Ancienneté et primes: attention aux discriminations!

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Dans beaucoup d’entreprises, il existe des barèmes de rémunération prévoyant une augmentation de la rémunération du travailleur à l’issue d’une période de référence (généralement chaque année). Mais ces augmentations peuvent cacher des inégalités discriminatoires.

Le raisonnement justifiant ces barèmes de rémunération est le suivant: plus un travailleur est expérimenté dans une fonction particulière, plus il est apte à accomplir cette fonction. Cette meilleure aptitude est alors récompensée par une rémunération plus élevée, en fonction des années d’expérience professionnelle.

Toutefois, ce raisonnement est controversé. Le 3 octobre 2006 déjà, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait jugé dans son arrêt C-17/05 que si l’aptitude d’un travailleur expérimenté peut justifier une rémunération plus élevée compte tenu de l’expérience professionnelle acquise, il ne s’agit pas d’une règle absolue. Ainsi, selon la CJUE, une expérience professionnelle supérieure ne conduit pas nécessairement à un meilleur travail. Elle ne justifie donc pas dans tous les cas une rémunération plus élevée.

Les hommes plus expérimentés

L’affaire concernait une travailleuse ayant 10 ans d’expérience et qui gagnait une rémunération moindre que ses collègues masculins, plus expérimentés. Bien que la CJUE n’ait pas pris position sur les faits particuliers de cette affaire, elle a conclu qu’il fallait examiner si l’utilisation de l’expérience professionnelle comme critère ne constituait pas une discrimination indirecte fondée sur le sexe, compte tenu du fait que les employés en poste depuis longtemps étaient principalement des hommes et que les employés embauchés plus récemment étaient principalement des femmes.

Une condition d’ancienneté malvenue

Dans son jugement du 9 septembre 2021, la cour du travail de Bruxelles a également conclu que l’expérience professionnelle n’était pas systématiquement un critère justifiant la différence de traitement en matière de rémunération. L’affaire concernait le contentieux relatif à la rémunération des sapeurs-pompiers de la ville de Nivelles. Leur système de rémunération prévoyait une prime supplémentaire pour le travail de nuit ou de week-end. Cette prime était toutefois soumise à la condition que le pompier soit en service depuis au moins cinq ans.

La cour du travail a examiné l’objectif de la prime en question, à savoir compenser les pompiers pour les inconvénients qui résultent de leurs gardes pendant la nuit ou le week-end. La cour a noté que cet objectif n’avait rien à voir avec l’expérience professionnelle. En effet, rien ne démontre que le travail de nuit ou du week-end causerait plus ou moins d’inconvénients en fonction de l’expérience professionnelle. La cour a donc conclu que l’exigence de cinq ans d’ancienneté violait le principe d’égalité consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que la différence de traitement était fondée sur un critère non pertinent par rapport à l’objectif poursuivi par la prime. La cour du travail a ainsi jugé que les pompiers ayant moins de cinq ans de service avaient également droit aux primes.

En conclusion, lors de l’utilisation de barèmes basés sur l’expérience professionnelle dans le calcul d’un avantage, il est important d’examiner soigneusement si le critère d’aptitude du travailleur est pertinent au vu de l’objectif poursuivi par l’avantage.

LAURENT DE SURGELOOSE, Avocat associé chez DLA Piper et FREDERIC BRASSEUR, Avocat chez DLA Piper

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