Incendies de Fort McMurray: une panne sèche pour le Canada

Scènes de désolation dans certains quartiers de Fort McMurray. © REUTERS

Avec la ville de Fort McMurray, c’est aussi un symbole qui brûle. Celui d’une ville-champignon sortie de terre pour les besoins de l’industrie pétrolière, et qui pourrait bien se voir réduite à l’état de ville-fantôme. Outre le drame humain, les conséquences seront potentiellement lourdes pour l’économie canadienne.

Depuis le dimanche 1er mai, les impressionnantes images de flammes ravageant la ville canadienne de Fort McMurray tournent en boucle dans les médias. Les incendies monstres qui se sont étendus sur plus de 150.000 hectares, ont provoqué l’évacuation des quelque 100.000 résidents de la ville et des camps alentours. Sans oublier les populations amérindiennes qui vivent sur les terres environnantes. Difficile à croire en voyant les clichés de ces scènes d’apocalypse qu’aucun dégât humain lié directement au feu ne soit à déplorer. Bien que deux décès aient néanmoins été causés par un accident de voiture lors de l’évacuation de la ville.

Vu l’étendue des dégâts matériels, il est encore impossible de savoir quand les habitants pourront rentrer chez eux, alors que les images montrent des quartiers résidentiels réduits en cendres. “Je vais être très directe (…) ce n’est simplement pas possible, ni responsable de spéculer sur le moment où les habitants pourraient rentrer” et “malheureusement, nous savons que ce ne sera pas une question de jours“, a déclaré Mme Notley, Première Ministre de la province d’Alberta.

Néanmoins, il est fort à parier qu’une fois les incendies maîtrisés, la reconstruction de la ville deviendra une priorité. Non seulement locale, mais nationale. Car Fort McMurray n’est pas n’importe quelle ville. Elle fût et restait, malgré la chute des cours du pétrole, un véritable poumon économique pour le Canada. Un poumon noir certes, mais qui abreuvait l’Etat d’une manne financière de la plus haute importance. 25% de l’économie du pays est en effet produite par la rente pétrolière. Et en termes de pétrole, Fort McMurray est reine. Les sites d’exploitations qui l’entourent concentrent près de 80% de la production nationale, rapporte Libération.

Selon Maclean’s, le quotidien local de Fort McMurray, plusieurs entreprises pétrolières ont déjà stoppé leurs activités. Des pipelines de la région ont également été fermés par mesure de sécurité. La catastrophe qui touche la ville s’annonce ainsi lourde de conséquences pour l’économie canadienne. ICI Radio-Canada explique qu’elle pourrait causer une perte de 9 milliards de dollars, d’après un analyste de la Banque de Montréal,

“Boomtown”

Fort McMurray s’est développée sur une zone particulièrement reculée, à plus de 400 kilomètres d’Edmonton, la grande ville la plus proche. Cet isolement est le prix à payer pour disposer des immenses richesses sur lesquelles elle est assise. Elle se trouve en effet au milieu d’un gigantesque territoire abritant une des plus larges réserves de pétrole au monde: les sables bitumineux de l’Athabasca. Une aire aussi grande que la Hongrie, hébergeant le plus vaste complexe industriel de la planète. Un véritable symbole de la domination de la nature par l’humain.

Le sable bitumineux est une forme de pétrole non-conventionnelle, coûteuse à extraire et très polluante. Mais qui peut rapporter gros. Depuis l’installation de plusieurs compagnies pétrolières dans son giron, la ville a connu une croissance surréaliste. Plusieurs géants de l’industrie comme Suncor, Shell, ou Syncrude y possèdent en effet des concessions tentaculaires. La population de ce qui n’était autrefois qu’un village de trappeurs n’atteignait que 6.847 habitants en 1971. Elle est passée à 37.000 en 1985, et à près de 80.000 à l’heure actuelle. La ville, qui a poussé comme un champignon au rythme de la ruée vers l’or noir, n’a pas volé ses surnoms de “Boomtown” et de “Fort McMoney”.

“Fort McMoney”, comme le titre du très bon webdocumentaire de journaliste français David Dufresne. Sorti en 2013 et hébergé sur le site d’Arte, il propose aux internautes de découvrir la ville de manière interactive, et d’en comprendre les enjeux. On y découvre un environnement aux conditions très rudes. Une sorte de Far West moderne, où des milliers de personnes vont et viennent pour tenter leur chance. Le but n’est pas d’y rester, mais de réaliser un profit rapide et de quitter la ville le plus rapidement possible.

Pendant longtemps, les groupes pétroliers ont soigné leur communication pour attirer les travailleurs. Principalement des jeunes, venus des quatre coins du pays mais aussi du reste du monde. Shell, Suncor, et compagnie disposent même de leur propre flotte aérienne pour amener tout ce petit monde à destination. Les mêmes entreprises financent aussi un nombre important de services fournis aux habitants. A Fort McMurray, on se baigne dans la piscine Syncrude, et on va voir les matchs au stade Shell.

Une crise qui s’installe

Mais le destin de cette ville hors du commun n’a pas dû attendre le terrible incendie qui l’a ravagée pour vaciller. Ces deux dernières années, la chute des cours du pétrole avait déjà largement entamé l’enthousiasme de la ruée vers l’or du grand Nord canadien. Rien que l’année dernière, l’Alberta a perdu 19 600 emplois, rapporte le quotidien canadien La Presse.

Selon Libération, les investissements prévus par l’industrie pétrolière étaient déjà en net recul, passant de 55 milliards d’euros en 2014 à 21 milliards pour 2016. La province de l’Alberta, qui était encore récemment le fleuron du Canada, patauge dans une récession qui risque de s’aggraver en vue des récents évènements.

Le Premier Ministre canadien Justin Trudeau s’est engagé à se mettre au chevet de Fort McMurray. “La ville ayant tant apporté à l’économie canadienne au fil des ans a besoin de notre aide et de notre soutien“, a-t-il déclaré.

Mais les moins optimistes craignent un possible manque d’enthousiasme en vue de la conjoncture actuelle. C’est le cas d’Allan Dwyer, assistant professeur de finances à la Mount Royal University de Calgary. Interrogé par le journal Maclean’s, il affirme “qu’il y a quelques années, quand le brut s’échangeait aux alentours de 110 dollars le baril, tout le monde aurait été sur le pont pour reconstruire et remettre les gens au travail. Aujourd’hui, la réponse pourrait être différente.

Arthur Sente (stg.)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content