Pourquoi Laga devient Deloitte Legal

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Le plus grand cabinet d’avocats de Belgique assume pleinement ses liens étroits avec la firme de consultance. Derrière ce nouveau nom se cache une stratégie de conquête nationale et internationale. La voici.

A Anvers, le fronton n’a pas (encore) été changé : c’est toujours le sigle Laga qui accueille les clients et visiteurs du bureau d’avocats. Sur Internet, par contre, vous serez directement réorienté vers le nouveau nom de la structure, Deloitte Legal. Le cabinet n’en fait pas mystère : depuis de nombreuses années, il est intimement lié au bureau de consultance, avec lequel il partage ses locaux. Mais en ce début d’année, Laga franchit un nouveau cap et sacrifie son nom historique pour afficher plus clairement son appartenance au réseau international de la firme des Big Four (appellation qui regroupe les plus grands cabinets de conseil au niveau mondial).

Laga et Deloitte, c’est une affaire qui roule. Dans le sillage de son partenaire, le cabinet a connu une forte expansion, au point de devenir le plus grand bureau d’avocats de Belgique. Deloitte Legal compte aujourd’hui 150 avocats. ” Le cabinet vient de fêter ses 20 ans. Nous sommes les premiers en Belgique à nous être associés à un bureau de consultance, tout en attirant des avocats de renom”, souligne Danny Stas, managing partner de Deloitte Legal.

Partenariat historique

Le partenariat entre Deloitte et Laga s’est avéré plutôt résistant. Ce n’était pourtant pas écrit dans les astres. A une certaine époque, les rapprochements opérés entre avocats, consultants et auditeurs ont en effet été vus comme des liaisons dangereuses. Au début des années 2000, le scandale Enron (un géant énergétique américain qui a maquillé ses comptes puis a fait aveu de faillite) a mis au jour des conflits d’intérêts chez son consultant, la firme Arthur Andersen. L’affaire a débouché aux Etats-Unis sur des règles strictes de séparation entre les activités de conseil et les activités d’audit des grands bureaux de consulting. Effet collatéral : les liens établis entre cabinets d’avocats et consultants se sont alors distendus. Notamment en Belgique, où le cabinet d’avocats Lawfort, qui avait rompu ses relations avec son partenaire PricewaterhouseCoopers, a même fini par disparaître.

Deloitte a fait le choix stratégique de construire sur le long terme une alliance solide avec le cabinet Laga.

Contrairement aux autres Big Four, qui se sont mis plus récemment à reconstruire leurs liens avec des bureaux d’avocats ( lire l’encadré), Deloitte a fait le choix stratégique de construire sur le long terme une alliance solide avec le cabinet Laga. Les ordres d’avocats, qui ont parfois regardé ces partenariats d’un mauvais oeil, les tolèrent désormais sous certaines conditions. Pour respecter les règles d’indépendance des avocats édictées par le barreau, les deux entités ne peuvent pas être liées structurellement. ” Nous fonctionnons sur le principe d’une association de frais “, explique le managing partner de Deloitte Legal, qui est par ailleurs membre de l’Ordre du barreau néerlandophone de Bruxelles et donc très au fait des règles déontologiques régissant la profession d’avocat.

Pourquoi Laga devient Deloitte Legal

Des développeurs à disposition

Via l’association de frais, le cabinet d’avocats et le bureau de consultance partagent certaines dépenses. Deloitte Legal peut utiliser certaines ressources de Deloitte, moyennant rémunération. ” Nous ne sommes pas subsidiés par Deloitte, assure Danny Stas. Ils n’ont aucun intérêt à nous accorder une ristourne. ” Les informaticiens et les développeurs de Deloitte sont à la disposition de l’ex-cabinet Laga : ” Nous n’avons pas les moyens d’engager 50 personnes pour gérer notre informatique et développer de nouveaux outils. Nous passons par les équipes de Deloitte, qui nous facturent leurs services “, précise Danny Stas.

C’est en faisant appel aux développeurs de Deloitte que le cabinet d’avocats a pu mettre sur pied toute une série d’outils techno-juridiques, comme Legau (un service d’automatisation de documents) ou Element (une plateforme de gestion pour les services juridiques des entreprises). Ces développements ont permis à Laga de décrocher le prix du meilleur cabinet en legaltech décerné lors des derniers Trends Legal Awards.

Le cabinet d’avocats peut donc avoir accès aux services (facturés) de Deloitte. Mais Deloitte ne peut pas prendre de participation dans Laga. Au contraire de la Grande-Bretagne, où le capital des cabinets d’avocats peut s’ouvrir aux investisseurs extérieurs, c’est interdit en Belgique, comme dans bien d’autres pays européens. N’est-ce pas un frein au développement des cabinets d’avocats ? ” Non, estime Danny Stas. Bien sûr, d’un point de vue économique, cela peut paraître intéressant. Mais l’indépendance des avocats, le secret professionnel, la confidentialité, etc. sont des éléments différenciateurs importants pour les clients, et qui ont donc de la valeur. ”

Au-delà du juridique

L’intérêt d’un partenariat entre un cabinet d’avocats et un bureau de consultance est aussi de proposer au client une offre globale de conseil, qui intègre des aspects juridiques, financiers, fiscaux, comptables… ” L’avenir de la profession juridique, c’est d’élargir son horizon vers d’autres matières, d’autres secteurs, assure Danny Stas. Les juristes d’entreprise se sont professionnalisés, ils sont devenus des business advisors pour nos clients. S’ils font appel à nous, c’est parce qu’ils cherchent des spécialistes du droit, mais aussi des spécialistes de leur industrie. ” Le managing partner prône une collaboration entre ses équipes et celles de Deloitte pour proposer des services de conseil multi-facette. Incidemment, le changement de dénomination de son cabinet permet à Danny Stas de miser sur une marque plus connue que la précédente dans le sud du pays. Le cabinet Laga, très orienté vers la Flandre, s’est adjoint les services de plusieurs avocats francophones ces dernières années et vise donc aussi les marchés wallon et bruxellois. Mais le nom du consultant des Big Four représente mieux la stratégie globale et les ambitions nationales du cabinet.

