“Les friches sont les clés du redéploiement liégeois”
Les projets résidentiels se multiplient enfin à Liège. Mais pour redevenir une ville attractive, le développement économique devra être davantage accompagné. Ce qui passera notamment par la réhabilitation de ses nombreuses friches. Seraing en est un bon exemple
Ils partagent la même envie de contribuer au renouveau liégeois. L’une, Valérie Depaye, pilote le redéveloppement de Seraing au sein de la régie communale autonome Eriges, chargée d’accompagner le master plan qui doit remettre cette ancienne cité industrielle sur la carte des investisseurs. L’autre, Frédéric Driessens, dirige Noshaq Immo, la filiale immobilière du groupe Noshaq. Il accompagne et développe des projets immobiliers qui permettent d’offrir une valeur ajoutée aux écosystèmes de la maison mère.
TRENDS-TENDANCES. Il a longtemps été dit que l’immobilisme qu’a connu la Ville de Liège ces dernières années a permis à des entités telles que Herstal, Seraing ou Ans de se développer plus rapidement que prévu. Partagez-vous ce constat?
VALÉRIE DEPAYE. Non. Il s’agit d’une vision morcelée du territoire. Cela n’a pas de sens de découper un territoire où nous avons un continuum bâti et économique. De plus, je n’ai jamais noté d’immobilisme du côté de Liège. Les investissements qui y ont été effectués profitent à toute une région. Cela a d’ailleurs permis d’attirer l’attention sur toute la périphérie. Notre présence commune au Mipim prouve d’ailleurs depuis de nombreuses années que nous avons une vision d’ensemble pour tout le bassin liégeois. Cela n’a pas de sens de nous opposer. Chacun a ses ambitions. On peut toutefois reconnaître à Seraing qu’elle a effectué une démarche unique à l’échelle de la Wallonie en développant dès 2006 une stratégie de réhabilitation de certaines de ses friches industrielles.
FRÉDÉRIC DRIESSENS. Je vois davantage de différence dans le développement des trois arrondissements qu’au sein même de l’arrondissement de Liège. C’est un constat qui nous interroge d’ailleurs particulièrement chez Noshaq. Nous sommes beaucoup trop centrés sur Liège pour le moment. A l’avenir, l’objectif est d’arriver à réaliser le même type de projets sur tous les territoires de la province.
Les projets résidentiels neufs commencent à se multiplier au coeur de la cité ardente. Est-on arrivé à un “momentum” sur ce plan?
F.D. Ce qui a changé, c’est que nous avons enfin une série d’investisseurs nationaux qui développent des projets à Liège. Auparavant, il n’y avait que des Liégeois. Cela multiplie les possibilités.
V.D. Il y a dorénavant une vision stratégique. Ce qui n’existait pas il y a 15 ans. Les promoteurs l’ont compris et apprécient cette situation. On note ainsi l’arrivée de capitaux et d’idées privées qui s’insèrent alors dans une vision urbaine claire.
F.D. C’est en fait notre rôle de facilitateurs chez Noshaq. De manière à ce que les propriétaires fonciers arrêtent d’attendre et puissent se lancer dans des opérations de revitalisation urbaine. Car l’idée globale derrière cette démarche est qu’attirer une population nouvelle permettra d’attirer des travailleurs et des étudiants. Ce qui permettra aussi aux commerces de redémarrer. Car il faut bien le constater, les villes ne se portent pas bien.
La nomination d’un bouwmeester figure dans la déclaration de politique générale de la Ville de Liège. Faut-il un nouveau pilote dans l’avion?
F.D. En effet. Il doit faire se rencontrer l’offre et la demande. Il doit donner la possibilité de déterminer les besoins en fonction des localisations. De quoi permettre aux propriétaires fonciers et investisseurs d’avoir une ligne de conduite claire.
V.D. Un bouwmeester à l’échelle de la métropole pourrait être intéressant, du moins dans les phases administratives. Aujourd’hui, de nombreuses instances doivent être consultées, il serait heureux que le chemin administratif soit davantage holistique et non pas successif. L’enjeu de cette approche décloisonnée est particulièrement criant pour la reconversion des sites sidérurgiques: la dépollution des sols, la conservation patrimoniale éventuelle, la biodiversité présente et à venir, le démergement voire le tourisme. Or, il est urgent que ces grands terrains soient porteurs de vie économique, urbaine et naturelle. Ils sont, selon moi, les clés du redéploiement liégeois.
En quoi la pandémie a-t-elle fait évoluer votre approche de l’urbanisme et du marché immobilier liégeois?
F.D. L’impact a été important. Pour le résidentiel, le marché va dorénavant être bien davantage orienté vers les services. L’habitant va chercher à avoir un accès aisé à une série de services qui peuvent être mutualisés et partagés, comme des terrasses, des salles de réunion, des salles de sport, des buanderies, etc. Ces nouvelles façons d’habiter vont clairement impacter l’approche du résidentiel.
V.D. Et seule la ville peut offrir ces services de proximité. Je pense que, au final, elles vont ressortir renforcées de cet épisode. On voit désormais apparaître une demande d’espaces extérieurs. Ce qui n’était pas imposé auparavant est aujourd’hui incontournable. Par ailleurs, si une série de services complémentaires et mutualisés font partie d’un projet, cela permet de proposer des appartements plus petits, et donc moins chers. Pour le reste, je pense qu’il faut aussi augmenter la qualité des espaces publics. Les nouveaux projets doivent s’ouvrir à leur environnement.
