’est de faire en sorte que le même mécanisme fiscal s’applique pour une personne physique ou pour une entreprise.C’est ce que l’on a fait avec la taxe Caïman, qui se base sur ce principe d’égalité.”
Au sujet des déclarations de Georges-Louis Bouchez, qui réclame une réforme fiscale, le professeur souligne: “Il est évidemment dans son agenda politique libéral qui consiste à baisser les impôts et les dépenses. Ce n’est as inintéressant, ceci dit, ans un pays où des évolutions peuvent encore avoir lieu.”
Au sujet de la lutte contre la criminalité financière, Edoardo Traversa estime que là encore, “il y a des choses qui changent, mais pas assez vite” et cela a lieu “essentiellement en raison de la pression internationale“.
Le professeur louvaniste interroge encore la volonté politique dans ce domaine. Si le PS demande un plan de lutte contre la criminalité financière, il doit aussi mettre de l’ordre dans ses conflits d’intérêts. “Les politiques contrôlent souvent une part des activités économiques, pas toujours de façon transparente, explique-t-il. Faut-il rappeler les scandales à Liègen l’affaire Dexia… Je ne crois pas que le monde politique soit toujours crédible dans ce domaine, il suffit d’entendre le juge Miche Claise (qui parle d’un pays “corrompu”) pour s’en rendre compte quand il évoque le démantèlement du parquet financier.”
Une vraie volonté politique, conclut-il, passerait par une cohérence au niveau des actes et un plan, oui, pour donner des moyens à la justice, améliorer la coordination entre les différents parquets ou mettre en place une formation pour lutter contre ce fléau. Un vaste chantier.
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