Quand l’employeur joue au voyeur sur les réseaux sociaux

Le recruteur qui a utilisé la photo en bikini d'Emily Clow, une candidate à un poste marketing, a dû s'excuser publiquement. © PG-E. CLOW

Aux Etats-Unis, un recruteur a réutilisé une photo du compte Instagram d’une postulante pour faire passer son message: “Si vous cherchez un job, ne vous affichez pas en bikini sur les réseaux sociaux”. L’affaire a fait grand bruit. L’employeur a-t-il été trop loin dans l’exploration de la vie privée de la candidate ?

Il peut être légitime pour un employeur de mieux connaître ses collaborateurs, actuels ou futurs, ainsi que les risques qu’ils peuvent présenter, mais ce “screening” ne peut pas avoir lieu n’importe comment.

Bien entendu se pose la question de la vie privée et donc, chez nous, forcément celle du fameux RGPD dont l’une des pierres angulaires est la fourniture obligatoire de certaines informations aux personnes concernées, notamment en ce qui concerne la base juridique applicable (par exemple, ce screening est-il imposé par la loi ou s’agit-il d’obtenir le consentement libre, spécifique, informé et actif de chaque individu ? ).

Pour les candidats travailleurs, la convention collective n°38 souligne expressément que leur vie privée doit être respectée lors du recrutement. Cela implique que des questions à ce sujet ne se justifient que si elles sont pertinentes en raison de la nature et des conditions d’exercice de la fonction. Ceci s’applique non seulement à l’employeur mais également aux psychologues et agences spécialisées qui participent en son nom à la sélection. A cet égard, l’employeur veillera à ce que la convention de services correspondante soit à jour au regard du RGPD. Au demeurant, on rappellera que l’obtention par l’employeur d’un extrait du casier judiciaire n’est pas libre, s’agissant là d’une donnée dite ” sensible ” au regard du RGPD.

Et les profils sociaux ?

Dans son avis du 8 juin 2017, le Groupe de travail Article 29, qui était l’ancien organe consultatif européen indépendant sur la protection de la vie privée, avait estimé que le simple fait que le profil d’un individu sur les médias sociaux soit accessible au public ne signifie pas que les employeurs peuvent en faire ce qu’ils veulent. La collecte et l’analyse de ces informations n’est possible que si c’est nécessaire pour le poste concerné, par exemple pour évaluer les risques que présente cette personne par rapport à la fonction, et si les candidats en sont correctement informés (par exemple, lorsque l’offre d’emploi fait référence à une ” privacy notice ” satisfaisante de l’employeur publiée sur son site web).

Dans certains secteurs d’activités, comme les contrôleurs aériens, il est même obligatoire de procéder à une vérification de sécurité et ce, conformément à la loi du 11 décembre 1998. Il existe également des exigences fit & proper en matière d’expertise et d’honorabilité professionnelle pour certaines fonctions, par exemple pour le comité de direction d’institutions financières.

Cela étant, même lorsque ce screening répond à un intérêt légitime, voire à une obligation légale ou réglementaire, des dérives ne sont pas à exclure, à l’instar de ce qu’a fait le recruteur américain avec la photo de la postulante qu’il avait trouvée sur Internet et où elle posait en bikini. Or, lorsque l’employeur fait fi de la vie privée de ses collaborateurs, actuels ou futurs, des sanctions existent. Il suffit notamment de songer aux amendes que peut infliger aujourd’hui l’Autorité de protection des données.

Qu’en conclure ? Il n’y a pas de réponse toute faite. Dans certains cas, ce screening est obligatoire ; dans d’autres, cela relève plutôt du choix de l’employeur car il n’y a en soi pas d’interdiction de principe. L’opportunité d’un screening dépend alors de la fonction concernée et des risques qui y sont liés. En général, ce screening peut se justifier par le droit de contrôle reconnu à un employeur en vertu de la réglementation en matière de contrats de travail, voire de sa responsabilité propre vis-à-vis de tiers pour les fautes commises par ses collaborateurs. En tout état de cause, un screening ne peut pas faire l’économie d’une analyse circonstanciée du respect de la vie privée des personnes concernées.

Par Nicolas Roland, avocat associé chez Younity.

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