Pourquoi le Luxembourg séduit toujours autant les promoteurs belges ?

Naos. Cet immeuble de bureaux et de commerces de 14.000 m2 sera érigé sur le site de Belval. © Atenor

Les promoteurs belges se pressent toujours pour investir au Luxembourg. L’équation est simple : les marges financières y sont supérieures qu’à Bruxelles alors que le profil de risque est inférieur. Reste que seuls les gros poissons peuvent y pénétrer, vu les moyens financiers qu’il faut déployer pour financer un foncier de plus en plus élevé.

Le Luxembourg, son pouvoir d’achat élevé, sa démographie débordante, ses capitaux qui affluent, sa fiscalité attrayante et… ses promoteurs belges pour mettre le tout en musique. La plupart des grands développeurs y sont présents depuis la fin des années 1990. Une manière de diversifier les risques. Et une opportunité, surtout, de faire sérieusement grimper les bénéfices annuels.

La poule aux oeufs d’or brille-t-elle toujours autant ? Cela semble bien être le cas même si elle a dû changer de nid depuis 2011. Le segment résidentiel ayant progressivement remplacé le segment bureau, tant en termes de demandes que de marges bénéficiaires.

Pourquoi le Luxembourg séduit toujours autant les promoteurs belges ?
© IMMOBEL

Le premier a avoir flairé la bonne affaire est le développeur bruxellois Codic. En 1990, il s’aventure sur un marché peu professionnel, quelque peu désorganisé, où les acteurs se comptent sur les doigts de la main. Sa première opération concerne un bâtiment de 5.000 m2 construit le long de la route d’Arlon. Il met ensuite le cap sur le plateau du Kirchberg – le site qui concentre tous les développements de bureaux de la dernière décennie. Avant de se retirer, effrayé par la hausse du prix du foncier. Un laps de temps mis a profit pour analyser le marché et revenir par la grande porte en 2012 avec la transformation, en plein centre de Luxembourg-ville, de l’îlot Royal-Hamilius en un complexe de luxe mêlant résidentiel, bureau et retail. La première phase sera terminée en 2018.

Une sous-offre à combler

” Les développeurs belges sont tous arrivés dans les années 2000, explique Romain Muller, directeur général du courtier JLL Luxembourg. On retrouvait des noms tels qu’Allfin, Atenor, Codic, CFE ou encore Thomas & Piron. A cette époque, le taux de vacance (vide locatif, Ndlr) était de 0,5 %. Un immeuble de bureau était déjà loué ou vendu bien avant la livraison. C’était un peu l’eldorado. Le marché n’était pas très développé et était en sous-offre. Le stock ne comprenait que 1,5 million de m2. L’Europe était le principal acteur, les banques commençaient à s’installer, en prenant de plus en plus d’options. ” Le plateau du Kirchberg, à quelques centaines de mètres du centre de Luxembourg-Ville, va alors se remplir en quelques années et devenir le coeur de la place financière et bancaire local. Les chantiers se multiplient. Les deals s’enchaînent.

Un foncier à la hausse

Pourquoi le Luxembourg séduit toujours autant les promoteurs belges ?
© CODIC
Depuis la crise financière de 2008, le bureau n’est plus la panacée. Les développements mixtes sont privilégiés.

