Jeremy Le Van, “VP of product” chez Cowboy: “Les entrepreneurs doivent vendre une vision”

Jeremy Le Van © THOMAS NOLF

Après une vente réussie de sa start-up Sunrise aux Etats-Unis et un passage de trois ans chez l’acquéreur Microsoft, Jeremy Le Van est de retour en Belgique. Il met son expérience au service de la scale-up bruxelloise Cowboy en tant que “VP of product”. L’occasion d’une interview sur son parcours et ses nouveaux défis.

Fraîchement recruté par la start-up belge Cowboy pour prendre la tête du département “produits”, Jeremy Le Van fait son retour dans le business, en Belgique cette fois. Jusqu’ici, le jeune homme (35 ans) était plutôt l’archétype du fondateur belge de start-up qui a réussi au pays de l’oncle Sam. Après un passage dans l’équipe design de Foursquare, Jeremy Le Van cofonde Sunrise qui a d’abord rencontré un vrai succès d’audience (plus de 6 millions d’utilisateurs) avant de séduire le géant du software Microsoft. La firme fondée par Bill Gates a, en effet, mis la main sur sa start-up en 2015 pour la modique somme de 100 millions de dollars. Ce rachat l’a mené, pendant trois ans, au sein de l’équipe d’Outlook avant de revenir en Belgique l’année dernière.

Les fondateurs de Cowboy ont une ambition incroyable, tant au niveau de la croissance que du développement de nouveaux services.

On vous connaît comme fondateur de Sunrise, donc entrepreneur. Qu’est-ce qui vous a amené chez Cowboy en tant que ” vice president of product ” ?

Depuis un an, je suis de retour en Belgique après l’expérience Sunrise, sa vente à Microsoft et trois ans au sein de la division Outlook chez Microsoft. Je voulais être plus proche de l’écosystème des start-up européennes et notamment belges. J’ai réalisé des missions de consultance pour une série de start-up, j’ai investi dans certaines start-up. Et cela fait un petit temps que je discute avec les fondateurs de Cowboy qui m’ont proposé de les aider, mais il m’a fallu un moment avant de me décider à les rejoindre.

Pourquoi ? La décision était compliquée ?

Disons que j’avais plusieurs projets en vue. J’avais des missions de consultance mais j’ai aussi examiné quelques idées pour relancer des start-up. Celles-ci n’ont pas abouti. Et au stade actuel de développement de Cowboy, j’ai estimé que c’était le bon moment. Et le défi m’excite fortement.

Jeremy Le Van,
© THOMAS NOLF

Qu’est-ce qui vous a séduit au final et quel sera votre rôle chez Cowboy ?

Cowboy est une magnifique scale-up. Outre le produit (un vélo électrique connecté, Ndlr), la boîte (qui a levé des fonds en début d’année) est entrée dans sa phase d’internationalisation et de grosse croissance, avec l’ouverture de plusieurs marchés en Europe : la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, etc. Les fondateurs ont une ambition incroyable, tant au niveau de la croissance que du développement de nouveaux services. Et le challenge me plaît. En tant que vice-président produit, je vais prendre en charge les développements de l’application mobile liée au vélo ainsi que tous les services additionnels que l’on peut imaginer.

On imaginait vous retrouver à la tête d’une start-up et vous dites que vous aviez des pistes. C’est difficile de se relancer après une aventure comme Sunrise ?

Parfois, c’est angoissant. On a la crainte de ne pas réussir à rebondir. Je n’avais pas envie de rester trop longtemps sans me relancer, mais pour toute une série de raisons, c’est un processus qui prend du temps. Après mon passage de trois ans chez Microsoft, j’ai eu une série d’opportunité au sein de boîtes comme Facebook ou Airbnb et de diverses start-up en Europe. Je n’ai pas opté pour celles-ci car j’ai le virus entrepreneurial. J’ai donc approfondi certaines idées de boîtes. Mais soit le projet ne m’excitait au final pas assez, soit il n’y avait pas l’adéquation humaine avec des associés. Trouver la bonne personne dans un projet entrepreneurial est fondamental pour moi. Et puis les défis chez Cowboy m’ont vraiment intéressé. Il y a pas mal de dimensions passionnantes : du hardware, du software, de l’international, de nouveaux business…

Honnêtement, vu votre parcours, cela ne sera-t-il pas compliqué de rejoindre une start-up qui n’est pas la vôtre ?

