Le centre commercial, un modèle en voie d’extinction
Le secteur ” retail ” est en pleine crise d’identité, écartelé entre l’e-commerce, le magasin physique et la place toujours plus grande du digital. Une période de transformation qui entraîne l’obligation de se diversifier et de proposer de nouveaux concepts centrés davantage sur les besoins du client. Et à ce sujet, la Belgique reste à la traîne.
On peut les compter sur les doigts d’une main. Seuls cinq centres commerciaux devraient encore sortir de terre en Wallonie et à Bruxelles à moyen terme : à Verviers, Seraing, Bruxelles (Heysel), La Louvière et Namur. Les trois derniers étant toutefois encore loin d’obtenir tous les feux verts administratifs. Un émiettement de l’offre qui signifie tant la fin d’un modèle que l’entrée dans une nouvelle ère.
Un modèle obsolète tout d’abord. Le shopping center de papa est mort et enterré. Les grands centres commerciaux construits aux abords des villes ne siéent plus avec les tendances d’aménagement du territoire défendues tant par les différents gouvernements que par les communes. Ils font clairement partie de l’histoire ancienne et la Déclaration de politique régionale (DPR) de la Wallonie le démontre noir sur blanc. L’heure est à la revitalisation des centres-villes et à l’interdiction de construire de nouveaux retail parks (ces espaces commerciaux situés en dehors des villes, le long des grandes chaussées) ou shoppings au milieu de nulle part. Les derniers projets de centres commerciaux qui verront le jour sont d’ailleurs ancrés dans la ville et/ou intégreront différents besoins communaux. ” Les retail parks de périphérie sont, par exemple, dans le collimateur des décideurs publics depuis cinq ou six ans, estime François Boon, CEO du bureau de conseil juridique 2BUiLD Consulting. Ils sont considérés comme l’un des principaux problèmes qui expliqueraient le déclin des centres-villes. Si la DPR n’évoque plus de moratoire sur les nouvelles implantations commerciales, elle parle par contre d’une taxation des commerces de périphérie. L’outil fiscal semble être choisi par le gouvernement wallon pour lutter contre l’étalement du commerce. Il reste à voir comment cela sera mis en oeuvre. ”
Un million de m2 mis en danger par l’e-commerce
Une entrée dans une nouvelle ère ensuite. Il ne faut pas être un grand observateur du secteur retail pour se rendre compte qu’il a connu des moments plus florissants qu’aujourd’hui. Une prise en location de surfaces commerciales ( take up) en baisse, des loyers qui stagnent, des changements d’habitudes des consommateurs et une profonde crise d’identité : la période de mutation et de transformation se poursuit sans que personne ne sache vraiment quand elle va se terminer. Le secteur reste écartelé entre le magasin physique, l’e-commerce et la place toujours plus grande du digital. D’autant qu’année après année, la croissance des ventes en ligne à l’échelle mondiale s’aligne à deux chiffres. ” En 2019, en Belgique, l’e-commerce avoisine déjà les 10% de parts de marché, part qui pourrait grimper jusqu’à 20% d’ici à 2025 si on suit la tendance anglo-saxonne, estime François Honoré, CEO de Geoconsulting, société spécialisée dans le géomarketing en retail et real estate. L’impact sur le retail ‘brick & mortar’ continuera donc. Et même si cet impact direct de l’e-commerce ne devait représenter que 5%, cela représenterait pas moins d’1 million de m2 de surfaces commerciales potentiellement supprimées dans les années à venir en Belgique, essentiellement les commerces mal localisés et/ou non remodelés. ”
Une nouvelle donne qui oblige les enseignes commerciales à se repositionner et à se réinventer si elles veulent survivre et s’assurer un avenir durable. La situation n’est pas plus rose pour les développeurs et propriétaires de centres commerciaux et de retail parks. On le sait, ces derniers sont aussi sur la sellette en Belgique. Seuls les projets déjà lancés pourront éventuellement se concrétiser dans les prochaines années. Pour le reste, il s’agira à l’avenir de repositionner les retail parks existants en des espaces mixtes mêlant commerces, loisirs, appartements et bureaux. De quoi en faire de véritables lieux de vie. ” Nous nous dirigeons clairement vers cela, fait remarquer François Honoré. Les pôles uniquement centrés sur le commerce ont peu d’avenir. ” Cette tendance va en tout cas renforcer la position des grands propriétaires actuels, puisque leurs actifs ne vont faire que prendre de la valeur. ” Ce phénomène de reconcentration avantage par exemple des acteurs tels que Redevco, AG, Wereldhave ou encore Retail Estates, poursuit François Honoré. Ils sont d’ailleurs déjà en train de réfléchir à des redéveloppements mixtes. Avec une approche holistique et transversale des territoires. L’e-commerce entraînera par exemple la nécessité d’aménager plus de 500.000 m2 d’entrepôts logistiques en Wallonie dans les 10 prochaines années. Cela leur donne l’occasion de se renouveler et de repartir d’une page blanche. ”
Boire, manger et s’amuser
L’avenir des centres commerciaux belges est tout aussi complexe. Ils doivent désormais offrir davantage d’expériences à leurs clients. Ce qui implique de justifier le déplacement et d’offrir bien plus que le simple fait d’acheter un jean ou une paire de bottes. Cela passe par quoi ? Principalement par l’intégration croissante des loisirs dans l’offre globale (cinéma, mur d’escalade, accrobranche, parc d’attractions, bibliothèque, etc.). Un positionnement qui n’est pas neuf, certains shoppings le font déjà, comme Docks avec Koezio (parc d’aventures indoor). Sauf qu’il s’agit dorénavant d’un point essentiel du positionnement d’un centre commercial et non d’une activité annexe. ” Avec un tiers de loisirs, un tiers de commerces et un tiers de logements, le projet bruxellois Neo/Europea est une excellente illustration de cette évolution, fait remarquer Michel Dessolain, directeur général Europe d’Unibail-Rodamco- Westfield. Les clients ne se contentent plus aujourd’hui de faire du shopping. Nous revoyons pour cela les équilibres. Et la part de certaines catégories, par exemple de la mode, tend à diminuer. Ainsi, au sein du projet Neo, nous envisageons déjà d’augmenter la part de la restauration, du sport et du bien-être. ”
Un autre élément à prendre en considération est le développement de food halls, comme on le voit à City 2 ou à Docks Bruxsel. Le food and beverage (bar et restaurants) ne cesse de prendre de l’essor en Belgique. Mais sa marge de croissance est encore gigantesque. ” Le choix d’une mise en scène attrayante des magasins, à long terme comme de manière ponctuelle, est un autre élément clé, lance François Honoré. Tout comme la ‘phygitalisation’ du commerce, à savoir la combinaison des atouts d’un magasin physique (l’ambiance, le sensoriel, l’essayage et le conseil) à ceux de l’e-commerce (services de livraison, click&collect, bornes interactives, etc.). Enfin, tout cela s’accompagnera d’une offre événementielle forte et d’espaces de loisirs. ”
Ces shoppings ne seront alors plus uniquement des lieux de passage mais bien des destinations finales où des clients peuvent y rester une journée entière, voire deux. Des lieux de vie où l’on pourra s’amuser, se détendre, sociabiliser et manger. ” C’est exactement ce que nous allons développer à Seraing avec le Val Saint Lambert Free Time Park, lance Pierre Grivegnée, CEO d’Immoval. Nous serons les premiers en Belgique à proposer une telle offre. ”
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