Pascal Smet: “Ne pas densifier Bruxelles accélérera la bétonisation des deux Brabant”

Pascal Smet "Le problème de Bruxelles est que le débat urbanistique y est trop binaire, trop souvent simplifié à l'excès." © pg

Vingt mois après sa prise de fonction, le secrétaire d’Etat bruxellois à l’Urbanisme et au Patrimoine Pascal Smet n’a pas changé de ligne. Il entend clairement laisser une trace dans le paysage immobilier de la capitale. Si les premières réalisations se font attendre, les retours du secteur semblent plutôt enthousiastes.

Les règles relatives au développement urbanistique bruxellois vont être revues à l’aune des changements suscités par le Covid sur la manière d’habiter et de vivre en ville. Une refonte qui doit permettre de mieux appréhender les défis de demain. Reste qu’il s’agit de nouveaux retards alors que le temps presse pour contrer l’exode urbain. On fait le point avec le secrétaire d’Etat bruxellois à l’Urbanisme et au Patrimoine.

TRENDS-TENDANCES. La crise sanitaire actuelle semble quelque peu redistribuer les cartes en matière de densification, avec notamment une diminution de l’attrait pour les villes. Quels enseignements peut-on déjà en retirer pour Bruxelles?

PASCAL SMET. Le Covid a surtout validé des tendances en cours. Tant l’essor du télétravail, des déplacements à vélo, du besoin d’aménager des espaces publics de qualité ou de réduire la place dédiée à la voiture étaient déjà dans toutes les têtes. Ces éléments se sont encore renforcés et tendent à améliorer la qualité de vie d’une ville et de ses habitants. Nous nous dirigeons aussi vers des habitats plus réfléchis et plus spacieux, avec des terrasses et un environnement de qualité. Les espaces publics seront plus nombreux et réaménagés tout en ayant une mobilité douce accrue. Enfin, aménager des quartiers monofonctionnels, c’est clairement terminé.

Vu le contexte, faut-il désormais déterminer une nouvelle feuille de route en matière de densification?

L’urbaniste Benoît Moritz est en train de réaliser une étude sur la densification et la qualité de vie à Bruxelles. On en tiendra compte. Nous devons continuer à densifier, mais d’une manière plus intelligente. C’est-à-dire pas partout et pas n’importe comment. En fait, la question essentielle à se poser à chaque fois que l’on souhaite densifier un quartier est de savoir s’il y a suffisamment d’espaces publics aux alentours et si on peut en développer de nouveaux. Cette problématique de densification dépasse d’ailleurs Bruxelles car si on ne densifie pas notre territoire, les gens partiront habiter en Brabant wallon ou en Brabant flamand, ce qui accentuera le phénomène de suburbanisation. Or, l’étalement des villes est un problème environnemental et génère un coût important pour la société. Il faut l’enrayer. Ne pas densifier Bruxelles poussera donc à bétonner les deux Brabant. Cela ne va pas.

Ce débat sur la densification reste néanmoins très clivant…

Le problème de Bruxelles est que le débat urbanistique y est trop binaire, trop souvent simplifié à l’excès: pour ou contre les tours, pour ou contre la densification, pour ou contre l’abattage des arbres, etc. C’est regrettable car les enjeux sont multiples et les nuances sont possibles. La décontextualisation du débat ne facilite pas le développement urbain de Bruxelles.

Passons à un autre gros dossier. Le Règlement régional d’urbanisme (RRU) va à nouveau être revu pour s’adapter aux enjeux apparus suite au Covid mais également parce que le précédent texte a été recalé par le Conseil d’Etat. Lequel de ces deux éléments a le plus incité à une refonte?

Le texte n’a pas été recalé par le Conseil d’Etat mais fait l’objet de plus de 2.000 remarques. Nous pensions au départ continuer dans la même voie et adapter le texte. Mais après avoir constaté que le rapport d’incidence était également fragile et que de nouveaux éléments sont apparus avec la crise du Covid, il nous a semblé plus opportun de repartir d’une feuille blanche, d’autant que nous avions déjà accumulé un certain retard. L’idée est de reculer d’un pas pour mieux avancer par après.

Cette révision du RRU est marquée par une nouvelle approche. Vous allez consulter des experts et des professionnels, contrairement à la précédente révision du texte lancée en 2012…

C’était un de ses reproches, en effet. Nous allons cette fois réécrire un nouveau RRU qui doit devenir un instrument de “Good Living”. J’avais créé le plan “Good Move” pour le volet mobilité. Nous irons un cran plus loin dans ce cas-ci en déterminant le cadre réglementaire qui définira le chemin à emprunter pour atteindre une certaine qualité de vie. Il s’agit d’une opportunité à saisir. Un comité d’une douzaine de personnes sera chargé d’écrire le texte (*). J’attends qu’il propose des idées out of the box. L’idée est d’aboutir d’ici six mois, avant de suivre la procédure classique (approbation par le gouvernement, enquête publique, etc.). Pour une application mi-2023. L’important est donc d’avoir un outil actualisé pour les 10 prochaines années plutôt qu’un outil dépassé d’ici deux ans.

Pascal Smet
Pascal Smet “Un changement de culture urbanistique est en cours. Il faudra encore le renforcer.”© pg

Le nouveau texte n’est donc pas attendu avant mi-2023. Le précédent était en révision depuis 2014. Les délais s’allongent alors qu’il y a urgence pour certains points. Que faire d’ici là?