Il y a un défi, c’est vrai, pour l’entrepreneur que je suis. Mais il faut faire la part des choses et mettre une partie d’ego de côté. Car dans sa propre start-up, on est capitaine. Ici la machine est rodée et je déciderai moins. Mais je connais bien les fondateurs. Ils attendent de moi que je leur apporte mon expérience et mes idées, que je vienne avec de nouveaux concepts, que je les titille et que je lance de nouveaux challenges. Un peu comme un consultant. Ce qu’il est possible de faire dans une start-up comme Cowboy, à ce stade du développement, est grisant à l’heure où les questions de mobilité demandent à être résolues… J’aime savoir que j’oeuvre à apporter des solutions sur des problématiques concrètes.

Chez Sunrise, vous vous étiez lancé dans un agenda d’un genre nouveau. Aviez-vous aussi une vision d’un gros problème sociétal à résoudre ?

A l’époque, en 2012-2013, alors que l’App Store n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui, nous avions constaté qu’apparaissaient de plus en plus d’applications de start-up indépendantes qui venaient concurrencer des fonctionnalités de base du téléphone : les gens utilisaient Spotify plutôt qu’iTunes, etc. Or, le calendrier/agenda était une fonctionnalité mise de côté. Et on était persuadé de pouvoir créer un meilleur agenda. De manière d’abord un peu naïve et puis on s’est rendu compte qu’on touchait à quelque chose de plus fondamental que simplement l’agenda. On parlait de la gestion du temps. Un vrai sujet. Et les investisseurs l’ont compris. Comme nous, ils ont vu l’immense opportunité que cela représentait. Une mine d’or ! Ce que l’on devait ” vendre ” au final, ce n’était pas un nouvel agenda mais une vision beaucoup plus large que ce que les autres voient : résoudre les questions liées à la gestion du temps. Les entrepreneurs doivent vendre plus qu’un produit, ils doivent vendre une vision.

Cela a-t-il été facile de convaincre les investisseurs de vous suivre ? Vous avez convaincu Balderton qui a notamment investi dans Revolut, Citymapper, etc.

Oh vous savez, tout n’a pas toujours fonctionné. Nous avions été voir de beaux fonds comme Sequoia et d’autres dans la Silicon Valley. Nous avons eu des refus et quelques claques. Les fonds les plus sexy ont un énorme filtre à l’entrée et nous avons eu des réponses comme ” le timing n’est pas bon ” ou ” les chiffres ne sont pas encore assez bons “, etc. Un autre exemple : nous avions postulé au fameux Y Combinator aux Etats-Unis et avions été admis pour une interview. C’était encore son fondateur, Paul Graham, qui s’en chargeait. Il n’a pas du tout cru dans notre projet et j’ai encore son e-mail où il expliquait que le calendrier n’était pas un vrai problème. Que c’était un bug que Google et Apple allaient régler…

Jeremy Le Van,
© THOMAS NOLF

Visiblement, il se trompait puisque Sunrise est rapidement parvenue à convaincre des millions d’utilisateurs…

Nous avions six millions d’utilisateurs. La phase test, lorsque nous étions encore à Bruxelles, nous avait rapidement amenés à 100.000, puis lorsque nous avons lancé Sunrise à plus grande échelle depuis les Etats-Unis, ça n’a pas arrêté. Le bouche à oreille, la presse et la visibilité de notre appli dans l’App Store, nous ont menés à trois millions puis à six.

Et ensuite vous avez tapé dans l’oeil de Microsoft qui a racheté Sunrise, âgée de trois ans seulement et sans rentrée financière, pour 100 millions de dollars. Expliquez-nous comment vous en êtes arrivés là ?

