“La fin de la maison avec jardin, ce n’est pas pour demain”

Edouard Herinckx © Thomas & Piron

Thomas & Piron affiche de brillants résultats financiers. Le plus grand groupe de construction wallon surfe pourtant à contre-courant des discours politiques visant à réduire l’étalement urbain. Si la Wallonie et le Luxembourg restent les têtes de pont du groupe, son CEO dévoile ses nouvelles ambitions internationales.

Le groupe Thomas & Piron va bien, merci pour lui. Crise ou non, ses résultats financiers s’empilent aussi bien que les briques d’une maison quatre façades, l’un des trois pans de ses activités avec les grands projets immobiliers (T&P Bâtiment) et les rénovations (T&P Rénovation). Si 2019 a été flamboyante (chiffre d’affaires de 581 millions, Ebitda de près de 70 millions, fonds propres de 303,2 millions), les ambitieuses prévisions pour 2020 n’ont pas encore été revues à la baisse malgré la dernière crise sanitaire : le groupe basé à Wierde (Namur) vise les 625 millions de chiffre d’affaires. ” Nous avons été impactés à la marge ces derniers mois, clame Edouard Herinckx, son administrateur délégué. Nos 2.161 collaborateurs ont continué à bien travailler et nos ventes d’appartements et de maisons se sont maintenues. ” Tour d’horizon de celui qui, en 45 ans, est devenu le fleuron wallon de la construction. Et de loin.

Nous sommes devenus un grand groupe mais nous avons réussi à maintenir une belle agilité opérationnelle.

TRENDS-TENDANCES. Comment avez-vous traversé ces derniers mois ?

EDOUARD HERINCKX. Nos chantiers ont repris dès le 15 avril. Il y a eu une belle entraide entre nos équipes. Les ventes ont bien évidemment été impactées. Nous avons fait un très beau mois de juin, juillet a été rassurant alors que le mois d’août est correct, sans plus. Nous n’avons pas encore pu rattraper le retard accumulé suite au confinement mais j’espère que tout rentrera dans l’ordre d’ici quelques semaines.

Comment redresser la barre justement ?

Je réitère ma demande auprès du gouvernement fédéral d’établir un plan de relance en matière de construction. Ramener le taux de TVA de 21% à 6% sur la première tranche de 60.000 euros permettrait aux jeunes ménages d’avoir un boost supplémentaire lorsqu’ils désirent acquérir un premier bien. Ce serait une mesure temporaire, jusqu’à la fin de l’année, pour doper les ventes. Aujourd’hui, ce plan de relance tarde malheureusement à venir, malgré les contacts que nous avons avec le monde politique. A côté de cela, nous observons que les banques tendent à augmenter la quote-part des fonds propres nécessaires. Ce qui suscite certaines hésitations auprès des candidats acquéreurs. Sans parler du retard que les administrations ont accumulé ces derniers mois. Si on additionne ces trois éléments, 2021 pourrait devenir quelque peu compliqué. Donc attention. Dans certains projets de lotissements, nous avons par exemple aujourd’hui des gens qui sont prêts à acheter des biens alors que nous n’avons pas encore obtenu toutes les autorisations administratives. Et nous devons donc les mettre en stand-by.

Quelles leçons tirez-vous de cette période ?

Je pense qu’il y aura des éléments intéressants à retenir pour l’immobilier. L’espace de bureau à la maison deviendra par exemple un espace incontournable. Il n’est plus concevable de travailler dans sa cuisine ou dans son garage, comme j’ai pu l’entendre pendant le confinement. Cette tendance du télétravail va se renforcer, il faut la préparer et l’anticiper dans nos futurs projets. Tout comme le fait d’avoir un espace où l’on peut prendre l’air. Pour le reste, je pense que les locaux destinés aux vélos deviendront un must. Il y a 15 ans, lorsqu’on nous imposait un local de ce type, j’étais le premier à m’interroger sur sa pertinence. Aujourd’hui, ils sont trop petits dans certains immeubles.

