Youri Dauber (Cohabs): “Nous n’avons jamais voulu nous arrêter à cinq maisons!”

Youri Dauber: "On veut ouvrir une maison Cohabs par mois et par ville." © HATIM KAGHAT (BELGAIMAGE)
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

A la tête d’une des start-up bruxelloises qui connaissent les plus fortes croissances, Youri Dauber a terminé l’année en beauté. Surfant sur la vague visiblement porteuse du coliving, cet ambitieux patron essaie toujours d’avoir deux coups d’avance. Alors qu’il vient de boucler un solide tour de table, le voilà qui dessine déjà les scénarios pour après 2026…

Youri Dauber est un CEO heureux. En 2022, la firme qu’il a fondée avec son frère Malik et François Samyn a réalisé l’une des plus grosses levées de fonds de start-up en Belgique. Cohabs a obtenu pas moins de 110 millions d’euros d’investisseurs de renom (notamment le canadien Ivanhoé Cambridge, Belfius Insurance et la SFPI) et pourra compter sur 300 millions supplémentaires dans les trois ans à venir. Cette “start-up” mi-immo mi-tech organise des espaces de colocation branchés qui cartonnent en Belgique, mais aussi en France et à New York, entre autres. En six ans, elle a créé pas moins de 1.500 chambres et prévoit d’atteindre les 5.000 lits d’ici 2026. L’occasion d’une rencontre avec cet entrepreneur trentenaire atypique.

TRENDS-TENDANCES. Vous bénéficiez d’un engagement total d’investissement de plus de 400 millions d’euros dans les années à venir. C’est une des levées de fonds les plus importantes pour une start-up belge. On imagine qu’après la satisfaction, arrivent les obligations de très grosse croissance et le stress…

YOURI DAUBER. Bien sûr que nous misons sur une forte croissance. Mais ce n’est pas si stressant que cela, car nous pensons vraiment pouvoir y arriver, de surcroît avec des partenaires institutionnels comme Ivanhoé Cambridge et AG Real Estate derrière nous. A l’inverse des private equity qui veulent une croissance à tout prix parce qu’ils ont un terme à leur investissement et veulent un rendement le plus élevé possible, les institutionnels mettent un peu moins la pression. Vous devrez passer de 1.600 chambres en six ans à 5.000 chambres en quatre ans. C’est tout de même un rythme bien plus soutenu…

Exact, on doit ajouter 3.500 lits d’ici fin 2026. Cela veut dire un millier de chambres supplémentaires par an. En 2022, nous avons augmenté de 600 lits et on en prévoit 900 nouveaux cette année.

Quelle est la stratégie pour augmenter autant le nombre de lits?

La stratégie est double. D’une part, on veut ouvrir une maison Cohabs par mois et par ville. Des maisons d’environ 10 à 15 chambres en général. A quoi on ajoute quelques projets plus grands, comme celui du passage du Nord. Nous avons pris un bail emphytéotique de 55 ans aux étages de cette galerie commerçante située entre la rue Neuve et la place de Brouckère à Bruxelles. Ce sont de très gros plateaux que l’on divise en plusieurs unités de colocation. Soit 65 lits au total, pour un cachet de maison de maître. D’autre part, la stratégie est aussi de nous lancer sur de nouveaux marchés. Aujourd’hui, nous sommes présents à Bruxelles, Paris, New York, Madrid et Luxembourg. Mais on prévoit d’ouvrir deux nouvelles villes chaque année. En 2023, on vise Londres et Washington.

Quel impact cela aura-t-il sur les équipes de Cohabs?

On compte renforcer les équipes pour assurer la croissance du groupe et répondre aux demandes de structuration de nos investisseurs. Ceux-ci souhaitent par exemple que l’on accélère l’engagement d’un responsable des ressources humaines, d’un impact manager et de financial controllers. Nos investisseurs institutionnels sont extrêmement demandeurs en termes de reporting, de gouvernance et de responsabilité sociale des entreprises. L’ambition est de nous structurer pour devenir une boîte institutionnelle d’ici fin 2026.

