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La monnaie est un voile
Et si tout ceci n’était qu’une immense illusion ? Si ces milliards de dettes, de plans de relance, de déficits publics n’étaient que des expressions virtuelles ?
Jean-Baptiste Say (1767-1832) est un des économistes français majeurs. Issu d’une famille protestante qui avait dû fuir la France au moment de la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, Say est connu pour ses pensées libérales, mais surtout pour sa liberté de pensée.
Say a traversé la Révolution française avec enthousiasme mais c’est probablement la lecture du texte fondateur d’Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié en 1776, qui bouleversa sa perception de l’économie.
Ecarté par Napoléon, ce n’est vraiment qu’au moment de la Restauration que Jean-Baptiste Say structure sa pensée libérale, fondée sur la propriété privée, le libre-échange et la libre-concurrence. Dans ce cadre, il établit la loi des débouchés, qui postule que l’économie de marché se régule de façon spontanée en situation de concurrence. Say est un précurseur des théories de l’offre, opposées aux idées que Keynes exprimera un siècle plus tard.
Say avançait aussi que la monnaie n’est qu’un voile. Cette réflexion troublante se réfère au caractère relatif de la monnaie. Cette dernière n’est qu’un étalon permettant de mesurer l’échange. La monnaie a un rôle passif, se limitant à distinguer les sphères des économies réelle et monétaire.
La monnaie vue sous divers angles
Par sa fonction de véhicule d’épargne ou d’emprunt (qui est de l’épargne négative), la monnaie donne une valeur relative au temps. Le prix de la monnaie, c’est-à-dire le taux d’intérêt, est le facteur qui permet d’équilibrer la consommation actuelle avec son report dans le temps (par l’épargne) ou, au contraire, avec son anticipation (par l’emprunt).
Immanquablement, le temps et la monnaie convergent vers une métrique qui est l’expression du prix de l’avenir. Sous un angle différent, la stabilité de la valeur relative de la monnaie reflète la prévisibilité du futur. Mais ce n’est pas tout. En effet, comme la valeur de la monnaie mesure le temps, elle évalue aussi la relation d’une économie avec son propre futur social, c’est-à-dire les prochaines générations. La monnaie revêt donc une signification étatico-sociale, qui reflète la confiance dans l’organisation de l’Etat. Sous cet angle, les ordres monétaire et social reflètent des angles d’approche différents de l’avenir.
Or, que constate-t-on ces dernières années ? On observe que le rapport à l’Histoire est devenu plus immédiat, comme si le rapport au temps devenait quasi instantané.
Cette évolution, qui est souvent qualifiée de “court-termisme”, reflète un phénomène plus profond. Il s’agit, à notre intuition, d’un basculement de la perception du temps. Pendant très longtemps, nos économies ont bâti un rapport à la monnaie qui relevait de la capitalisation (c’est-à-dire partant du passé vers le futur). Progressivement, un basculement s’est opéré vers un rapport à la monnaie qui relève de l’actualisation (c’est-à-dire partant du futur vers le présent). Ce basculement consacre une perception anglo-saxonne de l’économie.
Subordonner l’ordre monétaire à l’ordre social
Si les valeurs du temps et de la monnaie sont liées, comment l’immédiateté du rapport au temps se traduit-elle en termes de valeur de la monnaie ? Un élément de réponse réside dans l’idée que le basculement de référentiel s’accompagne d’une volatilité de la valeur monétaire. En effet, les évolutions conjoncturelles ne sont plus lissées dans le temps, mais ressenties dans le présent. Cela conduit à une volatilité de la valeur de la monnaie, dont le pouvoir d’achat va, beaucoup plus qu’auparavant, subir des variations brutales. Celles-ci pourraient s’exprimer dans un sens favorable (appréciation du pouvoir d’achat) ou défavorable (dépréciation du pouvoir d’achat).
Il nous semble intuitivement que les variations de pouvoir d’achat vont s’exprimer dans un sens défavorable. Cette précarisation de la valeur de la monnaie prendra la forme de l’inflation. En effet, les garants de la valeur de la monnaie, c’est-à-dire les Etats, sont aujourd’hui trop endettés pour en garantir la pérennité, comme auparavant. Les créateurs de la monnaie vont donc probablement subordonner l’ordre monétaire à l’ordre social. A notre perception, en créant un modèle d’Etat-providence qui a conduit à un endettement public excessif, on a perdu de vue qu’on risquait d’altérer, in fine, la valeur de la monnaie. C’est sans doute un des messages lointains de Say, que Keynes n’aurait pas démenti.
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