Le coeur de Bruxelles redynamise son offre commerciale

The Mint. Après neuf ans de travaux, la galerie commerçante située en face du Théâtre de la Monnaie, ouvrira officiellement ses portes le 24 novembre. © Ag Real Estate

L’ouverture de The Mint est le premier volet d’une politique de redynamisation commerciale pour le bas de la ville. Acteurs privés et publics vont investir près d’un milliard d’euros pour redéfinir un maillage cohérent et attractif. Suffisant pour lutter contre l’attractivité des grands centres commerciaux ?

Même les habitués avaient fini par ne plus voir les sinistres galeries en croix, tant ce chancre avait éteint toutes velléités commerciales. Après neuf ans de travaux, la galerie commerçante The Mint, située place de la Monnaie en face du théâtre éponyme, ouvrira officiellement ses portes le 24 novembre. Soit un mois après l’ouverture officieuse qui a déjà permis à des enseignes telles qu’Uniqlo, Kiabi ou Esprit d’afficher leurs nouvelles couleurs.

Une ouverture qui doit être synonyme de vent nouveau pour le bas de la ville. La concrétisation de ce dossier lancé en 2009 par AG Real Estate est le premier pan d’un ambitieux plan de renouveau commercial lancé tant par des acteurs publics que privés. Il vise à recréer une certaine attractivité commerciale dans un quartier touché de plein fouet ces dernières années par les problèmes de mobilité, les attentats, le désinvestissement en matière d’espaces publics ou encore le déficit de communication de ses responsables politiques.

D’ici trois ans, ce sont près d’un milliard d’euros qui seront investis pour transformer ce quartier en zone commerciale attrayante et cohérente, devant attirer dans son sillage la classe moyenne bruxelloise. ” L’objectif est de recréer une promenade commerciale qui va de la place Rogier à la Bourse en passant par Dansaert ou la place Sainte- Catherine, explique Marion Lemesre (MR), échevine du Commerce de la Ville de Bruxelles, qui décollera d’ici quelques jours vers Cannes et le Mapic, la grand-messe de l’immobilier commercial, pour y présenter les nouveaux atouts bruxellois. Chaque quartier possédait une identité propre. Nous avons souhaité recréer un maillage cohérent. Le piétonnier ne doit pas être une rupture. De nouvelles enseignes, qui ne sont pas encore présentes à Bruxelles, apparaissent. Il y a un réel engouement, on le sent. On verra le vrai visage du bas de la ville dès 2019. ”

Le chaînon manquant de la redynamisation commerciale

Serge Fautré, CEO d'AG Real Estate, qui a investi 23 millions dans la rénovation de The Mint et 40 dans celle de City 2.
Serge Fautré, CEO d’AG Real Estate, qui a investi 23 millions dans la rénovation de The Mint et 40 dans celle de City 2.© PG

The Mint et ses 15.000 m2 de surfaces commerciales (97 % sont déjà loués, 22 magasins au total) doivent en fait être le trait d’union des nombreux projets en cours ou à venir. Que ce soit la rénovation de City 2 qui sera bouclée par AG Real Estate au printemps 2019, la rénovation de la rue Neuve qui a débuté au printemps dernier et qui doit s’achever fin 2018 ou encore de la transformation de cellules commerciales dans les bâtiments Crystal City, Multi Tower, Chambon ou Botarogier. Sans parler des réaménagements en piétonnier de la place De Brouckère et des boulevards du centre, dont la première phase entre les rues Levêque et Grétry sera lancée début 2018. ” Des dizaines d’acteurs investissent actuellement des centaines de millions d’euros dans cette zone, lance Serge Fautré, le patron d’AG Real Estate, qui a investi 23 millions dans la rénovation de The Mint et 40 dans celle de City 2. C’est essentiel car le bas de la ville – une expression négative qu’il faut changer selon moi – se faisait vieillissant même s’il ne faut pas oublier que City 2 draine 14 millions de visiteurs par an et que la rue Neuve reste la première artère commerçante du pays. Il ne faut donc pas tout jeter non plus. The Mint est par contre le chaînon manquant de la redynamisation commerciale du coeur de Bruxelles, entre la rue Neuve et la rue des Fripiers. Il offre de belles surfaces commerciales, avec une certaine visibilité. Si la place de la Monnaie pouvait maintenant bénéficier d’un réaménagement, tout serait parfait ! ”

En trois ans, près d’un milliard d’euros seront investis pour transformer le bas de la ville en zone commerciale attrayante et cohérente.

