La Belgique candidate pour accueillir le télescope géant Einstein
On ne sait ce qui est le plus impressionnant dans le projet Einstein : qu’il permette dans 10 ans de sonder les premiers instants qui ont suivi le Big Bang ou son coût : près de deux milliards. Dont une grande partie pourrait bénéficier à la Belgique, partenaire du projet depuis ses balbutiements, parce qu’elle l’accueillera peut-être dans son sous-sol. C’est en tout cas le souhait des scientifiques belges qui ont participé le 9 octobre au lancement officiel du projet.
Les ondes gravitationnelles sont conceptualisées par Einstein en 1915. Elles sont l’un des piliers de la relativité espace-temps. Sans relativité, les GPS nous situeraient à plusieurs mètres de notre position réelle, un écart qui grandirait jusqu’à faire entrer les avions en collision. Mais ces ondes gravitationnelles n’ont été observées directement qu’en septembre 2015. De quoi donner envie au jury Nobel de donner, la semaine dernière, leur prix de physique à des observateurs de trous noirs qui, en utilisant les ondes gravitationnelles, ont découvert un objet invisible 4 millions de fois plus grand que la masse de notre Soleil et qui tire sur les étoiles environnantes, donnant à notre galaxie son tourbillon caractéristique. Et inciter des scientifiques du monde entier de construire des télescopes qui puissent traquer ces ondes encore plus loin.
Le téléscope Einstein devrait devenir un des fleurons de la recherche européenne de pointe dans la prochaine décennie.
Objectif ? Observer le Big Bang ou du moins ce qui s’est passé juste après. Car on sait qu’en physique, plus on regarde loin, plus on observe le passé, des étoiles disparues depuis longtemps ou des supernovæ refroidies bien avant l’apparition de l’ancêtre de l’homme sur Terre. “Les ondes gravitationnelles ont l’avantage de ne pas être déviées par la matière en allant vers nous. Celles qui ont vu le Big Bang, il y a 14 milliards d’années, devraient donc nous parvenir claires et nettes, et nous révéler ce que fut la naissance d’un univers toujours en expansion”, explique le professeur Giacomo Bruno, de l’Ecole de physique de l’UCLouvain, associée au consortium multi- universitaire qui promeut le projet. “L’outil Einstein devrait aussi nous permettre de détecter des milliers de fusions d’étoiles à neutrons et d’améliorer notre compréhension de la matière dans des conditions extrêmes de densité et de pression, qui sont impossibles à reproduire sur Terre, même en labo.”
Trois tunnels de 10 km de long
Mais les télescopes nécessaires ne ressemblent évidemment en rien à celui évoqué dans L’Etoile mystérieuse de Tintin, l’oeil humain étant totalement dépassé pour appréhender ces longueurs d’onde. Leur instrument de mesure, un interféromètre géant, est enterré à plus de 300 mètres de profondeur sous terre. Le passage d’un camion ou les vibrations de travaux ne peuvent en effet pas les atteindre, sous peine de brouiller la détection. Il s’agit quand même de mesurer des variations qui se déroulent à des milliards d’années-lumière… Les quelques télescopes existants sont composés de deux tunnels disposés en T, la triangulation complétant la mesure. Le projet Einstein, lui, est carrément composé de trois tunnels de 10 kilomètres disposés en triangle, ce qui lui permet une précision inégalée. Et qui risque de le rester pour des décennies, car les moyens à mettre en oeuvre sont considérables.
Pour cela, il faut en effet s’assurer de la qualité sismique du sous-sol. Seuls deux sites d’implantation restent en lice. L’un est en Sardaigne, sur une plaque stable séparée du continent italien, où il peut bénéficier d’anciennes mines. L’autre, au coeur de l’Euregio Meuse-Rhin, est en plein territoire des Trois Frontières, dont fait partie Liège. Il a l’avantage de comprendre des sous-sols de trois pays contributeurs au projet. “Nous allons étudier plus en détail la qualité mécanique des roches, mais d’ores et déjà, nous savons qu’elle exclut le ruissellement d’eau, qui pourrait être nocif au projet”, explique le professeur Frédéric Nguyen, du département de physique appliquée de l’ULiège. L’outil devrait donc passer sous les trois pays, comme l’accélérateur de particules LHC ( Large Hadron Collider) du Cern en Suisse, lequel est largement installé sous le sous-sol français. Construit, Einstein devrait entraîner une notoriété similaire au LHC qui fait régulièrement les gros titres de la presse scientifique. A côté de l’étude préalable d’implantation, qui comprendra une étude d’incidence environnementale, il y a aussi l’élaboration d’un prototype de grand miroir suspendu en silicium à température cryogénique (inférieure à -150 °C). “Il s’agit évidemment d’un prototype jamais réalisé à ce jour. La mise en place de ce prototype améliorera la sensibilité du télescope Einstein sur les basses fréquences générées par la fusion de trous noirs massifs, explique le professeur Christophe Collette, du département Aérospatiale et mécanique (ULiège). Ce miroir doit être stable à l’échelle de 2 microns, ce qui n’a jamais été réalisé. Par rapport aux miroirs existants, il sera moins sensible au bruit et sa précision sera améliorée.” En 2024, on tranchera entre les deux sites pour un début de construction en 2027, avec un achèvement vers 2030. L’infrastructure est conçue pour un demi-siècle de fonctionnement.
Pour chaque euro investi, un “return” de 360%
Quelle sera l’addition ? Près de deux milliards d’euros pour l’ensemble du projet. Plus 30 millions par an pour faire tourner la machine. “Mais les retombées attendues sont estimées à un haut niveau, puisque pour chaque euro investi, le retour sera de 3,6 euros”, explique le professeur Giacomo Bruno. Si le site choisi est celui des Trois Frontières, ce retour devrait évidemment être plus important pour la Belgique.
Les applications cryogéniques, optiques et micro-instrumentales risquent d’être nombreuses. En Belgique, l’ensemble des universités, plus le Fonds national de la recherche scientifique et son homologue flamand soutiennent le projet. Les deux fonds dédiés à la recherche des Communautés ont mis 100 millions dans Einstein. “Pour réunir les 15 millions destinés aux études préliminaires à la construction, baptisée E-Test, les différentes régions impliquées ont mis 40% des montants, 50% venant de fonds européens -“, explique Michel Morant, directeur de l’Interface Entreprises-Université de l’ULiège. “Il est essentiel de comprendre que si ce type de projet a de grandes retombées économiques, il n’aura pu voir le jour que parce que de la recherche fondamentale d’excellence a été menée. Nous ferons reculer les frontières de la connaissance en bâtissant ces outils. Et ces investissements nous feront aussi exister sur la carte du monde, dans un contexte extrêmement concurrentiel.”
En septembre, le consortium d’universités issues de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Espagne, de la Pologne et de l’Italie, soutenu par des institutions françaises, allemandes, hongroises, norvégiennes, suisses et britanniques, ont soumis le projet de construire Einstein sur le sol européen. Il devrait devenir un des fleurons de la recherche européenne de pointe dans la prochaine décennie.
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