Initialement, nous étions plutôt des entrepreneurs de la tech. Mais aujourd’hui, force est de constater que la partie numérique est surtout au service de l’immobilier.

Pourquoi cet objectif?

L’idée consiste à nous assurer que nous disposions bien de toute la gouvernance et la structure nécessaire si nous décidons d’entrer en Bourse.

La Bourse est donc bien l’étape d’après?

En 2026, il faudra insuffler une nouvelle dynamique au sein de Cohabs. Passer de 1.600 à 5.000 chambres, c’est une étape. Celle d’après devrait être, en toute logique, de passer à 15.000 ou 20.000 chambres. Donc quand on sera parvenu à nos 5.000 chambres, plusieurs scénarios se dessineront. Soit Ivanhoé Cambridge, notre nouvel investisseur de référence, voudra nous porter à 10.000, 15.000 ou 20.000 lits. Soit il s’associera à un autre investisseur aussi grand. Soit on misera sur une introduction en Bourse.

Penchons-nous sur le business de Cohabs. Le modèle paraît simple. En gros, vous achetez des maisons, vous les rénovez puis les proposez à la colocation.

En très schématique, c’est cela. Nous achetons des immeubles vides, pas forcément en très bon état, dans les centres urbains des villes dynamiques, qui comptent de nombreux jeunes. On les rénove complètement, on les décore et on loue des chambres à des locataires généralement dans la tranche 25-45 ans.

Cohabs, aujourd’hui, c’est une série d’entreprises dont chacune opère un champ bien spécifique. Comment êtes-vous structurés?

Nous avons un holding, situé en Belgique qui détient, dans chaque marché, deux entreprises: une société immobilière (property company) et une société de gestion (operating company). La compagnie immobilière achète les bâtiments et les met en location. Mais l’operating compagy facture à l’immobilière le fait de trouver, de rénover et décorer les bâtiments. Puis elle prend une commission sur l’ensemble des loyers perçus par la société immobilière puisque c’est elle qui gère au quotidien la location, l’entretien, l’aspect communautaire, etc.

L’avantage, dans la plupart des villes, c’est qu’on y trouve un seul point de contact. Mais à Bruxelles, c’est plus compliqué..

Et donc le chiffre d’affaires provient essentiellement des loyers des colocataires?

Tout à fait. Cette année, son montant est d’un peu plus de 8 millions d’euros.

Reste qu’aujourd’hui, l’activité n’est pas encore rentable.

Il y a une double création de valeur. Dans la société immobilière, les rénovations des bâtiments permettent une plus-value potentielle sur chaque bâtiment. Cela crée de la valeur en plus de l’amortissement de la dette. C’est un gain théorique en capital, auquel s’ajoute le cash-flow des loyers qui s’accumulent. De ce côté-là, on espère atteindre à terme entre 25% et 35% de valeur sur les immeubles. A côté, il y a la société de gestion qui investit beaucoup, notamment dans les développements technologiques et en personnel, et qui ouvrent de nouveaux marchés sur lesquels les rentrées ne sont pas immédiates. Quand on se lancera sur Londres, il faudra plusieurs mois avant que le bâtiment ne soit loué. Cette partie de l’activité est donc certes en forte croissance, mais elle perd de l’argent. Environ 1,5 million cette année. Mais quand on aura atteint un nombre suffisant de chambres et donc les revenus récurrents qui y sont liés, elle deviendra rentable. On vise la rentabilité de la société de gestion dès 2025.

Vous adoptez pas mal de codes du numérique et avez un parcours de start-up dans le digital. Mais votre activité semble essentiellement immobilière. Vous voyez-vous comme une start-up de la tech ou une entreprise immobilière?

