Paul Vacca
Influenceurs sous influence
Contrairement à ce que l’on est porté à croire, la propagande consiste pour une large part à prêcher des convaincus. A souffler avec le vent.
La notion de propagande est victime d’une mauvaise propagande. David Colon, professeur à Sciences Po, identifie en tout cas plusieurs idées reçues formulées à son encontre dans un passionnant essai intitulé Propagande – La manipulation de masse dans le monde contemporain (éditions Champs Histoire/Flammarion). Celle-ci ne serait pas nécessairement le fait de régimes autocratiques: née en démocratie, son appellation dérive de “propagation” qui désignait ce que l’on appelle aujourd’hui la communication. Elle ne repose pas non plus forcément sur des mensonges: en s’appuyant sur des vérités factuelles, elle en devient même plus efficace au point de se faire quasiment oublier. Il n’est pas vrai non plus qu’elle touche en priorité les moins instruits…
Contrairement à ce que l’on est porté à croire, la propagande consiste pour une large part à prêcher des convaincus. A souffler avec le vent.
De même que l’on prête souvent à la propagande des pouvoirs qu’elle n’a pas, comme celui de modifier les opinions du public ciblé. Elle consiste bien plus souvent à conforter une opinion préexistante ou des préjugés déjà bien installés. C’est un bien meilleur tremplin. Il est souvent contre-productif (et à tout le moins hasardeux et coûteux) de chercher à prouver à quelqu’un qu’il a tort. Contrairement à ce que l’on est porté à croire, la propagande consiste pour une large part à prêcher des convaincus. A souffler avec le vent.
Sur ce dernier point, il semble que nous nourrissons aujourd’hui la même idée reçue concernant une forme nouvelle de propagande apparue avec les réseaux sociaux: celle portée par les influenceurs. Le terme d'”influence”, qui emprunte au registre du magnétisme et de l’hypnose, dit tout.
A l’automne dernier, face aux signes alarmants de la reprise de l’épidémie, on a pu notamment voir sur les plateaux de télévision des épidémiologistes en proie à une certaine panique et en appeler aux influenceurs pour convaincre les jeunes de respecter les gestes barrières. Eux, pourtant pétris de rationalisme dans leur discipline, cédaient soudain aux sirènes de la pensée magique pour la communication.
Le gouvernement français est même allé plus loin quand Emmanuel Macron a lancé un défi aux youtubeurs McFly et Carlito pour promouvoir les gestes barrières ou en invitant un panel d’influenceurs sous les lambris dorés du palais de l’Elysée pour une émission intitulée Sans filtre diffusée sur YouTube et la chaîne en ligne Twitch. Derrière ces voeux pieux des experts ou ces dispositifs de communication politique, un même récit se raconte: celui d’une jeunesse qui serait sous influence de leurs idoles numériques réagissant de façon pavlovienne à leurs messages.
Or, c’est une des influenceuses invitées – Marie Lopez, connue sous le nom de EnjoyPhoenix – qui a le plus fait preuve de lucidité et de maturité quant à la réelle portée de leur influence. Elle a souligné qu’elle était invitée ni en tant que journaliste (une journaliste aurait été plus à même de porter la contradiction), ni pour livrer un message mais en tant que représentante de sa communauté, chargée de faire remonter leurs doléances. Elle a ainsi mis au jour la dialectique subtile qui lie les influenceurs aux prétendus influencés. Qui influence qui? C’est un jeu d’influence qui relève d’un champ magnétique complexe avec des boucles de rétroactions: où les influenceurs soumis à la pression référendaire constante des likes sont finalement eux-mêmes sous influence de leur communauté. Quelque part entre l’ Arroseur arrosé et le mythe de Faust.
Une logique que le personnel politique devrait être à même de comprendre. Ne lui arrive-t-il jamais d’être guidé par son électorat plutôt que l’inverse?
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