Le Luxembourg multiplie en fait les atouts pour un développeur qui s’aventure sur les terrains du résidentiel, du bureau ou du retail. On peut citer pêle-mêle la grande stabilité politique, juridique et fiscale, la facilité linguistique, le taux de croissance à la hausse ou encore la santé économique florissante – la hausse du PIB sera à nouveau de 4,7 % en 2017. Et, surtout, un niveau de risque particulièrement faible vu la forte demande. ” Mais ce qui me frappe le plus, c’est le dynamisme constant du marché, remarque Nicolas Orts, CEO d’Eaglestone, qui développe actuellement deux projets mixtes à Luxembourg, le Steinfort Parc et le Forty, pour un volume d’investissement de 25 millions. La capacité d’adaptation du Luxembourg est remarquable. Quand le secret bancaire est tombé, les autorités sont vites retombées sur leurs pattes pour en faire la deuxième place mondiale en matière de gestion de fonds. Ce climat rassure les investisseurs. ” Reste que pénétrer ce marché n’est pas donné à tout le monde. Il subsiste quelques barrières à l’entrée. Le prix du foncier, pratiquement deux fois plus élevé qu’à Bruxelles, en est une. Ce qui fait que seuls les développeurs qui ont les reins solides peuvent s’y aventurer. Les délais en matière de demandes de permis, de plus en plus longs, obligeant à geler un cash important pendant deux à trois ans, en sont un autre. Alors qu’il ne faut pas négliger la nécessité de constituer une équipe efficace sur place, ce qui demande parfois un certain temps. ” Le prix du foncier a vraiment grimpé de manière impressionnante ces dernières années, note Nicolas Orts. Vous payerez 10 millions d’euros pour un terrain situé dans le centre de Luxembourg-Ville alors qu’il ne vous en coûtera que 2 millions à Bruxelles. L’avantage, c’est que le projet est quasi-vendu avant de débuter. Ce qui diminue les risques. ”

Pourquoi le Luxembourg séduit toujours autant les promoteurs belges ?
© TT

Le marché a toutefois évolué ces dernières années. Depuis la crise financière de 2008, bon nombre de développeurs belges ont changé leur fusil d’épaule. Le bureau n’est plus la panacée. Les développements mixtes sont privilégiés. C’est notamment le cas chez Codic, Immobel ou encore CIP, qui a par exemple modifié son permis de bâtir pour développer du résidentiel au lieu du bureau pour son projet Trianon. ” Près de 3.000 logements sortent de terre chaque année alors qu’il en faudrait 7.000 par an jusqu’en 2020 “, précise Amaury Evrard, directeur du département immobilier de PwC Luxembourg. Une situation qui met les développeurs sur du velours. ” Les promoteurs gagnent mieux leur vie au Luxembourg qu’à Bruxelles, estime Romain Muller. Si le foncier est bien plus élevé à Luxembourg qu’à Bruxelles et que les coûts de construction sont semblables, les prix de vente ou de location sont bien différents. Un exemple : le prix du foncier et de construction du Blackpearl d’Immobel à Bruxelles avoisinait les 3.500 euros/m2. Pour un prix de vente moyen à 5.000 euros/m2. Pour le Royal 20 de Leasinvest, le prix du foncier et les frais de construction avoisinaient les 5.500 euros/m2. Mais le prix de vente était de 16.000 euros/m2. C’est sans commune mesure ! Le prix du foncier est double, mais le prix à la sortie est doublé ou triplé. ”

Un ticket d’entrée de plus en plus élevé

Certains tempèrent toutefois cette situation idyllique, estimant que si les risques sont moindres qu’ailleurs, ils ne font qu’augmenter depuis 15 ans, vu l’explosion des prix du foncier. ” Les marges bénéficiaires sont toujours intéressantes mais le prix de vente des appartements doit rester raisonnable, lance Olivier Beghin, CEO d’Immobel Luxembourg, qui développe actuellement six projets dont Infinity et Polvermillen, rassemblant 45.000 m2 de résidentiel à eux deux. Les arbres ne vont pas monter jusqu’au ciel. La croissance des prix s’atténuera à un moment. Il faudra y être attentif. En fait, le rendement n’est pas très différente entre Bruxelles et Luxembourg. La vraie différence provient du profil de risque, qui est bien plus limité. Ce qui est un avantage indéniable. ” Un constat que partage également Stéphan Sonneville, le CEO d’Atenor présent depuis 1999 au Luxembourg et qui vient de lancer le projet Naos (14.000 m2 de bureaux et commerces) : ” La concurrence est aujourd’hui beaucoup plus importante qu’hier. Les marges restent importantes mais le ticket d’entrée a augmenté. De même que les risques, vu la hausse des prix du foncier qui a été multiplié par quatre en 15 ans. C’est un marché porteur mais il ne faut pas y aller non plus la fleur au fusil “.

