Logistique urbaine: comment accélérer et fluidifier le dernier kilomètre?
Les grands groupes de livraison de colis restent encore frileux quant à l’idée de s’implanter dans des hubs situés en centre-ville. Tant qu’ils ne seront pas poussés dans le dos par des politiques incitatives, rien ne changera estiment les experts. La demande en matière d’immobilier logistique reste élevée alors que l’offre de terrains spécifiques recule.
Près de 150 millions d’achats en ligne en Belgique en 2021. Soit une hausse de 33% par rapport à 2020. Et des chiffres qui ne font que s’accentuer année après année. La croissance de l’e-commerce connaît un véritable essor, entraînant par ricochet une hausse tout aussi importante du nombre de livraisons. Cette réorientation des comportements d’achat a en tout cas des conséquences multiples sur le plan immobilier. Les entrepôts se sont multipliés ces dernières années le long des grands axes (surtout Bruxelles-Anvers et Anvers-Liège) ou aux abords des grandes villes, de manière à pouvoir acheminer la marchandise au plus vite vers le client final. De quoi faire le bonheur des investisseurs immobiliers, comme le démontrent les derniers chiffres du conseiller en immobilier d’entreprise JLL: la prise en occupation a atteint 813.000 m2, avec 76% des transactions effectuées en Flandre et 22% en Wallonie. L’immobilier logistique poursuit d’ailleurs sur la même dynamique cette année. Et preuve supplémentaire de l’attrait de ce segment, le taux de vacance est actuellement inférieur à 1%.
Reste que, en matière de livraison, un des principaux défis n’est toujours pas réglé: comment accélérer et fluidifier au maximum la livraison du dernier kilomètre, celle qui coûte le plus cher et qui est la plus complexe? Un élément qui combine des aspects de mobilité, d’environnement et d’immobilier, les livraisons générant actuellement de multiples nuisances, que ce soit l’augmentation de la circulation en ville, la nécessité d’avoir des lieux de stockage plus important ou encore la hausse de la pollution (le transport urbain de marchandises génère environ 25% des émissions de CO2 liées au transport).
La vraie difficulté aujourd’hui est de trouver des espaces pour accueillir en ville tous les grands groupes de livraison de colis.” – MATHIEU OPSOMER (JLL)
Entrepôts sur mesure
Ce trio est loin d’être gagnant, surtout dans un contexte de développement de villes durables et harmonieuses… D’où le besoin d’améliorer l’efficacité globale de la logistique urbaine tout en diminuant les nuisances.
“La vraie difficulté aujourd’hui est de trouver des espaces pour accueillir en ville tous ces grands groupes de livraison de colis que sont DPD, bpost, PostNL ou DHL, fait remarquer Mathieu Opsomer, head of industrial & logistics agency Belgium chez JLL. Il leur faut des entrepôts et du parking. Pour le moment, leur stratégie est de se concentrer sur des hubs taillés sur mesure pour eux et situés en périphérie des grandes villes. On l’a vu avec PostNL à Willebroek, DPD Belgium à Vilvorde (Montea), Amazon à Anvers (Montea) ou encore DHL à Roulers (Global Estate). Montea a même récemment construit le premier centre de distribution belge sur deux étages qui est, de plus, entièrement automatique. C’est une manière de lutter contre la raréfaction du foncier. Ces entrepôts sont amenés à se développer de plus en plus. A côté de cela, il y a un marché, plus petit, de la logistique urbaine qui est actif sur des petites surfaces dans les villes. Ce sont deux segments bien différents.” Et Xavier Reeth, head of industrial & logistics chez CBRE, d’ajouter: “La Belgique est un marché particulier car les villes importantes, que ce soient Bruxelles, Gand ou Anvers, ne sont pas suffisamment grandes pour obliger les distributeurs à posséder un entrepôt en centre-ville pour effectuer le last mile. Ils se débrouillent encore sans. Même si, à moyen terme, leur souhait est d’ouvrir des entrepôts urbains d’où ils pourraient travailler ensuite avec des vélos-cargos.”
Ces différents entrepôts de périphérie font donc pour le moment office d’étape intermédiaire avant de voir la marchandise acheminée par camionnette dans les zones urbaines. Dans le même temps, un autre marché est en passe de se développer, même s’il ne boxe pas dans la même catégorie sur le plan immobilier. Il concerne les livraisons intra-urbaines, celles où de mini-entrepôts sont situés en pleine ville et permettent d’encore diminuer le temps de livraison. “Il s’agit d’un marché différent mais qui a tout son sens, précise Mathieu Opsomer. Mais je le vois se développer davantage à moyen terme, le temps que les villes et la mobilité évoluent avec la prise de pouvoir des véhicules électriques.”
