Serge Fautré: “Nous avons un milliard d’euros à investir”

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L’expertise acquise par Serge Fautré à la tête de la sicafi Cofinimmo est un atout indéniable pour permettre à AG Real Estate de jouer un rôle accru d’investisseur de référence dans des projets immobiliers. Nous l’avons rencontré avant son départ pour le Mipim.

Rachat récent du flagship store Levi’s sur les Champs- Elysées à Paris, projets Centre Monnaie et Centre 58 dans la capitale, développement et gestion d’écoles en Flandre : les dossiers immobiliers signés AG Real Estate se bousculent. Serge Fautré, qui a pris les commandes du groupe en mai 2012 après le départ d’Alain Devos, entend faire profiter de son expertise le groupe qu’il n’hésite pas à appeler “le premier développeur immobilier privé belge”. Rencontre exclusive à la veille du Mipim (le marché international de l’immobilier d’entreprise à Cannes), où AG Real Estate sera évidemment présent (stand 20, niveau 01).

TRENDS-TENDANCES. Vous êtes depuis près d’un an à la tête d’AG Real Estate. Qu’avez-vous envie de faire passer comme message à la veille du Mipim, où acteurs publics et privés belges et internationaux vont se croiser par milliers ?

SERGE FAUTRÉ. Il y a un besoin urgent de concertation entre acteurs publics et privés bruxellois. On peut le faire de manière programmée et structurée, dans le cadre de PPP (partenariat public-privé) ou de procédures de permis classiques. Mais on doit également provoquer cette concertation de manière plus informelle et récurrente. C’est une nécessité aujourd’hui et le Mipim est un lieu privilégié pour susciter ces rencontres et pour convaincre nos responsables politiques du dynamisme des régions ou d’entités locales forcément concurrentes, qui ont le développement économique pour priorité quasi absolue. Je pense notamment au Grand Lyon et à sa politique cohérente de parking et de mobilité partagée ou à Gennevilliers, en banlieue parisienne, où le maire communiste a su attirer pour 12 ans une entreprise de premier plan comme Thales Communications & Security, pour laquelle nous avons construit un nouveau siège de 87.500 m². Pour notre filiale internationale Interparking plus précisément, c’est aussi une chance unique de découvrir de nouveaux projets immobiliers commerciaux en Europe et d’agir en amont sur le volet “parking”.

La Turquie est invitée d’honneur de la 24e édition du Mipim. Un marché potentiel pour AG Real Estate ?

A coup sûr. Ageas (1) est, en association avec un acteur local — la famille Sabanci — aux commandes d’une des sociétés d’assurance turques les plus dynamiques (Ndlr, Aksigorta). Grâce à ce lien structurel, nous avons une ouverture évidente sur un marché émergent très intéressant. L’an dernier, le meeting annuel du management d’Ageas a d’ailleurs eu lieu à Istanbul. Ce n’est pas un hasard et le dynamisme local actuel a de quoi en rendre jaloux certains…

Vous avez pour le moment plusieurs gros actifs en attente de nouvelles affectations et de redéveloppements à Bruxelles. Où en est-on avec le Centre Monnaie ou le Centre 58, par exemple ?

Pour le projet du Centre 58, en lieu et place du bâtiment actuel, le marché sait qu’il y a eu un appel d’offres lancé par la Ville de Bruxelles pour y implanter ses services administratifs. On y a répondu en allant très loin dans le détail et les affectations. On nous a dit — et écrit — que notre projet était retenu. Et depuis, on attend que le nouveau collège prenne la décision finale pour débuter le projet mixte de 35.000 m².

Et si cela ne bouge pas ?

Nous regretterons le long travail de mise au point fourni avec les services de la Ville et penserons que notre projet aurait pu participer, modestement, à l’amélioration de l’accueil de la population et à la modernisation de l’administration. Mais c’est notre client et nous devons respecter son agenda.