Decathlon arrive en ville

Si le centre-ville bénéficie désormais d’une feuille de route, la situation commerciale actuelle reste toutefois quelque peu indécise. Comme partout, le secteur est en mutation et se cherche quelque peu par rapport aux nouveaux défis de l’e-commerce, de l’ère digitale et de ” l’expérience client “. Une situation incertaine qui entraîne de temps à autre un vide locatif temporaire, comme c’est le cas actuellement dans la rue Neuve. ” Quatre surfaces commerciales sont en effet à louer, relève Jonathan Delguste, head of hight streets chez le courtier Cushman & Wakefield. C’est un signal auquel il faut être attentif. L’offre ne correspond plus aujourd’hui à la demande. Le marché tend à une optimisation des espaces commerciaux et à une réduction des surfaces, à l’exception des grands acteurs tels que Zara, H&M et autres. Je crois toutefois en l’attractivité du centre-ville, notamment de par l’attrait touristique. D’autant que de nouveaux acteurs tels que Decathlon, qui ouvrira son premier magasin en centre-ville dans le sous-sol de The Mint, font leur apparition. C’est de bon augure. ” Un constat partagé par le professeur de marketing de la Vlerick Business School, Gino Van Ossel : ” Ce retour vers des centres-villes attractifs est une tendance européenne. Sauf que Bruxelles a cinq ans de retard. Mais vu la politique déployée actuellement, j’y crois vraiment. Le succès des Plaisirs d’Hiver démontre que le potentiel client est présent. Il reste toutefois quelques problèmes à régler. La rue Neuve est trop étroite pour être agréable et arrive à saturation en matière de fréquentation (43.956 personnes par jour selon le baromètre 2016 d’Atrium, Ndlr). Le profil socio-économique des clients est moins élevé que par le passé. Il faut davantage de mixité à ce niveau. Enfin, il y a un manque de cohérence au niveau de l’offre commerciale. Il manque un certain nombre de concepts qu’on aimerait retrouver dans le bas de la ville. Dont des locomotives, même si cet élément semble évoluer. ”

D’une manière générale, le paysage commercial bruxellois est aujourd’hui bien établi avec, en caricaturant, des commerces haut de gamme sur le haut de la ville (Toison d’Or, Louise) et des enseignes de masse dans le bas de la ville. Les différents shoppings situés en périphérie (Docks, Woluwe Shopping, Westland, Basilix, etc.) proposant une ” expérience shopping ” différente, comme aiment à le rappeler les professionnels du secteur. ” Je ne considère pas Docks comme un concurrent pour le centre-ville car sa zone de chalandise est limitée, poursuit Gino Van Ossel. Le haut de la ville concentre des enseignes haut de gamme et le bas de la ville des enseignes bas ou moyen de gamme. Pour attirer la classe moyenne, il faut diversifier cette offre. ”

La Ville de Bruxelles entend jouer un rôle dans cette redistribution commerciale en rappelant, comme elle le fera au Mapic, qu’elle dispose de 9.700 m2 de surfaces commerciales sur la zone piétonne (à De Brouckère, Anspach et Lombard). ” Nous pouvons jouer un rôle de pivot pour apporter davantage de mixité dans l’offre commerciale et diminuer l’offre bas de gamme “, espère Marion Lemesre.

Les incertitudes liées à Neo

Tous les éléments cités convergent en tout cas vers une amélioration de la situation actuelle. ” A l’avenir, l’offre commerciale sera plus complémentaire et cohérente, relève Ann Vanderwegen, senior research analyst chez JLL. Le centre-ville va s’étendre. Il faudra juste veiller à ce qu’il ne se disperse pas. La place de la Monnaie devrait devenir le pôle central de cette offre. Une zone quadruple A en termes de loyer devrait se créer, avec des loyers qui atteindront les 2.000 euros/m2/an. Enfin, il est à noter que, de plus, des projets résidentiels et de bureaux sont en cours. De bon augure en termes de mixité. ”

Le secteur commercial du bas de la ville est en mutation et se cherche par rapport aux nouveaux défis de l’e-commerce, de l’ère digitale et de ” l’expérience client “.