La politique d’interdiction
Paris, Londres ou Amsterdam ont déjà embrayé dans cette voie et possèdent une logistique urbaine bien plus élaborée et verte qu’en Belgique. Les grands distributeurs développant une série d'”urban consolidation centers” dans les grandes villes. “Mais ils sont poussés dans le dos par des politiques incitatives et des règlements qui leur interdisent les déplacements en camionnette diesel en ville, fait remarquer Roel Gevaers, professeur à l’Université d’Anvers, spécialisé en logistique urbaine et en e-commerce. Cela les oblige à actionner d’autres leviers comme le vélo-cargo. Cela n’existe pas encore en Belgique. Les coûts de distribution pour les grands acteurs comme DHL, PostNL et autres oscillent actuellement entre 2 et 5 euros. S’ils utilisent un centre de distribution intermédiaire supplémentaire en ville, ces coûts deviendront trop importants. Tant qu’il n’y aura pas en Belgique de volonté politique de faire changer les choses, le modèle n’évoluera pas. Gand y travaille toutefois, Bruxelles a redéfini la manière d’effectuer les livraisons dans le nouveau plan de mobilité du Pentagone, Liège étudie la question suite au tram. Cela évolue donc. Mais il faudra encore un peu de patience.”
L’idée serait, par exemple, de réaffecter d’anciens parkings ou stations-services qui ont perdu leur utilité en raison de la baisse de la circulation automobile en ville. Et d’en faire, par exemple, des lieux de départ pour des vélos-cargos. Des micro-dépôts de 500 à 2.000 m2 suffisent. Interparking, le plus grand propriétaire de parkings en Belgique, a lancé l’an dernier des premiers tests avec Ziegler (entreprise belge de transport et logistique), l’idée étant que Ziegler décharge ses paquets durant la nuit dans leurs parkings avant qu’ils ne soient redistribués pendant la journée avec des vélos-cargos. “La distribution des petits paquets fait beaucoup parler d’elle, explique Roel Gevaers. Mais à l’Université d’Anvers, nous avons réalisé une étude où l’on relève que seulement 9 à 12% du volume de distribution concernent des petits paquets (jusqu’à 30 kilos) et le reste concerne des palettes de marchandises. Le vrai défi urbain est donc plutôt là: gérer le flux de palettes. Cela passe notamment par de nouvelles approches des retailers, avec des livraisons communes dans le centre-ville pour diminuer le nombre de camions s’y déplaçant.”
Seuls 9 à 12% du volume de distribution concernent des petits paquets et le reste concerne des palettes de marchandises. Le vrai défi urbain est donc plutôt là: gérer le flux de palettes.” – ROEL GEVAERS (UNIVERSITÉ D’ANVERS)
Investir dans le transport écologique
A l’avenir, on peut donc s’attendre à une hausse de la demande des différents types de biens immobiliers logistiques dont, selon JLL, des installations de transbordement (entrepôt intermédiaire), des centres de consolidation partagés, des plateformes locales pour la livraison du dernier kilomètre, des plateformes logistiques multimodales, des entrepôts à plusieurs niveaux ou encore des équipements souterrains. “La forte demande en matière de logistique urbaine se traduira par des transactions plus nombreuses mais plus petites, fait remarquer Mathieu Opsomer. Des centres de distribution urbains peuvent réduire les délais de livraison – et donc le coût de la livraison -, ce qui est particulièrement intéressant pour l’alimentation et le commerce électronique. Cela offre des possibilités de reconversion des anciens bâtiments industriels situés à proximité des centres-villes. Les grands acteurs du marché se positionnent déjà pour répondre à cette demande de logistique urbaine.”
Enfin, Xavier Van Reeth avance un autre grand défi pour les groupes de livraison de colis: “Ce sera de posséder une taille suffisante pour travailler de manière efficace et investir dans le transport écologique. Pour le reste, je pense qu’en Belgique, il n’y a pas suffisamment d’espaces disponibles pour assister à des changements majeurs. Les développeurs vont construire des bâtiments plus hauts avec des parkings sur le toit ou dans une tour, mais vu que les espaces disponibles restent fort limités, on doit continuer à travailler dans un bâti immobilier plus âgé et situé dans la périphérie. Dans les endroits où il est possible de trouver un terrain industriel, obtenir un permis est aussi devenu très compliqué. Il y a bien quelques tentatives lancées par des autorités locales en vue de s’organiser pour regrouper les livraisons en ville, comme à Malines ou Anvers. Mais cela reste très compliqué de convaincre les grandes sociétés d’y participer (DHL Express, Fedex, GLS, etc.) et donc je ne vois pas la situation évoluer très rapidement”.
L’axe Bruxelles-Anvers toujours plus attractif
Le take-up (la prise en occupation) en matière d’immobilier logistique s’élève à 464.000 m2 pour le premier semestre 2022, en hausse de 33% par rapport à l’an dernier, selon les chiffres de JLL. La disponibilité reste inférieure à 1% et chute même à 0,14% sur l’axe Anvers-Bruxelles. Les loyers prime sont restés stables sur tous les axes mais subissent une pression à la hausse en raison de la faible disponibilité et de la hausse des coûts de construction. Des loyers allant jusqu’à 65 euros/m2/an ont été enregistrés, le loyer moyen pour toutes les transactions combinées était de 46 euros/m2/an. Parmi les principales transactions, citons Yusen logistics à Gembloux (rue Genonceaux, 40.500 m2), Bleckmann à Kuisem (MG Crosswoods, 36.000 m2) et Konings à Genk (Green Logistics, 30.000 m2). Dans le pipeline de projets, 107.000 m2 ont été livrés cette année et 823.000 m2 sont en construction.
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