A vous entendre, nous tendons vers une segmentation de plus en plus grande du marché…
V.D. Oui, sur de nombreux points. En matière d’accessibilité au logement, il faut aussi être très attentif. Le marché est tendu tant sur le plan locatif qu’acquisitif.
F.D. La problématique de la performance énergétique est énorme et va également créer des divisions. Il y a de grandes interrogations sur la capacité des propriétaires à rénover leur bien. La plupart n’ont pas les moyens. Il va donc falloir trouver des modèles différents, qui permettront de mutualiser les gestions d’énergie.
Quel sera le quartier liégeois qui va connaître la plus importante transformation dans les prochaines années?
F.D. Il y a 10 ans, j’avais misé sur le quartier Grand Léopold. C’était une évidence pour moi. La Grande Poste est aujourd’hui le fer de lance de cette revitalisation. Pour le reste, ce qui va très bien se développer, c’est Coronmeuse avec l’important projet Rives Ardentes. De même que les différents développements entre Coronmeuse et Léopold. Comme En Neuvice ou Saint-Léonard. Les quartiers vont de toute façon se développer dans la continuité de la Meuse et du tracé du tram.
V.D. Je pense que le quartier d’Ougrée Meuse connaîtra un bel avenir. Il y aura bientôt une nouvelle offre de logements pour étudiants et jeunes adultes. Ce qui va modifier l’aspect du quartier. Nous avons un bâti préexistant qui ne demande qu’à être rénové dans les prochaines années. Ce serait un bon endroit où investir. Il est situé à proximité de la gare, le tram arrivera juste en face. Stratégiquement, c’est idéal. L’arrivée du tram à Jemeppe, les projets de la Ville à cet endroit pour pacifier l’autoroute et encourager une autre mobilité constituent aussi une belle zone d’opportunités à venir.
La transformation de Seraing s’accélère, avec des équipements et des espaces publics de qualité. L’offre résidentielle neuve reste par contre plus faible. Avez-vous des craintes à ce niveau?
V.D. Non, car les annonces à ce sujet vont se succéder. Les autorités communales ont décidé de se concentrer sur les projets phares et de fermer quelque peu le robinet de la périphérie. De plus en plus de promoteurs frappent à notre porte. Alors qu’auparavant, ils nous regardaient un peu avec le sourire.
Comment se profile le volet résidentiel?
V.D. A Gastronomia, il y aura 150 logements d’ici 2024 ou 2025. Ils s’inséreront dans le cadre du projet de grand centre commercial dédié au secteur alimentaire prévu sur le site de l’ancienne usine Cockerill. Les travaux débuteront en mai (Thomas & Piron, Franki, I-Magix et Willemen). Pour les 300 logements étudiants prévus dans le parc du château de Trasenter, c’est Xior et Cordeel qui sont à la manoeuvre. La livraison est prévue en 2024. Pour le haut-fourneau 6, on évoque 750 logements mais ce ne sera pas avant 2030 ou 2035. Toutefois, la clé pour le redéveloppement de Seraing n’est pas le volet résidentiel mais bien le volet économique. Aujourd’hui, nous n’avons plus un seul espace à proposer aux investisseurs qui viennent nous voir. Et ce, alors que nous avons 130 ha de friches industrielles.
Quel regard portez-vous sur la réhabilitation des friches d’Arcelor Mittal (280 ha), dont l’agence TER a établi un master plan? Les enjeux sont énormes…
F.D. Elles sont toutes importantes. Il y a un vrai besoin d’attirer de l’activité économique. Et l’affectation des friches à cette fonction est essentielle. D’autant plus que ces terrains sont extrêmement bien situés. Chaque semaine, des entreprises doivent quitter Liège ou ne peuvent pas venir à Liège, faute de place pour construire leur usine. Ce n’est pas normal. Pour les friches, Noshaq va se positionner comme programmateur.
Ce type de chantier est très fastidieux et de longue haleine. Qu’est-ce qui vous anime dans ces revitalisations urbaines?
V.D. La satisfaction de voir son territoire évoluer. Pour Seraing, le master plan date d’il y a plus de 15 ans. Aujourd’hui, nous avons très bien avancé. A contrario, les sites d’Arcelor ont peu évolué. C’est un problème.
F.D. Dès que l’on trouve un endroit à réhabiliter, l’objectif est dorénavant de voir le dossier se concrétiser rapidement. C’en est fini d’attendre. On ne peut plus se le permettre. D’ailleurs, actuellement, faute d’accord, nous devons nous tourner vers la réhabilitation de friches privées, ce qui est paradoxal.
Dernière chose: en quoi l’arrivée du tram, de même que sa prolongation vers Seraing et Herstal, va-t-elle changer votre approche du développement urbain?
V.D. Cela change tout! Pour la prolongation, les 130 millions du plan de relance sont inscrits au budget. Cette prolongation est un moyen supplémentaire à ajouter dans la hiérarchie des modes de déplacement. Le tram arrivera à Seraing d’ici 2026 alors que nous possédons déjà des arrêts de train dont deux intégrés au réseau express liégeois, un réseau cyclable et une très bonne offre de bus. Cette offre multimodale est un atout indéniable dans notre redéploiement.
F.D. Et puis, d’une manière générale, cela va surtout également permettre de diminuer la présence de la voiture en ville. Construire des places de parking dans les projets immobiliers devient moins essentiel. Peu réalisent vraiment l’impact qualitatif de l’arrivée du tram. Or, il va influencer tout le projet de ville.
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