Initialement, on était plutôt des entrepreneurs de la tech et notre vision était essentiellement d’automatiser les processus, d’avoir une plateforme numérique qui optimise les locations et permet de grandir. On s’était donc vus comme une boîte tech. Mais aujourd’hui, force est de constater que la partie numérique est surtout au service de l’immobilier, qui représente 80% de la valorisation de l’entreprise. D’un autre côté, on n’aurait jamais une valorisation immobilière aussi importante si on ne la gérait pas de manière aussi optimale. Tech et immobilier sont donc liés.

Cinquante personnes travaillent chez Cohabs, gérant plus de 1.500 lits. Comment y arrivez-vous?

La recette, c’est justement cette couche numérique que l’on a développée pour gérer tous les processus. La signature du contrat de location se fait par exemple à distance, la plupart du temps au sortir d’une visite virtuelle. Et les locataires entrent la première fois dans la maison via des accès donnés dans l’application mobile, ce qui évite une remise physique des clés. L’état des lieux s’effectue aussi par le truchement de l’appli. Et dès qu’il y a un souci, par exemple un problème de plomberie, c’est géré numériquement encore via l’appli. Résultat: sur le payroll du groupe, ils ne sont que huit pour gérer l’ensemble des chambres… Et pour New York, on n’a besoin que d’une personne.

Vous vous êtes lancés dans le coliving en 2016, quand ce créneau était plutôt nouveau et le secteur pas forcément régulé. C’était compliqué?

Nous avons été confrontés à pas mal de méconnaissance et d’incompréhension car il n’y avait en effet pas de réglementation sur ce type de logements. Tout comme Airbnb à son lancement, nous étions dans une zone grise, sur laquelle nous avons surfé mais qui nous a aussi causé des soucis. Certaines communes à Bruxelles aimaient, d’autres pas. Et l’on ne savait pas toujours si c’étaient les communes ou la Région qui avaient le dernier mot, s’il fallait un permis de logement collectif ou pas, quelles étaient les normes sécuritaires, etc. Aujourd’hui, un nouveau Règlement régional d’urbanisme à Bruxelles va enfin sortir, il cadrera dorénavant toute notre activité.

Mais cette problématique est différente pour chaque ville…

C’est vrai. Mais l’avantage, dans la plupart des autres villes, c’est qu’on y trouve un seul point de contact. Mais à Bruxelles, c’est plus compliqué.

Votre vision était-elle, dès le lancement, de créer 5.000 lits?

Oui et non. Dès le départ, nous savions que nous n’allions pas nous arrêter à cinq ou six maisons. Nous voulions créer quelque chose de gros parce que nous avions le sentiment que le marché manquait de produits de coliving qui avaient du sens. Or, nous voulions mener un projet ambitieux, avec de bonnes valeurs. Mais l’ambition s’est aussi nourrie des premiers résultats et de l’ambition de nos premiers investisseurs qui nous ont soutenus et poussés dans la bonne direction, comme Alphastone et AG Real Estate.

Bien sûr, nous allons être impactés par l’augmentation des taux, du coût de l’énergie et des matières premières, mais la demande restera importante.

La crise est-elle, pour vous, une opportunité ou un point d’attention?

On la voit plus comme une opportunité dans le sens où les taux d’intérêt ont continué à augmenter. Les gens ont du mal à acheter, et puis il y a les coûts de l’électricité qui augmentent. Des solutions de logements flexibles où l’on mutualise les charges et où l’on n’est pas dépendant d’importants emprunts hypothécaires auront beaucoup de succès dans les années à venir. On le voit déjà: on n’a jamais eu autant de demandes. Bien sûr, nous allons être impactés par l’augmentation des taux, du coût de l’énergie et des matières premières, mais la demande restera importante.

Justement, pour vous qui accueillez des gens dans des formules “all in”, vos coûts énergétiques ne doivent pas être très positifs pour vos marges…

Cette année, on a indexé nos loyers pour la toute première fois. Mais beaucoup de nos maisons, probablement 70%, sont également équipées de panneaux solaires. Ce qui nous permet de minimiser l’impact énergétique. La plupart ont aujourd’hui un score PEB de C. Nos marges sous pression pour le moment, mais cela ne grève pas le business…

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