Les liens troubles entre la brique et le chômage

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Plus un pays compte de propriétaires, plus il compte de chômeurs. C’est le constat que dresse un économiste britannique, Andrew Oswald. Qui estime que cette observation vaut aussi pour la Belgique.

Voilà plus de 10 ans que l’économiste britannique Andrew Oswald de l’Université de Warwick, étudie un paradoxe qui porte son nom. Il a constaté que plus le taux de propriétaires était élevé dans un pays, plus le taux de chômage grimpait. L’Espagne et la Suisse lui servent d’illustration. La première compte 80 % de propriétaires, et plus de 20 % de chômage. La seconde, 43,8 % de propriétaires et 4 % de chômage. La Belgique se situe entre les deux : 71,8 % de propriétaires et 8,2 % de chômage actuellement.

Cette observation est contre- intuitive. La propriété est considérée comme un signe de santé économique pour le particulier comme pour le pays. De nombreux Etats, dont la France et la Belgique, encouragent l’achat d’un domicile par des déductions fiscales.

Nouvelles études très intrigantes Les premiers travaux d’Andrew Oswald restaient rudimentaires. Ils constataient une corrélation entre le chômage et le taux de propriété plus élevée qu’entre le chômage et d’autres facteurs (durée des allocations de chômage, taux de syndicalisation, etc.). Mais cela ne permettait pas d’établir un lien de cause à effet. Une étude toute fraîche menée avec un professeur du Dartmouth College aux Etats-Unis, David G. Blanchflower, le rapproche du but, car elle analyse l’évolution des deux indices sur une longue période (une cinquantaine d’années) et sur presque tous les Etats américains (hormis l’Alaska et Hawaï).

Cette étude révèle que, dans tous les Etats observés, une hausse du taux de propriété est toujours suivie par une hausse du taux de chômage. Les auteurs, prudents, notent qu’ils ne tiennent pas encore le lien qui relie ces deux phénomènes. Mais cela fait beaucoup de coïncidences. “Il est important que d’autres chercheurs vérifient et valident ces résultats”, indique le document qui fait grand bruit outre-Atlantique.

Le professeur Andrew Oswald, que nous avons contacté, estime qu’il y a des indices montrant une situation comparable en Europe. “Une étude a été réalisée en Finlande. Je vais essayer de faire davantage de recherche sur le sujet.” Il a déjà réalisé plusieurs travaux et est d’avis que ce phénomène devrait s’appliquer à notre pays. “Je suis sûr que ce constat s’applique à la Belgique”, même si les données qu’il a naguère relevées sur plusieurs pays européens, dans une étude remontant à 1997, méritent des approfondissements.

Des doutes pour la Belgique Ce possible constat pour la Belgique est mis en doute par Julien Manceau, analyste chez ING, spécialiste du marché immobilier. “Il est sans doute explicable pour les Etats-Unis, pour des grands pays, mais en Belgique nous avons constaté un reflux du taux de chômage dans les années 1990 alors que le taux de propriété avait fortement progressé. En 2003, le chômage se situait à 6,5 %, contre 10 % au milieu des années 1990.”

Etienne de Callataÿ, chief economist à la Banque Degroof, ne se prononce pas sur le raisonnement. Il y aperçoit “un argument de plus pour ceux qui préconisent un rééquilibrage de la fiscalité en faveur du travail et au détriment de l’immobilier.”

Deux hypothèses Quelles pourraient être les raisons qui expliqueraient le lien, si lien il y a ? Les auteurs de l’étude américaine avancent deux hypothèses :

La mobilité. En devenant propriétaire, le travailleur devient moins mobile. Il est moins enclin à déménager que s’il était locataire car les coûts de transaction sont élevés. Du coup, il tend à accepter de faire des navettes plus longues. Ce phénomène est en effet visible en Belgique. L’OCDE vient de publier un rapport sur la Belgique poin-tant, notamment, le poids économique des embouteillages, plus fréquents que dans la plupart des pays membres de cette institution. Cette situation pourrait s’expliquer par le haut taux de propriété. “Le coût élevé des frais et taxes de transaction en Belgique n’encourage pas un propriétaire dont le travail est éloigné de chez lui à acheter un logement plus près et à revendre celui qu’il occupe”, note Jean Hindriks, senior fellow au think tank Itinera. Les taxes et frais pèsent environ 18 % du prix d’achat en Belgique, contre 4 % au Royaume-Uni.

Cela ne signifie pas que les propriétaires risquent davantage le chômage que les locataires. Ce serait même plutôt le contraire, comme l’indique cette recherche citée par Andrew Oswald qui vient de sortir en Finlande, rédigée par Jani-Petri Laamanen de l’Université de Tampere. Voilà qui ouvre la voie à de futures études, pour déterminer s’il existe un mécanisme qui ferait qu’une hausse du taux de propriétaire serait néfaste pour l’emploi des locataires.

Un frein à l’installation des entreprises. Lorsqu’une région compte un grand nombre de propriétaires, ces derniers tendent à s’opposer de manière plus active que des locataires à l’installation d’entreprises dans leur voisinage. Cette attitude Nimby (Not in my back yard) aurait pour impact de dégrader l’emploi ou de le faire stagner à un certain niveau.

La remise en cause des bienfaits de la propriété s’est accentuée avec l’explosion de bulles immobilières aux Etats-Unis, en Irlande, en Grande-Bretagne et en Espagne. Elles ont entraî-né des situations pénibles pour les propriétaires, en particulier ceux dont la valeur du logement est inférieure aux emprunts contractés.

Le taux idéal Andrew Oswald, très mesuré dans ses travaux, l’est moins dans l’expression de son opinion sur les politiques d’encouragement à l’acquisition de logements. “Les générations actuelles ont subi un lavage de cerveau (brainwashed) qui les a convaincues qu’elles avaient un problème si elles restaient locataires”, écrivait-il l’an passé dans un forum animé par le magazine The Economist sur le Net. “Nous ne tenons pas à ce que les pays émergents copient cette obsession d’après-guerre de l’Ouest avec la propriété.” Il recommande un taux de propriété équilibré. “Un mix 50/50 entre la location et la propriété, et non le 30/70 que l’on retrouve dans la plupart des pays occidentaux, me paraît avoir du sens.” Il n’est pas certain que cette proposition serait bienvenue en Belgique, où les retraites, fort modestes pour les salariés, sont compensées, pour les propriétaires, par l’absence de loyer à payer. Les retraités en difficulté sont plus souvent des locataires.

50 POUR CENT de propriétaires, c’est le taux idéal, selon Andrew Oswald, pour limiter les bulles et une augmentation du chômage. Un économiste du bien-être Andrew Oswald fait partie d’une catégorie très particulière d’économistes qui travaillent à la frontière entre l’économie et les sciences du comportement. Il mène des études sur l’économie et le bien-être. Il s’intéresse à des sujets aussi divers que la midlife crisis (il a notamment fait une comparaison entre l’homme et le singe), le lien entre le bien-être et la consommation de fruits et légumes ou l’effet de contagion de l’obésité.

www.andrewoswald.com

David G. Blanchflower et Andrew J. Oswald, “Does High Home-Ownership Impair the Labor Market”, working paper, Petersen Institute for International Economics, Washington D.C., mai 2013.

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