Namur, capitale de Thomas & Piron
Il n’y a jamais eu autant de promoteurs immobiliers qu’aujourd’hui. A Namur, pourtant, Thomas & Piron truste la plupart des gros dossiers. Et arrose par centaines le parc d’appartements de la capitale wallonne. Une stratégie bien ficelée qui fait des envieux.
La séance a marqué les esprits. Elle s’est déroulée en mars dernier. Six promoteurs sont dans la salle. Dont quelques-unes des plus fines gâchettes bruxelloises et wallonnes, prêtes à ouvrir le portefeuille pour mettre la main sur les neuf hectares de la caserne du Génie à Jambes, un quartier militaire libéré par la Défense. Un site d’autant plus attractif que la Ville de Namur a déjà annoncé que le lauréat pourra y construire 445 appartements. C’est donc à coup d’enchères de 100.000 euros que les candidats s’éliminent. Pour ne laisser, après 45 minutes et à l’approche de la barre des 23 millions, plus qu’un trio se départager: Codic, Equilis et Thomas & Piron. Le moment pour ce dernier d’entrer en piste et d’emporter rapidement la mise (25,5 millions). “Quand j’ai vu que Louis-Marie Piron accompagnait Aubry Lefebvre, j’ai vite compris que cela allait être compliqué”, confie ce participant déchu. Une vente aux enchères qui témoigne en tout cas de la force de frappe et de la puissance financière du premier promoteur-constructeur wallon. Et surtout, plus localement, de sa volonté de rester maître en terres namuroises. “Il s’agit d’un site extrêmement bien localisé, à deux pas de la gare de Jambes, répond Aubry Lefebvre, CEO de Thomas & Piron Bâtiment, à ses détracteurs. La Ville avait déjà annoncé le cadre dans lequel le lauréat pourrait travailler, de même que le fait qu’elle soutenait le projet. Le prix d’achat n’est donc pas excessif, d’autant qu’il s’agit d’un des derniers grands morceaux de ville à reconfigurer.”
La concentration de projets s’explique aussi par le besoin de faire tourner la boutique. Plus de 460 employés et ouvriers sont sur le “payroll” de T&P Bâtiment.
Un pipeline de 1.000 appartements
Nul besoin de se balader bien longtemps dans Namur pour se rendre compte que le drapeau de Thomas & Piron flotte aujourd’hui allégrement dans la ville. Les chantiers se sont enchaînés ces dernières années. Et s’enchaîneront encore pour longtemps vu l’important pipeline rempli de près d’un millier d’appartements. Que ce soit à Novia (134), Asty-Moulin (340), la caserne du Génie (445), au Parc d’Enhaive (95) ou encore au Plateau d’Erpent (142). Sans parler du volet culturel (Delta) ou bureau (Aquilis, Belfius et AXS à la gare). Difficile donc de passer à côté et ne pas observer cette mainmise sur la ville. “Cette situation est en fait surtout liée à deux des métiers de Thomas & Piron: construire pour le compte de tiers et développer nos propres projets, relève Aubry Lefebvre. Il en résulte que nous avons une certaine présence et que les gens ont l’impression que nous sommes partout. Mais nous construisons régulièrement pour d’autres promoteurs, sans avoir acheté le terrain ni obtenu le permis. C’est une nuance que le quidam ne saisit parfois pas.” Un constat dont on est toutefois conscient en haut lieu. Si bien que le groupe n’avait à l’époque même pas remis d’offre pour l’Espace Confluence ou le Grand Manège, de peur d’une surreprésentation locale qui pouvait se révéler néfaste pour son image. En effet, rares sont aujourd’hui les dossiers d’envergure qui leur échappent dans la capitale wallonne. Ou alors, il s’agit d’une démarche volontaire. Pour Côté verre par exemple, l’ancien projet de centre commercial au square Léopold racheté par Besix Red à Bannimo, le risque de se fourvoyer était considéré comme trop important. Pour d’autres dossiers, des questions de localisation (Salzinnes notamment) ou d’opportunités non saisies (Baltisse, à côté de la gare) justifient les occasions ratées. Reste que s’il n’entre pas par la porte, T&P revient souvent par la fenêtre via son métier de constructeur. “Leur force, c’est clairement de parfaitement connaître le marché, précise ce promoteur bruxellois. Ils y croient vraiment et connaissent exactement la valeur d’achat d’un site, son potentiel, de même que les prix de vente qu’ils pourront proposer. Les promoteurs bruxellois ou flamands qui s’aventurent à Namur ne disposent pas de cette expertise.” En fait, cette concentration de projets dans une zone géographique ciblée ne semble être l’apanage que d’un seul autre promoteur en Belgique: Immobel et sa multitude de projets aux abords de la place de Brouckère, à Bruxelles (Chambon, Lebeau, Cityzen et Brouck’R), qui rassemble un total inédit de 1.100 appartements.
“Il est évident que nous avons beaucoup de projets à Namur, reconnaît Aubry Lefebvre. Même en interne, certains sont parfois inquiets quant au volume mis en vente. Mais je leur précise qu’il s’agit de produits à chaque fois différents tant par la localisation que le public visé. Les appartements du Domaine de Géronsart à Jambes sont, par exemple, destinés à un public plus haut de gamme que ceux développés à la rue d’Enhaive.”
