Le nouveau business de l’immobilier circulaire
Fin d’une époque. Les démolitions/reconstructions devraient devenir de plus en plus rares pour favoriser les rénovations lourdes. Un changement de paradigme qui doit améliorer la durabilité des grands projets tout en tentant de tendre vers l’immobilier circulaire. Si le travail sera encore long pour convaincre un milieu pour le moins conservateur, la rentabilité de cette approche pourrait le faire changer d’avis.
Changement de stratégie pour les promoteurs immobiliers. Habitués depuis toujours à démolir le bâtiment qu’ils venaient d’acheter pour en construire un tout beau, tout neuf, les voilà contraints de se pencher davantage sur la possibilité de procéder à une rénovation lourde. Les administrations bruxelloises – urban.brussels en tête – encouragent désormais chaque développeur dans cette voie. Et exigent pour chaque projet une justification sur base d’une étude multicritères qui démontre l’opportunité ou non de procéder à une démolition. Chaque dossier a ses spécificités et il n’est pas question de généraliser l’ensemble. Mais envoyer les pelleteuses directement au front semble être de l’histoire ancienne. Codic, avec le projet Cortenbergh, et Immobel, avec les projets Brouck’r et Lebeau-Sablon, ont par exemple déjà dû se soumettre à de telles exigences.
Il faut dire qu’à Bruxelles, le rapport au bâti semble évoluer. Du moins pour les projets d’envergure. A ce titre, l’immeuble Zin développé par Befimmo dans le quartier Nord fait office de point de bascule. Saluée de toutes parts, cette rénovation lourde des tours WTC 1 et 2 entend servir d’exemple. Les deux tours ont été complètement désossées de leurs matériaux, laissant uniquement à vue deux blocs de béton verticaux de 14 étages. On y retrouvera d’ici 2023 un ensemble mixte (bureau, résidentiel, hôtel) de 110.000 m2. “Nous avons toujours souhaité que Zin soit un bâtiment circulaire qui symbolise notre nouvelle stratégie en la matière, lance Martine Rorif, COO de Befimmo. Elle se traduit par deux axes de travail. Un: réduire la notion de déchets dans le bâtiment existant. C’est-à-dire recycler ou réutiliser un maximum de matériaux. Sur les 290.000 tonnes des tours WTC 1 et 2, 188.000 tonnes de matériaux ont, par exemple, été conservées alors que les tours semblent aujourd’hui totalement mises à nu. Deux: songer à la durabilité du projet lors de sa conception. C’est-à-dire en utilisant des matériaux sains et recyclés, tout en réfléchissant déjà à la modularité future du bâtiment. Si les besoins évoluent, un étage dédié au bureau pourra, par exemple, se transformer sans souci en un étage résidentiel.”
Dans les chiffres, cette stratégie implique en fait que 95% des matériaux des deux tours ont été conservés, recyclés ou réutilisés. Et que 95% des nouveaux matériaux seront certifiés selon le principe cradle to cradle (littéralement, du berceau au berceau, par opposition à cradle to grave, du berceau à la tombe), c’est-à-dire qu’ils pourront être réutilisés à une autre fin une fois que celui-ci aura bouclé son cycle de vie. Ce qui, dans le milieu du bureau, ne dépasse jamais plus de 20 à 30 ans. “Il est évident que Zin sera un catalyseur de l’économie circulaire dans le secteur de la construction, déclare Raymund Trost , le CEO de CFE en charge de la construction de l’immeuble. Même si la législation sur le cradle to cradle n’est pas encore très connue dans le secteur, nous avons l’ambition d’opérer ce rôle de pionnier.”
Les exemples de réutilisation sont en tout cas nombreux. On pense principalement au béton qui trouvera une nouvelle destination dans les dalles des futurs bâtiments. “Et ce travail se fera même à proximité puisque tout se déroulera le long du canal, précise Martine Rorif. Le béton récupéré sera d’abord stocké avant d’être analysé, puis transformé en granulats, lesquels seront à leur tour envoyés à une centrale de béton qui en fera du béton recyclé. Moins résistant, ce dernier sera utilisé pour les planchers et non pour les colonnes et autres supports qui demandent une résistance plus grande.” Carrelage, tapis, mobilier, cloisons ou encore façades suivront le même chemin de circularité.
Un critère de sélection pour les locataires
L’ambition de Befimmo est en fait d’emmener d’autres développeurs immobiliers dans son sillage, de manière, notamment, à créer une vraie filière de recyclage de matériaux et de pouvoir sensibiliser davantage de fabricants. De quoi réduire aussi ses coûts et faciliter son travail. “Certains promoteurs sont clairement plus réceptifs que d’autres, sourit Martine Rorif. Mais ceux qui ne le sont pas encore pourraient l’être à moyen terme, poussés par leurs potentiels locataires. Car l’immobilier circulaire deviendra clairement un critère de sélection à l’avenir.” Reste que tous les immeubles ne sont pas adaptés à ces procédés. L’idée étant avant tout d’agir là où on le peut et d’établir des lignes de conduite pour le futur. “Entre 1990 et 2010, les immeubles ont été conçus sans aucune réflexion de durabilité, relève Stéphan Sonneville, CEO d’Atenor. Cela change heureusement. Toute la profession y est désormais sensible d’une manière ou d’une autre. Reste que changer le curseur ne sera pas aussi aisé. Prenez les tours Proximus par exemple, où il est demandé d’envisager une reconversion du bureau vers du résidentiel.