Restera alors l’épineuse question de l’arrivée de nouveaux acteurs en périphérie, des mastodontes commerciaux qui pourraient aspirer la demande et vider quelque peu le centre-ville. Un éternel débat entre le centre et la périphérie qui ne sera de toute façon pas à trancher avant une demi-douzaine d’années. ” Avec l’arrivée de Neo, le tissu commercial bruxellois va bien évidemment souffrir, relève Jonathan Delguste. Mais personne ne sait dire aujourd’hui clairement où se situera l’impact le plus prégnant. Et, personnellement, je ne pense pas que ce sera la rue Neuve et ses environs qui en souffriront le plus. Neo sera un centre commercial supra-régional situé au bord du ring. Il n’attirera pas nécessairement des adeptes du shopping en centre-ville. ” Et Gino Van Ossel, plus virulent, d’ajouter : ” Ce qui m’étonne par contre, c’est que toutes les villes d’Europe sont en train d’investir dans leur centre historique et que la Ville de Bruxelles joue un double jeu en faisant exactement le contraire vu qu’elle porte également un projet en périphérie, qui sera une copie conforme du commerce de masse que l’on retrouve dans le centre-ville. C’est un vraie bêtise. Le centre-ville sera plus fort sans Neo. Neo est un choix politique qui n’est pas en phase avec une politique commerciale cohérente. On ne voit cela nulle part en Europe. ” Une analyse que tempère quelque peu Serge Fautré, qui souhaite avant tout que les pouvoirs publics se concentrent sur leurs atouts avant de s’inquiéter des projets voisins : ” Les spécificités de City 2, The Mint ou de la rue Neuve devraient leur permettre de ne pas subir de dommages collatéraux trop importants, estime-t-il. D’autant que Neo est situé au Heysel et n’est pas encore près de sortir de terre. Par contre, l’attractivité du centre-ville passera surtout par la mise en place d’un véritable plan de communication des pouvoirs publics sur l’objet des travaux et leurs délais. Un déficit du passé qu’il faudra vraiment améliorer. Il y a par exemple encore trop d’inconnues sur la date de fin des travaux de la place De Brouckère ou du piétonnier. Ce n’est pas normal. S’il le faut, nous sommes pourtant prêts à investir en ce sens. ”

Par Xavier Attout.

Inédit : trois centres commerciaux actuellement en vente

C’est un fait rare sur le marché belge : trois centres commerciaux d’envergure sont actuellement mis en vente. Rive Gauche à Charleroi (Promotion Saint-Lambert, 39.000 m2), Docks Bruxsel (Equilis, 44.000 m2) à proximité du canal et le Woluwe Shopping (deux certificats immobiliers et AG Real Estate, 45.000 m2) à Woluwe-Saint-Lambert. Les négociations en sont chacune à des stades divers.

Le plus proche d’une issue favorable est le dernier de la liste. Les courtiers JLL et CBRE négocient actuellement en exclusivité avec le groupe néerlandais Eurocommercial Properties. Le deal devrait tourner autour de 468 millions d’euros, un montant relativement élevé pour 23.000 m2 selon certains experts. AG Real Estate resterait propriétaire du magasin Galeria Inno, du supermarché Match et de cinq autres points de vente, soit 10.000 m2. “Ce shopping dispose de caractéristiques intéressantes, explique Christophe Leenesonne, key account manager capital markets Belux chez JLL. Il possède une extension de 11.000 m2 dans le pipeline alors que de nombreuses informations sur sa fréquentation ou sa rentabilité sont disponibles. C’est ce qui fait la différence avec les deux autres centres commerciaux actuellement en vente.” Les deux courtiers espèrent boucler la vente début 2018.

DOCKS EN VENTE. Le propriétaire et développeur Equilis serait près de conclure la cession du centre commercial à un grand groupe étranger.
DOCKS EN VENTE. Le propriétaire et développeur Equilis serait près de conclure la cession du centre commercial à un grand groupe étranger.© S. SCHMITT – GLOBALVIEW.BE POUR EQUILIS

Pour Docks, le propriétaire et développeur Equilis serait en phase de conclusion avec un grand groupe étranger. “La transaction ne pourra être bouclée d’ici le Mapic mais j’ai bon espoir que cela se réalise quelques semaines plus tard”, confie ce courtier en charge du dossier. Une issue qui soulagerait pas mal de monde du côté de Gosselies, siège du bras immobilier de Mestdagh. Quant à Rive Gauche, il faudra encore patienter quelques mois, le temps que le centre commercial trouve son rythme de croisière et confirme ses bons premiers chiffres pour que les premiers flirts se transforment en mariage.

Davantage de patience

Ces éléments permettent en tout cas de se rendre compte que le contexte général a évolué. Les investisseurs n’investissent plus les yeux fermés dans ce segment, comme c’était le cas il y a une dizaine d’années, surfant alors sur une vague de croissance et de rendements élevés. Tous les feux doivent aujourd’hui être au vert pour valider une opération. “C’est une vraie différence sur le marché, poursuit Christophe Leenesonne. Il faut aujourd’hui que toutes les conditions soient réunies avant de passer à l’acte. Un développeur doit construire le centre commercial, attirer des locataires et avoir au moins un an de fonctionnement. L’investisseur est beaucoup plus prudent. Docks et Rive Gauche doivent donc ‘faire leurs preuves’ avant de séduire un acheteur. Ces deux centres vont être vendus. Il y a des candidats. Il faut juste être davantage patient.” Surtout dans un contexte européen où les capitaux sont bien présents et où la stabilité du marché belge continue de séduire.

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