Le succès de l’application nous a permis de lever des fonds, plus de 8 millions de dollars au total. D’abord 2,2 millions en seed puis 6,6 millions en série A. Ce qui était confortable pour nous permettre de nous développer. Nous n’étions pas vendeurs à la base et l’on sentait qu’on était sur une bonne tendance. D’ailleurs, dès qu’on a levé nos deux premiers millions, on a été approchés à plusieurs reprises par Airbnb, Dropbox, Pinterest, Facebook… Mais uniquement pour de l’acquisition de talents. Ils voulaient reprendre la société, la coquille. Et ils partaient sur un calcul visant à rembourser les investisseurs et offraient environ 500.000 dollars par ingénieur. Mais comme on avait levé, cela n’avait pas d’intérêt pour nous.

Nous avons aussi eu des refus et quelques claques pour Sunrise.

Vous deviez être très sûrs de vous pour refuser de telles offres, car une start-up reste un pari risqué…

Nous aurions accepté si les choses allaient mal. Quand on est entrepreneur, que l’on a une équipe et un super projet, on a envie d’y croire. Nous étions convaincus et nous voulions prouver que nous pouvions réussir. Nous aurions encore préféré mourir dans les tranchées. (rires)

Mais vous avez cédé, un peu plus tard, à l’offre de Microsoft…

Quand Microsoft est venue nous voir, nous ne savions pas qu’ils allaient nous parler de rachat. Ils nous avaient dit qu’ils étaient emballés par notre technologie et nous, très naïvement, nous étions emballés par un partenariat avec eux. C’était bien, dans notre tête, de créer un lien. Une équipe est venue sur place pendant deux jours voir comment nous travaillions mais ce n’est qu’une semaine après qu’ils ont proposé de nous racheter. Nous étions perplexes et leur avons même proposé de plutôt investir dans Sunrise, ce qu’ils ont refusé. C’était un rachat ou rien. C’est alors qu’ont commencé les discussions sur le prix… En trois mois, la vente a été réalisée.

Cela a finalement entraîné la disparition de Sunrise. C’était prévu ?

Non. Nous devions rester indépendants. Mais je pense que Microsoft n’avait pas non plus prévu cela. Ce qui s’est passé, c’est qu’ils ont réalisé une autre acquisition, celle d’Acompli, à la même période. Elle est devenue Outlook et comme ils avaient besoin de grandir, notre équipe a été intégrée. Ce qui était plus compliqué pour notre équipe.

Cette intégration au sein des équipes Microsoft, vous l’avez bien vécue en tant qu’entrepreneur ?

Tout n’a pas été simple, bien sûr. Au début, pendant six mois, nous avons pu faire ce que nous voulions. Puis, cela a changé : nous avons dû accepter les règles plus strictes qu’impose un grand groupe, comme passer par leurs propres fournisseurs attitrés, etc. C’est normal d’une certaine manière. Mais pour une start-up, c’est plus compliqué. Et quand nous avons été intégrés, nous avons évidemment perdu un peu la main sur notre projet. Il a fallu gérer la politique en interne. Cet aspect-là est difficile pour un entrepreneur. Malgré tout, j’ai appris plein de choses, j’ai pu avoir accès à pas mal de ressources grâce à Microsoft. Je ne regrette pas cette expérience.

Vous deviez rester trois ans chez Microsoft, ce que vous avez fait. Après cette période, pourquoi être revenu en Belgique ?

J’ai eu des opportunités de rejoindre Messenger ou WhatsApp chez Facebook ou Airbnb. Mais pour des raisons personnelles, j’ai eu besoin de revenir en Belgique. Quand on est entrepreneur, on met surtout en avant sa vie professionnelle. On ne le dit pas beaucoup, mais la balance avec sa vie personnelle n’est pas toujours simple. Aux Etats-Unis, c’est très difficile de prendre du recul par rapport à sa start-up. En tout cas moi, je m’y impliquais corps et âme. Après Sunrise et Microsoft, j’avais envie de revenir en Belgique. Et aussi d’être plus connecté avec la scène start-up en Europe et pourquoi pas lui faire profiter de mes connexions et mon réseau aux Etats-Unis. Si Cowboy se lance un jour aux Etats-Unis, j’en serais vraiment ravi.

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