Est-ce possible de réquisitionner du personnel en Belgique ?
Face à une situation préoccupante d’approvisionnement de carburant, causée par la grève de travailleurs de TotalEnergies, les autorités françaises avaient activé le processus légal de réquisition. La France connaît une telle procédure via les préfectures. Un tel système existe-t-il en Belgique pour contraindre le secteur privé à travailler?
Après la Deuxième Guerre mondiale, le législateur belge a instauré un système de prestations minimales à devoir assurer lors d’un conflit collectif en vue de faire face aux besoins vitaux de la population. La loi relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix a été adoptée le 19 août 1948. Elle contraint certains travailleurs et certains employeurs du secteur privé, participant à une grève ou un lock-out, à suspendre momentanément le conflit et à reprendre le travail.
Une “réquisition” concertée
Contrairement à ce qui se fait en France, ce n’est pas le gouvernement qui est à la manoeuvre mais les commissions paritaires. La Belgique étant une terre de concertation, ce sont les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs qui ont la lourde tâche de déterminer les besoins vitaux et les services à assurer. Elles peuvent même désigner le personnel qui doit accomplir les prestations nécessaires, le gouvernement disposant de la capacité d’agir exclusivement en dernier recours.
Cette approche moins administrative et stricte a été voulue par le législateur et les partenaires sociaux. Le mot “réquisition” n’apparaît d’ailleurs pas dans la loi. A notre connaissance, des mesures ont été prises sur cette base dans les secteurs énergétique, pétrolier, hospitalier et horeca. La commission paritaire de ce dernier secteur a jugé que même en cas de conflit collectif, la préparation et la distribution des repas devaient être assurées pour les hôpitaux, les prisons, la police, etc.
Pourrions-nous observer des réquisitions de personnel du secteur pétrolier telles que vues en France? Oui et non car, si un texte est prévu, il balise fortement le processus et maintient le caractère fondamental du droit de grève: les besoins vitaux visés sont le déchargement des navires, le maintien dans les raffineries d’une production réduite pour éviter les avaries ou pertes de matières premières, le service de garde et d’incendie et la distribution du carburant pour certains secteurs (hôpitaux, boulangeries, laboratoires pharmaceutiques, installations frigorifiques, etc.). La distribution de carburant à la population pour faire fonctionner les véhicules n’est pas visée, évidement.
Une loi rarement invoquée
Fréquemment utilisée dans les conflits collectifs dans les années 1950-1951, la loi du 19 août 1948 est aujourd’hui rarement invoquée (seulement quatre fois dans les années 1990, dans des entreprises Seveso). L’intervention du pouvoir exécutif est exceptionnelle. On relève son implication dans le contexte évoqué précédemment, concernant le secteur des carburants, lors de la crise pétrolière des années 1970.
Le pays étant en crise, il est possible que l’inflation et l’augmentation vertigineuse du coût de l’énergie génèrent des conflits collectifs, voire des grèves générales. Qui sait? Peut-être que la loi de 1948 devra être ressortie de l’armoire poussiéreuse du législateur pour assurer les besoins vitaux de la population…
Vincent CHIAVETTA, Avocat en droit du travail chez Litiss
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