Une concentration de projets qui s’explique aussi par le besoin de faire tourner la boutique. Plus de 460 employés et ouvriers sont sur le payroll de T&P Bâtiment. Il faut donc régulièrement alimenter la pompe à projets. Sans parler du fait que ce personnel préfère toujours travailler à proximité de son domicile. “C’est aussi le numéro un wallon, raconte ce promoteur, concurrent mais partenaire sur certains dossiers. Ils mettent un point d’honneur à rafler le plus de projets. C’est un choix stratégique. C’est pour cela qu’ils montent très vite dans les prix et qu’ils sont prêts à mettre beaucoup d’argent pour obtenir un terrain.” Sans parler du fait que plusieurs promoteurs estiment que T&P accepte des marges bénéficiaires plus faibles que les autres, bien en deçà des standards habituels. “Une explication, ce serait qu’ils additionnent leur marge en tant que promoteur et comme constructeur, poursuit notre interlocuteur. De quoi atteindre des résultats plus corrects.”
De 75 à 150 millions en trois ans
La force de frappe de T&P que l’on observe actuellement à Namur est en tout cas relativement récente. Une demi-douzaine d’années tout au plus. Elle s’est encore accélérée en 2014 lors du déménagement du fief historique du groupe situé à Our (Paliseul) vers un nouveau bâtiment à Wierde. Un positionnement plus central et plus adapté à son rayonnement wallon et bruxellois. Et une possibilité de se déployer plus aisément en terres namuroises, une zone qui était jusqu’alors particulièrement bien cadenassée par Cobelba qui y a multiplié les projets pendant de longues années. Si ce dernier travaille sous la bannière Besix Red depuis 2006, il reste encore bien présent à Namur (Côté verre et l’ancien hôpital militaire à Salzinnes notamment). “Namur possède des fondamentaux très intéressants, c’est ce qui nous attire et ce qui attire d’autres promoteurs, constate Raphael Legendre, directeur de Besix Red Belgique. Soit un patrimoine de qualité, de nombreux projets attractifs tels que la Confluence ou Delta, une bonne dynamique politique et une proximité avec l’eau.”
Le cadre urbanistique mis en place par la Ville semble en tout cas permettre à différents acteurs d’enfin pouvoir déployer leurs ailes. “La mise en place du Schéma de développement communal nous a en effet permis d’accentuer notre présence car il favorise la requalification de grands espaces, lance Aubry Lefebvre. A partir de 2013, le cadre a été mieux fini. Ces nouvelles lignes d’aménagement territorial ont par contre desservi les lotissements quatre façades, mais T&P Home ( la branche du groupe qui s’occupe de la construction des maisons, Ndlr) s’est adapté.” L’autre élément qui a poussé T&P Bâtiment à monter en puissance est surtout lié aux objectifs fixés en 2013 par le fondateur Louis-Marie Piron: doubler le chiffre d’affaires en cinq ans. Soit passer de 75 à 150 millions, dont la moitié via l’activité de construction. “Nous avons construit pour Artone, Eaglestone ou Baltisse ces dernières années, fait remarquer Aubry Lefebvre. S’ils font appel à nous, c’est que nous avons réussi à gagner la confiance du marché. Nous ne sommes pas les moins chers mais nous proposons un prix global, ce qui limit les multiples suppléments en cas d’impondérables.” Et en termes de vente, Namur est aujourd’hui le principal marché, avec 122 appartements vendus en 2020 pour 63 à Bruxelles et 74 en Brabant wallon.
Des partenariats multiples
Thomas & Piron est donc aujourd’hui une machine parfaitement huilée. “C’est un vrai rouleau compresseur, une machine de guerre, sourit Bertrand Ippersiel, directeur du service du développement territorial de la Ville de Namur. Ils sont extrêmement professionnels, bien organisés, possèdent une vision claire du marché et de ses rouages.” Et ce promoteur namurois d’embrayer: “Quand ils déposent un dossier, ils se sont assurés au préalable d’avoir toutes les garanties de réalisation. Ils ne s’aventurent pas dans des dossiers trop risqués ou des dossiers qui pourraient s’enliser pendant des années”. La ligne entre Maxime Prévot et les pontes de Thomas & Piron chauffe en tout cas régulièrement. Une confiance mutuelle qui s’est tissée au fil des réalisations et des chantiers. Et que Thomas & Piron veille à entretenir, notamment via des actions marketing ciblées, comme son important soutien au FIFF, le Festival international du film francophone de Namur qui se clôture d’ailleurs ce vendredi.
Reste que ce leadership fait grincer quelques dents auprès de la concurrence. Mais la plupart des promoteurs étant en partenariat avec T&P dans l’un ou l’autre projet, ils sont donc peu disposés à ouvertement l’exposer à la critique. Tant Immobel (plateau d’Erpent) qu’Artone (Parc d’Enhaive mais comme gestionnaire de projet), Eaglestone (Aquilis), Baltisse (AXS) ou Besix Red (à Gembloux et Louvain-la-Neuve) sont d’une manière ou d’une autre associés. “Ces partenariats sont le plus souvent liés à notre double métier de constructeur-promoteur, note Aubry Lefebvre. Tandis que si nous rachetons certains projets, c’est le plus souvent parce que le promoteur initial estime qu’il a besoin d’un partenaire à l’assise financière plus importante ou pour notre double métier.”
Mais cette marche en avant touche doucement à sa fin à Namur. La plupart des sites importants à requalifier ont été identifiés. Si des négociations sont en cours pour acheter de nouveaux terrains à Erpent et qu’un permis pour le Parc d’Enhaive vient d’être déposé, seules quelques nouvelles opportunités devraient encore permettre d’alimenter la manne à projets. Le site d’Acinapolis figurant notamment parmi les pistes potentielles à l’avenir.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici