Comment les avocats bruxellois renforcent leur réseau international

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Une mission économique de Brussels Invest & Export emmène des avocats d’affaires à Washington. Objectifs : décrocher de nouveaux partenariats, fortifier la visibilité des cabinets bruxellois à l’international et consolider la position de Bruxelles comme capitale mondiale du droit.

Dans les rues de Washington, ça fourmille d’avocats. Rien d’étonnant à cela : la capitale américaine, siège du Congrès et de la Maison-Blanche, est le repère des lobbyistes, consultants et conseillers en tous genres. La ville en compterait jusque 100.000 (pour 650.000 habitants) ! Mais en cette fin du mois de septembre au climat typique de l’été indien, DC connaît un véritable pic de l’activité juridique. Le gratin des avocats d’affaires s’est en effet donné rendez-vous à Washington. Pendant une semaine, les plus grands cabinets du monde se ruent sur la capitale américaine à l’occasion de la conférence annuelle de l’IBA, l’association du barreau international. Plus de 6.000 avocats et juristes du monde entier participent à cette grand-messe du droit, inaugurée par la patronne du FMI Christine Lagarde.

La Belgique y est représentée par une petite centaine d’avocats. Dont la moitié environ a embarqué dans le cadre d’une mission économique organisée par Brussels Invest & Export (BIE), l’organisme chargé de promouvoir les activités internationales des entreprises bruxelloises. Depuis plusieurs années, BIE porte une attention particulière au secteur juridique, un domaine économique porteur pour notre capitale. A lui seul, le barreau de Bruxelles (ordres francophone et néerlandophone confondus) compte plus de 8.000 avocats. A ce contingent s’ajoutent les juristes d’entreprise et autres conseillers juridiques actifs dans des activités de consultance ou de lobbying européen.

Cette position centrale dans l’Union européenne attire les plus grands cabinets d’affaires internationaux. Derrière les incontournables Londres, Washington et New York, Bruxelles occupe une place importante comme capitale mondiale du droit. La Région souhaite renforcer ce statut. ” Nous concentrons notre énergie sur des secteurs stratégiques, grâce auxquels Bruxelles peut faire la différence par rapport aux autres régions du pays, explique Marc Daugherty, area manager Amérique du Nord chez BIE. Vu son caractère urbain, Bruxelles ne possède plus de grande activité industrielle. C’est une ville axée sur les services. Parmi ceux-ci, les services juridiques représentent un domaine d’activité important, qui plus est non délocalisable. C’est la raison pour laquelle nous développons des actions pour soutenir les cabinets bruxellois dans leur développement international.”

C’est la troisième fois que Brussels Invest & Export emmène des avocats bruxellois à la conférence annuelle de l’IBA. “L’objectif est de les aider dans leur stratégie commerciale et dans leur expansion internationale, poursuit Marc Daugherty. Nous voulons leur montrer qu’ils peuvent utiliser nos relais, notre réseau de diplomates et d’attachés économiques, pour trouver de nouvelles opportunités d’affaires.”

Séance de drague

A Washington, dans le centre de conférence labyrinthique de l’hôtel Marriott, le barreau international organise des centaines de conférences et de séminaires sur tous les sujets juridiques du moment. De la nouvelle législation sur les drones au risque de “commoditisation” de certains domaines du droit, en passant par les risques juridiques posés par l’application Pokémon GO, il y en a pour tous les goûts et pour toutes les spécialités. Mais ce qui intéresse surtout les avocats d’affaires qui arpentent les couloirs feutrés de la conférence, ce sont les contacts avec les juristes de grandes entreprises et, surtout, les confrères étrangers.