Avec 150 avocats, Deloitte Legal couvre à peu près toutes les facettes du droit. Le cabinet ne se limite pas au droit des affaires (droit des sociétés, fusions-acquisitions, droit du travail, etc.) comme beaucoup de grosses structures. ” Nous traitons aussi des matières moins rentables, comme le droit public ou le secteur des entreprises familiales. Nous voulons proposer une offre complète, être un vrai cabinet full services “, explique Danny Stas.

Danny Stas (Deloitte Legal):
Danny Stas (Deloitte Legal): “Nous sommes les premiers en Belgique à nous être associés à un bureau de consultance. Les autres ont suivi plus tard.”© 2019 ILLIAS TEIRLINCK

Un concurrent sérieux pour le Magic Circle ?

Avec une telle force de frappe, le cabinet a-t-il l’intention d’entrer en concurrence frontale avec les prestigieux bureaux internationaux du Magic Circle comme Allen & Overy, Freshfields ou Linklaters ? ” Notre stratégie est différente. Comme eux, nous pouvons traiter des gros deals internationaux. Mais nous ne nous limitons pas aux dossiers les plus importants, nous n’avons pas l’ambition de ne jouer qu’en Champions League “, pointe Danny Stas. Le cabinet pratique des honoraires moins élevés que ceux du Magic Circle et vise aussi le segment ” moyen ” du marché. Ses clients peuvent être de grands groupes internationaux, mais en Belgique, ce sont surtout des grosses PME.

Cela dit, Deloitte Legal devient un acteur international d’une belle envergure. L’alliance compte des cabinets dans 78 pays et rassemble environ 3.000 avocats, ce qui est équivalent au nombre d’avocats occupés par une structure mondiale comme Linklaters. Le nombre ne fait pas tout, mais c’est un atout sur lequel le cabinet pourra s’appuyer dans le futur pour attirer de nouveaux clients internationaux.

350 avocats belges sont connectés aux Big Four

Peter Suykens (EY Law)
Peter Suykens (EY Law) ” Depuis que nous avons changé de nom, nous avons remarqué que nous avons gagné en notoriété. “© DANN

Les 150 avocats de Deloitte Legal forment le gros des troupes en Belgique. Mais ils sont loin d’être les seuls à occuper ce créneau. Ces dernières années, chaque Big Four a favorisé le développement à ces côtés d’une officine juridique.

C’est le cas de PwC, qui a créé en 2013 le cabinet Law Square à partir d’une équipe de juristes maison. La structure, rebaptisée PwC Legal, compte environ 70 avocats en Belgique et 3.500 au niveau international, répartis dans 95 pays.

EY a également profité fin 2018 de la possibilité offerte par l’Ordre néerlandophone du barreau de Bruxelles d’utiliser sa propre marque pour identifier son cabinet ” frère “. EY Law (ex-HVG) compte une cinquantaine d’avocats. ” Au niveau de notre image, la marque EY est un énorme atout, observe Peter Suykens, managing partner d’EY Law en Belgique. Depuis que nous avons changé de nom, nous avons d’ailleurs remarqué que nous avons gagné en notoriété, avec notamment beaucoup plus de visiteurs et de personnes qui suivent notre page LinkedIn. ”

Au niveau international, l’alliance EY Law est active dans 87 pays et compte environ 2.500 avocats. ” La croissance est très rapide. En 2012, nous étions présents dans 20 pays avec moins de 1.000 avocats “, précise Peter Suykens. La firme procède à des rachats de cabinets à marche forcée. La dernière acquisition date de juin 2019 et concerne une branche juridique du groupe Thomson Reuters, qui a débouché sur l’intégration de plus de 1.000 nouveaux professionnels du droit au sein de EY Law. En Belgique, le cabinet vise le segment ” moyen ” du marché juridique, soit les grosses PME. EY Law a quasiment doublé de taille au cours des trois dernières années, et compte poursuivre sur sa lancée, pour atteindre environ 75 avocats d’ici trois ans.

Wouter Lauwers (k law)
Wouter Lauwers (k law) ” Notre collaboration avec KPMG a commencé il y a 15 ans. “© BARDT

K Law, le cabinet lié à KPMG, n’a pas encore décidé de changer de dénomination pour être plus en phase avec le bureau de conseil. Mais la réflexion est engagée, nous explique Wouter Lauwers, managing partner de K Law. ” Notre collaboration a commencé il y a 15 ans. Dans la perception de nos clients, nous sommes clairement liés à KPMG. Mais cela pourrait avoir du sens d’intégrer KPMG dans notre dénomination. ” Comme ses alter ego, le cabinet K Law est en croissance : il totalise aujourd’hui 80 avocats. ” Notre focus est le développement régional. ” Via des acquisitions récentes de cabinets locaux, K Law s’est renforcé en Flandre (Courtrai, Anvers, Hasselt). Il développe sa propre clientèle locale, mais peut aussi compter sur les apports de clients issus de KPMG, qui représentent environ 30 % de ses dossiers.

Au total, 350 avocats belges travaillent dans un cabinet lié à une firme membre des fameux Big Four.

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