D’ici l’été, nous allons déjà prendre un arrêté de minimum importance qui permettra d’effectuer certains travaux qui ne nécessitent pas l’octroi d’un permis. Ce sera une première réponse. Pour le reste, nous ne manquons pas de travail . La procédure de digitalisation des demandes de permis et des demandes de renseignements urbanistiques sera accessible en 2023. Nous travaillons également avec Urban.brussels pour créer une plus grande cohérence dans la remise des avis. Tout cela doit permettre de faciliter les investissements à Bruxelles. Car il faut être honnête, obtenir un permis prend bien trop de temps aujourd’hui. Dans le même ordre d’idée, j’ai proposé d’effectuer une évaluation du Cobat, le Code bruxellois de l’aménagement du territoire. Elle sera lancée d’ici peu, même si elle ne figure pas dans l’accord gouvernemental.

Sur quels points précis faut-il évoluer?

Pour les grands projets, nous sommes toujours dans la culture du conflit avec les habitants. La tendance au nimby (” not in my backyard”, pas dans mon jardin, Ndlr) augmente à Bruxelles. Or, je pense qu’il est possible de trouver un point d’équilibre. Les riverains sont toujours consultés en bout de procédure. Il serait intéressant de les associer dès le départ. Ce dialogue permettra de gagner du temps, d’éviter des conflits et, surtout, des recours au Conseil d’Etat.

Quelle seront les grandes nouveautés de Good Living?

L’idée est surtout de davantage prendre en compte les nouvelles formes de logement telles que le coliving, dont les normes actuelles entravent le déploiement. Les règles un peu trop conservatrices sur les volumes des bâtiments sont aussi problématiques. Elles constituent un obstacle au renouvellement du tissu urbain, en empêchant par exemple une densification intelligente combinant un bâtiment compact et vivable avec un renforcement de l’espace ouvert et vert. L’objectif général est de tendre vers des bâtiments de haute qualité tant pour y vivre que pour y travailler.

Si on regarde un peu le bilan de votre action depuis 18 mois, il en ressort notamment cette volonté d’instaurer une culture du dialogue avec les promoteurs. Alors qu’auparavant, il y avait davantage de confrontation entre les différents interlocuteurs. Pourquoi cette nouvelle approche?

Ce dialogue doit permettre de construire une ville meilleure. Cela doit aussi permettre de sortir de la culture du compromis, qui affaiblit l’architecture de nos immeubles. Il faut être plus ambitieux et oser davantage. Etablir un bon dialogue entre les promoteurs, les communes et le bouwmeester permettra de faire avancer les choses plus rapidement et de proposer des projets plus ambitieux sur le plan architectural. J’en suis certain.

Où en est le dossier de la “charte de la promotion immobilière” que vous allez rédiger?

Nous avons pris du retard. La priorité est mise sur le RRU. D’autres dossiers suivront comme une réflexion sur les charges urbanistiques ou sur le statut futur du bouwmeester. Cette charte sortira d’ici la fin de la législature. Mais il faut reconnaître que les pratiques s’améliorent. Proximus est un bel exemple. Pour la première fois, la Région, le bouwmeester et les deux communes concernées (Saint-Josse et Schaerbeek) ont donné un avis sur le devenir de ces tours. Notre choix se porte sur une rénovation lourde, par exemple, plutôt qu’une démolition. De cette manière, les futurs acquéreurs des tours connaîtront le programme souhaité, le cadre à suivre. Et cela diminuera la spéculation. Agir de cette manière est intéressant.

Si les plans d’aménagement directeurs (PAD) n’avancent pas, comment le RRU compte-t-il être une réponse au défi démographique?

Tout le monde pense que l’approbation des PAD patine. Mais ce n’est pas le cas. Dans les semaines qui viennent, un grand nombre de PAD passeront devant le gouvernement. D’autres par contre, comme le PAD Loi, doivent être revus à l’aune des leçons du contexte sanitaire.

Quel bilan tirez-vous de votre action depuis votre entrée en fonction?

Il faut reconnaître que le Covid a ralenti les choses. Je pense toutefois qu’un changement de culture urbanistique est en cours. Il faudra encore le renforcer. Une trentaine de personnes ont été engagées chez Urban.brussels, dont un directeur adjoint. Le cadre est dorénavant pratiquement complet. Les outils sont prêts. Nous avons aussi résorbé l’arriéré administratif, notamment sur le plan du patrimoine.

Vous souhaitez aussi remettre un peu d’ordre dans les projets immobiliers du quartier Nord. Comment allez-vous procéder?

Il y a de nombreux projets publics et privés sur la table. Il est nécessaire de coordonner l’ensemble car nous avons justement l’opportunité de corriger les erreurs du passé et d’y créer un quartier modèle post-Covid. Le réaménagement des parcs Maximilien et Gaucheret figure au programme, tout comme la déminéralisation du boulevard Albert II via la création d’un grand espace vert au milieu d’un futur quartier mixte. La nouvelle ligne de tram permettra de changer l’axe du quartier, qui sera orienté désormais d’est en ouest et non plus du nord au sud. Le Zin doit inspirer d’autres propriétaires. Le CCN sera bientôt démoli, les tours Proximus vont être repensées, etc. Il faut transformer ce quartier pour en faire un poumon vert agréable pour les Bruxellois. Et ce sera assez rapide: d’ici 2025, on pourra déjà observer les principaux changements. Il serait d’ailleurs opportun de changer le nom du quartier Nord d’ici là…

(*) Les architectes et urbanistes Oana Bogdan, Benoît Moritz, Jens Aerts, Anne Ledroit, Sven Grooten, Hélène Rillaerts, Thierry Baneton et Luc Eeckhout de même que Pierre-Alain Franck (UPSI), Kristiaan Borret (Bouwmeester), Vanessa Mosquera (Ville de Bruxelles), et Katelijne Franssens (commune de Woluwe-Saint-Lambert)

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