A contrario, en Flandre, les nouvelles écoles seront livrées pour 2017 et le partenariat structurel “Scholen van Morgen” fonctionne bien… C’est la preuve que sphères publique et privée ont tout à gagner à se concerter et à aller dans le même sens. Le potentiel est énorme : le programme de développement en cours ne concerne “que” 200 bâtiments scolaires sur les quelque 5.000 existants… Pour revenir au Centre 58 et au Centre Monnaie, dont nous sommes propriétaires du socle, nous souhaitons redévelopper ces deux sites et de réinvestir dans le centre-ville de Bruxelles dans les meilleurs délais, avec ou sans le déménagement des services de la Ville suivant sa priorité. Une réaction plus rapide serait la bienvenue. Elle réduirait les pertes locatives que nous supportons depuis bientôt cinq ans sur ces deux immeubles. Quoi qu’il en soit, un permis de bâtir mixte bureaux-logements a été introduit pour le Centre 58 qui date, comme son nom l’indique, de l’Exposition universelle. Quant au Centre Monnaie, un permis de rénovation sera introduit dans les meilleurs délais pour sa partie commerciale, dont l’impact sera très positif pour toute la zone commerçante.

Votre prédécesseur avait anglé son entretien de sortie sur le financement des projets immobiliers et le rôle complémentaire entre banquiers et assureurs. Qu’en pensez-vous ?

Les banques ont fait des choses qu’elles ne devaient probablement pas faire. Elles avaient des dépôts en partie à court terme et ont parfois prêté à 10 ou 20 ans. Certaines, par exemple, finançaient leur portefeuille de crédits à l’infrastructure partout dans le monde avec du financement à court terme. Les Européens ont clairement dépassé les bornes économiquement admissibles. A contrario, les banques américaines ont moins transformé du financement à quelques mois vers du très long terme : le marché US des capitaux est tel que, au-delà de cinq ans, on refinance par voie d’obligations, privées ou publiques, auprès de détenteurs de ressources à long terme comme les compagnies d’assurance ou les fonds de pension. Or en Europe, nous n’avons pas historiquement une culture des fonds de pensions telle qu’ils puissent remplir le rôle qu’ils jouent outre-Atlantique en matière de financement structurel à long terme. On peut d’ailleurs le regretter.

Mais on a des assureurs…

Oui. Mais les banques ne laissant jusqu’il y a peu pas de place aux assureurs, ils n’ont pu se positionner que très timidement sur ce marché structurel des capitaux. Aujourd’hui, Bâle III et la nouvelle réglementation bancaire réduisent fortement les latitudes des organismes bancaires. Prenons la plus simple opération de partenariat public-privé : la construction d’une prison et la restitution de la propriété des murs à l’Etat au bout de 20 ans. Dans ce cas de figure, le banquier fait son métier et prête à risque au promoteur durant la phase de construction. Mais une fois la prison livrée, il faut aussi en financer le fonctionnement dans la durée, durant des décennies. Et sur un terme aussi long — disons 25 ans –, la banque n’a plus autant les moyens d’action : il n’y a pas de bons de caisse à si longue échéance. C’est là que les assureurs interviennent : la durée de vie moyenne de nos passifs est à très long terme.

Est-ce la mission d’un assureur de financer l’immobilier à long terme ?

Rappelez-vous que nous ne faisons qu’une seule chose : investir et faire fructifier les réserves, les provisions des assurés de notre maison mère AG Insurance. Cette dernière est le premier assureur-vie sur le marché belge et cette identité donne à AG Real Estate des perspectives spécifiques en termes de capacité et de durée d’investissement. Nous sommes capables de prêter dans l’année jusqu’à un milliard d’euros sur des projets immobiliers ou d’infrastructures à long terme, avec un profil de risque très similaire à celui qui est notre coeur de cible. Pour autant qu’on puisse évaluer la qualité du projet et du cash-flow, on peut se montrer intéressé à prêter à un acquéreur tiers qui veut emprunter une partie des fonds à mettre sur la table… Sous réserve bien sûr que ce financement offre un rendement plus intéressant que les obligations d’Etat sur la même durée. Prenons par exemple un immeuble emblématique du centre de Bruxelles, actuellement mis en vente : nous apportons notre appui financier à un acquéreur potentiel sur la partie du projet pré-loué.

Alain Devos avait lancé cette nouvelle dynamique d’investissement, aujourd’hui dans les mains de notre CFO, Marc Van Begin. Parallèlement, nous multiplions notre présence sur le segment des programmes PPP, en répondant aux quatre phases de ces programmes : design, build, finance and maintain (DBFM). N’oublions pas aussi qu’avec 1.050 millions d’euros engagés en développements immobiliers, nous sommes, je pense, un acteur incontournable et le plus diversifié de la promotion immobilière du pays…

Quel est le poids d’AG Real Estate au sein du groupe Ageas ?