Cet événement juridique, sorte de Who’s Who du droit, est l’occasion de rencontrer des avocats partenaires, présents ou à venir. Une gigantesque séance de drague se déroule donc pendant une semaine entre les milliers d’avocats présents à Washington. Mais l’affaire est sérieuse. Trouver une bonne association transnationale, c’est s’assurer un nouveau flux de dossiers. Ces partenariats entre cabinets étrangers sont indispensables dans un monde des affaires fortement axé sur l’international. “Les dossiers purement belges deviennent extrêmement rares. Je n’en ai eu qu’un seul depuis le début de l’année”, pointe Damien Comen, associé chez Liedekerke. Pour un cabinet belge, les partenariats internationaux sont d’autant plus cruciaux que la taille réduite de notre pays et de son tissu économique limitent les opportunités de gros “deals” basés exclusivement en Belgique. La dépendance vis-à-vis de l’étranger est forcément plus forte. “Les cabinets belges sont importateurs nets de dossiers. On fait plus souvent appel à nous que nous ne faisons appel à des collègues étrangers”, souligne Damien Comen.

Si son cabinet envoie chaque année des représentants à l’IBA, cet avocat spécialisé dans le domaine des fusions-acquisitions participait à sa première conférence, avec trois collègues de chez Liedekerke. Au cours de leur séjour à Washington, ils ont rencontré plus de 40 cabinets (ukrainiens, espagnols, argentins, américains, etc.), dont près de la moitié ont déjà manifesté de l’intérêt pour une éventuelle collaboration avec le bureau bruxellois. Liedekerke fait partie d’une alliance internationale de cabinets d’affaires, Lex Mundi. Cette alliance n’étant pas exclusive, le cabinet bruxellois peut nouer des partenariats avec d’autres structures avec lesquelles il partage une même vision. “Notre réputation est notre actif le plus important. Nous devons choisir soigneusement les cabinets avec lesquels nous travaillons”, avance Damien Comen. Dans chaque pays, Liedekerke souhaite disposer d’une short list de deux ou trois cabinets référents qui pourront s’occuper des aspects locaux des dossiers de leurs clients.

Cabinets indépendants et cabinets de niche

Le cabinet Altius aussi est venu en force pour consolider ses relations internationales. Emmenée par la managing partner Sylvie Dubois, une délégation de cinq avocats enchaîne les réunions, le networking et les late night parties organisés aux quatre coins de la ville. “Nous avons une dizaine de rencontres par jour. Le programme est assez intensif. Heureusement qu’il y a Uber pour se déplacer d’un meeting à l’autre !”, sourit Sylvie Dubois. En habitué de l’IBA, le cabinet a organisé ses journées de manière très précise, afin d’optimiser le temps passé sur place. L’objectif principal étant de renforcer des partenariats existants et d’en décrocher de nouveaux. Pour plus de visibilité sur place, l’équipe s’est glissée dans certains panels d’orateurs. “Cela renforce notre crédibilité et permet de se faire repérer plus facilement “, explique Sylvie Dubois.

Une belle brochette de cabinets belges sont venus se montrer sous leur meilleur jour à Washington. On y croise des représentants d’Eubelius, Stibbe, NautaDutilh, CMS DeBacker, Loyens & Loeff, Laga, Van Bael & Bellis… Ces cabinets d’une certaine taille, qui font souvent partie d’alliances internationales, sont en permanence à la recherche des meilleurs partenaires. Mais ils ne sont pas les seuls. Des cabinets de plus petite taille, actifs dans un secteur de niche, peuvent aussi en profiter.