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Or, il est souvent impossible dans les immeubles anciens de passer du bureau au résidentiel grâce à une rénovation.” Et Julie Willem, international executive manager d’Atenor, qui pilote en interne un laboratoire d’idées baptisé ArchiLab d’ajouter: “L’immobilier ne peut plus se reposer sur ses réflexes issus du passé. Si la localisation reste le critère numéro un d’un projet, le recyclabilité des matériaux, la régénération d’un site, voire la modularité des nouveaux espaces, sont des éléments dont nous ne pouvons plus nous départir. Il faut donc augmenter les niveaux d’exigence de la promotion immobilière”.
Certifications: et après?
Cela tombe bien car il y a du boulot en la matière dans le monde immobilier, un secteur responsable d’environ 40% des émissions de CO2. Si plusieurs leviers ont déjà été actionnés, certains observateurs espèrent aller dorénavant bien plus loin. La course aux certifications environnementales n’est, par exemple, même plus un trophée à exhiber. Qu’elles soient Breeam, HQE, Leed ou encore DGNB, l’idée était de tendre à chaque fois vers l’excellence pour rentrer dans les clous des exigences des futurs locataires ou investisseurs. “Mais il en faut plus aujourd’hui, fait remarquer Géry de Biourge, CEO d’Advista, bureau d’études et de conseils en environnement et en développement durable, qui a travaillé sur le Zin et oeuvre notamment au nouveau siège de la SNCB. Ces certifications sont importantes mais ne font plus toute la différence sur le marché. L’ambition d’aujourd’hui et de demain est bien évidemment de réduire drastiquement l’impact environnemental du projet dans une approche holistique, que ce soit lors de sa conception, de sa construction, de son usage et de sa fin de vie. Les enjeux liés à l’alternative démolition/reconstruction versus rénovation lourde participent à ces réflexions. Les impacts des changements climatiques doivent également être dans la ligne de mire.” Opter pour un green building est donc une obligation aujourd’hui. Aller plus loin passera par une uniformité en matière de réemploi des matériaux dans une logique d’économie circulaire, par l’utilisation de matières premières à faible impact écologique ou encore par la rationalisation des consommations énergétiques. Alors que le digital et les innovations technologiques permettront de davantage comprendre l’utilisation d’un bâtiment. “Le numérique est clairement un levier de facilitation et d’accélération du green building, précise Michael Moradiellos del Molino, head of real estate chez EPEA Benelux, un consultant en environnement. C’est sa colonne vertébrale.”
Dans cette suite à apporter aux certifications environnementales, certains avancent l’idée de mettre en place un “passeport des matériaux”. L’idée étant que le secteur de la construction ne peut plus continuer à consommer autant de matériaux. Et qu’il doit se réinventer. “Dans la construction d’un nouvel immeuble, leur coût est aujourd’hui estimé à 20 à 30% des coûts de construction bruts”, relève Michael Moradiellos del Molino. Une tendance à la hausse. D’autant que ce poste ne peut être récupéré à l’issue de la phase d’utilisation du bâtiment. “Il faut donc clairement changer de modèle économique, poursuit Michael Moradiellos del Molino. Un seul est viable: construire les bâtiments de telle sorte que, à la fin de leur utilisation, les matières premières qui les constituent puissent être réemployées et recyclées sans perte de qualité. Les bâtiments deviennent alors des lieux de stockage temporaires de matériaux à haute valeur ajoutée. Ce système peut contribuer à une évolution vertueuse du prix des matériaux. En résumé, installer des matériaux que l’on peut réutiliser et recycler confère aux biens immobiliers une plus longue durée de vie et une valorisation supérieure à celle des bâtiments conçus traditionnellement.”
Plus long? Plus cher?
L’intégration de la durabilité dans la valorisation d’un bâtiment est un élément à prendre en compte car recourir à l’immobilier circulaire coûte plus cher que développer un projet traditionnel. “Cela prend clairement plus de temps aussi, reconnaît Martine Rorif. On le voit dans nos projets Pacheco (Bruxelles), La Plaine (Ixelles) et Joseph II (Bruxelles). Mais je suis persuadée que le retour sur inves-tissement sera bénéfique à moyen terme. Nos bâtiments seront mieux valorisés quand ils seront reven-dus.”
Un élément clé de l’avenir de l’immobilier circulaire, selon Michael Moradiellos del Molino: “Utiliser la démarche cradle to cradle permet d’augmenter de 10 à 20% la valeur résiduelle d’un immeuble (avant démolition) et de 2 à 10% la valeur d’un bien dans le bilan comptable du propriétaire. Pourquoi? Car outre la possibilité de modularité du bâtiment, il est également possible de récupérer des matériaux du projet. Il sera par exemple possible de récupérer 96% de la façade de la tour Multi (Whitewood et Immobel) jouxtant la place de Brouckère. Il est même possible d’aller plus loin en reven-dant tout le mobilier pour 40% de sa valeur puisqu’il pourra être réemployé grâce aux contrats take-back. Befimmo, Ghelamco, Immobel, Whitewood, Redevco, Montea et BNP Paribas sont pour l’heure de très bons élèves. Il faut encourager les autres. En fait, ce qui est essentiel à l’avenir, c’est que lors des évaluations financières, on tienne compte de la valeur des matériaux utilisés et de leur recyclabilité. Il s’agit d’un paramètre capital pour le développement de l’immobilier circulaire. Si c’est le cas, le décollage sera très rapide.”
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