En volume, AG Real Estate gère aujourd’hui 5,5 milliards d’actifs immobiliers pour compte d’AG Insurance. Nous pesons plus ou moins 9 % du total des actifs de la compagnie, mais ce sont 9 % qui comptent. Un communiqué récent de l’agence Bloomberg stipulait d’ailleurs que les résultats d’Ageas étaient meilleurs que prévu grâce à ses activités immobilières. Nous avons également la chance de pouvoir compter sur la capacité de notre actionnaire pour financer nos projets et nos achats immobiliers, avec une réactivité enviée par beaucoup de concurrents, et d’avoir une relative indépendance d’action. Nous venons par exemple d’acquérir sans intermédiaire le rez commercial occupé par Levi’s sur les Champs-Elysées. Et il y avait des concurrents français en course… Le fait de ne pas être logé dans le même immeuble qu’Ageas souligne cette indépendance. Là où d’autres assureurs ont un département immobilier avec un directeur à sa tête, nous avons notre propre CEO et notre propre CFO. Nous pouvons ainsi entrer en concurrence directe avec des pure players des métiers immobiliers.

Pourriez-vous investir l’argent des assurés dans des sicafis ? Le problème est que le régulateur — par le biais de Solvency II — ne l’encourage pas et nous incite à préférer les obligations d’Etat, moins “risquées” selon lui. Résultat : aujourd’hui, AG Insurance possède une minorité d’actions et une grande majorité d’obligations, pour la plupart des obligations d’Etat belges.

Avez-vous pour l’instant l’embarras du choix pour sélectionner les projets et les partenariats auxquels vous participez ?

Nous devons rester très sélectifs, comme nous le sommes pour nos propres actifs et projets. Nous devons nous assurer — et assurer aux clients d’AG Insurance — que les immeubles dans lesquels nous investissons garderont leur valeur au-delà de l’échéance de retour sur investissement. Sans généraliser, on peut dire que les acteurs belges ont mieux performé ces 10 dernières années dans le secteur des bureaux que la plupart des opérateurs étrangers. Nous allons d’ailleurs valoriser notre expertise sur les marchés belge, luxembourgeois et français en matière de crédits. Nous participons déjà à un fonds français de financement et prêtons via ce fonds sur le marché hexagonal. Nous sommes co-investisseurs en France au sein du groupe Frey, spécialisé sur le segment des retail parks de périphérie. Outre les 87.500 m² de bureaux que nous venons de livrer à Paris pour Thales Communications & Security, nous nous relançons sur un nouveau projet de bureaux au sud de Paris avec le groupe Les Nouveaux Constructeurs, dirigé depuis par Olivier Mitterrand.

Comment voyez-vous votre filiale internationale Interparking progresser sur les marchés étrangers ?

Un effectif de 2.000 personnes, 290.000 places de parking réparties sur neuf pays, cela se mérite et cela se gère activement. Nous avons d’ailleurs été à deux doigts de perdre cette pépite du portefeuille quand la banque a failli tomber en faillite et qu’il a fallu renflouer les caisses avec les actifs “maison”. Aujourd’hui, nous sommes repartis dans la diversification : nous finalisons l’acquisition d’un deuxième actif au centre de Bucarest, quelques mois après l’achat du premier.

Est-on sûr que ce type d’investissement aussi loin de ses bases soit déjà pérenne ?

Qu’est-ce qui est le plus pérenne selon vous : la place de l’Université à Bucarest, actuellement en complète transformation, ou la Grand-Place de Bruxelles dans une ville où l’on voudrait que tout le monde roule à vélo ? Pour preuve, je peux vous certifier que les chiffres de fréquentation du parking de la Grand-Place, un de nos fleurons historiques, sont malheureusement en baisse pour l’instant. Cependant, malgré une conjoncture difficile, le groupe Interparking a vu en 2012 son chiffre d’affaires progresser de 4 % tout en maintenant ses excellents résultats.

Propos recueillis pas Philippe Coulée

Serge Fautré

Né à Québec (Canada), 52 ans

Marié, trois enfants

1983-1985 : J. Henry Schroder Bank & Trust Company

1985-1992 : Citibank

1992-1994 : Glaverbel Group

1994-1999 : JP Morgan

1999-2000 : Belgacom

2000-2002 : CFO de Skynet/Infosources

2002-2012 : CEO de Cofinimmo

Mai 2012 : CEO d’AG Real Estate

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