C’est le cas du bureau Afschrift, spécialisé dans la fiscalité. “Je suis en prospection commerciale”, indique Tristan Krstic, avocat chez Afschrift. Courant de séminaires en meetings, l’avocat a pour mission de faire connaître ce cabinet de niche bénéficiant d’une grande notoriété en Belgique, mais qui est beaucoup moins connu en dehors de nos frontières, malgré une présence dans certains pays stratégiques comme la Suisse, le Luxembourg ou Hong Kong. “J’ai déjà sorti 200 cartes de visite. Je dois en faire réimprimer”, s’amuse Tristan Krstic. L’avocat, qui développe une expertise en droit commercial et en droit de la franchise pour le cabinet Afschrift, tente de repérer des cabinets intéressés par une collaboration. “Notre bureau est assez spécifique. Il n’y a pas vraiment de cabinet similaire au nôtre dans les autres pays. Cela complique ma recherche d’alliances”, pointe Tristant Krstic. Mais l’avocat reste enthousiaste : “C’est la première fois que le cabinet envoie un représentant. Il faut se faire connaître petit à petit. Il faut investir du temps dans ce projet. Je suis convaincu que cela sera intéressant à moyen terme. Il y a des gens dans le monde entier qui peuvent avoir besoin de nos services.”

Guillaume Blauwart poursuit une démarche similaire. En compagnie de plusieurs anciens de chez Deloitte, il a créé Pragma International, un petit bureau comptant 25 comptables-fiscalistes, orienté exclusivement sur le marché international. Ses clients sont des multinationales qui ont besoin d’un bureau bruxellois pour gérer les aspects belges de leurs activités. Ses partenaires naturels sont les cabinets d’avocats, qui lui confient une partie de leurs affaires lorsqu’une question de fiscalité ou comptabilité belge est en jeu. “Nous avons déjà des partenariats avec des cabinets néerlandais, français et italiens et nous voulons développer notre réseau en Europe. Nous souhaitons grandir grâce aux dossiers internationaux, c’est là que se situe notre valeur ajoutée”, explique Guillaume Blauwart, tax advisor chez Pragma International.

Arbitre pour la Banque mondiale

Au-delà de ces possibilités d’alliances transnationales, synonymes d’une augmentation du volume d’affaires pour les cabinets, certains avocats trouvent à Washington d’autres types d’opportunités. Flip Petillion, associé chez Crowell Moring, a dans le viseur un secteur très pointu : celui de l’arbitrage. Spécialiste des questions numériques et de propriété intellectuelle, l’avocat intervient aussi dans des procédures d’arbitrage international, soit en tant que conseil, soit en tant qu’arbitre. Le programme de la mission économique l’a justement mené à la Banque mondiale. Cet énorme organisme basé à Washington, actif dans la lutte contre la pauvreté, dispose d’un organe d’arbitrage, l’ICSID. Celui-ci a pour mission de trancher les conflits qui peuvent surgir dans le cadre des contrats d’investissement octroyés par la Banque mondiale. “Mon ambition est d’être nommé arbitre dans ce domaine”, explique Flip Petillion. Grâce aux renseignements récoltés sur place auprès de responsables juridiques de la Banque mondiale, il compte bien postuler afin de figurer dans la short list d’avocats (qui compte cinq Belges) auxquels l’ICSID peut faire appel si les parties ne se mettent pas d’accord sur le nom des arbitres.

Outre ces dossiers d’arbitrage, la Banque mondiale et les milliards qu’elle brasse offrent aussi des perspectives aux cabinets d’avocats qui auraient la patience de répondre à ses appels d’offres (durée du processus : 18 mois ! ) lancés dans le cadre de ses dossiers d’investissement. Chaque semaine, la Banque mondiale mobilise, via ses différents organismes, 1,8 milliard de dollars, calcule Spiros Voyadzis, patron de la société de consultance PFD Group. Dans le lot, de nombreux dossiers offrent une composante juridique qui pourrait intéresser les avocats belges prêts à investir du temps et de l’argent dans le processus de soumission. Damien Comen (Liedekerke) n’exclut pas que son cabinet, qui répond déjà à des appels d’offres pour des autorités publiques belges et européennes, s’intéresse à ce type de dossiers. “Si le processus de soumission est facilité, comme les représentants de la Banque mondiale nous l’ont indiqué, cela pourrait nous intéresser”, indique l’avocat. Les cabinets belges ont la ferme intention de peser sur la scène internationale.

GILLES QUOISTIAUX, À WASHINGTON

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