Le stock de bureaux compte aujourd’hui de 3,9 millions de m2, dont la moitié a moins de 15 ans. Les futurs développements, tant en résidentiel qu’en bureau, se concentrent désormais sur l’ancien site industriel de Belval et sur le Ban de Gasperich, où près de 750.000 m2 ont été libérés. De quoi accueillir aisément les fonds d’investissement, banques, cabinets d’audit et autres bureaux d’avocats. ” Actuellement, le principal problème est que l’offre ne sait pas suivre la demande, estime Romain Muller. Les entreprises de construction étouffent. Mais les possibilités de développements sont encore énormes. Et les autorités sont en train de régler les importants problèmes de mobilité que connaît le Luxembourg. Le tram arrivera bientôt. Les perspectives sont donc positives. Même si, vu la taille du Grand-Duché et les restrictions urbanistiques de plus en plus sévères, ce marché n’est pas extensible à l’infini. ”

“Il y a pénurie pour le résidentiel et le bureau”

Amaury Evrard (PwC Luxembourg)
Amaury Evrard (PwC Luxembourg)© PG

Le cabinet d’audit et de conseil PwC Luxembourg publie régulièrement des études sur les grands enjeux du marché immobilier luxembourgeois. L’une de ses dernières analyses s’intéressait aux évolutions à attendre d’ici à 2020. Tour d’horizon avec Amaury Evrard, directeur du département immobilier de PwC Luxembourg.

TRENDS-TENDANCES. Quelles sont les perspectives pour l’immobilier de bureau et l’immobilier résidentiel d’ici à 2020 ?

AMAURY EVRARD. Elles sont plutôt bonnes. Nous tablons sur une croissance de valeur de l’ordre de 40 % pour le bureau et de 30 % pour le résidentiel. Et encore, il s’agit de prévisions prudentes. Nous faisons face actuellement à une pénurie sur ces deux segments.

Certains observateurs semblent indiquer que le bureau est en perte de vitesse…

Non, ce n’est pas le cas. Par contre, il est vrai que sa forte croissance s’est stabilisée. La valeur totale de l’immobilier de bureau était de 23 milliards en 2014 et devrait grimper à 32 milliards en 2020. Soit une hausse annuelle de 5,9 %. Le faible volume de chantiers lancés au cours des dernières années laisse entrevoir une pénurie de l’offre. Avec un taux de vacance locative avoisinant les 5 %, les surfaces actuellement disponibles seront insuffisantes pour satisfaire la demande. La hausse de la demande et la pénurie de nouvelles surfaces de bureau feront mécaniquement augmenter les loyers.

Et sur le segment résidentiel ?

Les développements ne couvrent pas les besoins annuels. Près de 3.000 unités sortent chaque année alors qu’il en faudrait plus du double. Il est à noter que la rotation des appartements est très importante puisqu’une annonce immobilière, dans 95 % des cas, ne reste pas plus d’un trimestre sur un site immobilier. Si les prix sont en hausse continue, ils restent abordables puisque l’effort financier effectué par les ménages pour acquérir un bien est stable. Le Luxembourg possède d’ailleurs le taux le plus bas de revenus consacrés à l’immobilier par habitant de tous les pays européens. Ajoutons que si la valeur de l’immobilier résidentiel était de 122 milliards d’euros en 2014, elle devrait atteindre les 158 milliards d’euros en 2020.

Comment expliquer cette bonne santé de l’immobilier luxembourgeois ?

Une hausse démographique importante, des travailleurs frontaliers qui s’installent dans le pays, un contexte économique particulièrement prometteur qui attire les entreprises et, enfin, un déficit historique d’offres qui doit être rattrapé.

Quid de l’avenir ?

Tous les feux sont au vert. Du foncier vient d’être libéré sur les sites de Belval et du Ban de Gasperich (750.000 m2). Ce qui devrait permettre d’absorber quelque peu la demande et de pouvoir répondre aux projets des développeurs.

Par Xavier Attout.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content