© PG/ALEX BUX

Vous construisez aujourd’hui toujours davantage de maisons (780 en 2019) que d’appartements (715). Voyez-vous cet équilibre évoluer à l’avenir ?

Non. D’ailleurs, cela ne change rien à nos résultats. Il n’y a pas de volonté d’accentuer la présence sur un segment plutôt qu’un autre. Cela dépend de nos opportunités.

Mais vous voyez quand même le marché évoluer ?

Oui, mais pas nécessairement dans le sens que l’on croit. Les politiques doivent davantage écouter le marché. Ce n’est pas parce que l’on proclame un ” Stop au béton ” ( plan qui, en Wallonie, prévoit d’interdire toutes les nouvelles constructions d’ici 2050 dans les espaces ouverts, Ndlr) que cela répond à la demande des gens. Je suis bien évidemment convaincu que l’idée de disposer d’une parcelle de 30 ares au milieu des champs dans le Namurois ou en Brabant wallon et d’y construire une belle villa avec piscine est une vision dépassée. Cela a évolué. Aujourd’hui, avec 5 ares, vu l’évolution des modes de vie, cela devient suffisant. Le Domaine des Vallées à Gastuche (Grez-Doiceau), un lotissement de maisons que nous venons de terminer, en est un bel exemple. Même chose à Bruxelles où les politiques veulent des appartements de trois ou quatre chambres alors que la demande est davantage centrée sur les appartements d’une chambre. Ce sont les utilisateurs finaux qui déterminent ce dont ils ont envie.

L’ambition est avant tout de nous développer en France, surtout dans la région de Dunkerque, et en Suisse.

Mais n’est-ce pas justement aux politiques de donner des orientations et de faire évoluer des modes de vie qui peuvent être considérés comme dépassés ?

En effet. Mais il faut de tout. Nos projets de lotissements se vendent très bien, mais eux aussi évoluent. On y construit un mix de maisons de deux, trois, quatre façades, avec des espaces partagés et la mutualisation de certaines fonctions. Ira-t-on vers la fin de la maison quatre façades ? C’est possible. Mais pas vers la fin de la maison avec jardin.

Vu les tendances d’aménagement du territoire qui sont mises en place en Wallonie et en Flandre, avez-vous des craintes pour l’avenir de T&P Home (construction de maisons) ?

Non. On s’adaptera. Pour le moment, cela fonctionne. C’est d’ailleurs actuellement le pôle qui fournit les meilleurs résultats avec 174 millions de chiffre d’affaires en 2019.

Les banques sont-elles plus frileuses qu’auparavant pour financer vos projets ?

Non, pas encore. Et je ne suis pas trop inquiet en la matière. Une banque de couleur orange a bien reçu des instructions des Pays-Bas de ne plus financer d’immobilier. Mais je ne sais pas si elle ira jusque-là.

Quel regard portez-vous sur vos derniers résultats financiers ?

J’en suis très fier. Nous sommes devenus un grand groupe mais nous avons réussi à maintenir une belle agilité opérationnelle. C’est sans doute lié au fait que nous n’avons qu’un seul actionnaire ( le groupe Piron via son fondateur Louis-Marie Piron, Ndlr), ce qui facilite les choses. Le processus de décision est extrêmement rapide. Et les corrections éventuelles à apporter sont également rapides. Chacun des trois pôles dispose d’une grande autonomie, avec sa propre direction. De mon côté, j’en assume la coordination le mieux possible. Cette structure est un atout. Enfin, nous n’avons pas de cadavres dans nos placards, contrairement à d’autres. Les marges sont étroites dans la construction. Une ou deux erreurs impactent énormément les résultats. Heureusement, nous parvenons à échapper à ces situations. Ce qui est notre force. Nous sommes un groupe de taille humaine, qui est à la croisée des chemins.

Justement, vous venez de mettre un pied en France et en Suisse. Quelles sont aujourd’hui vos ambitions internationales ?

L’idée est d’y être rentable et d’apporter notre expertise en fonction des sociétés que nous rachetons. Soit en accentuant le volet construction, soit le volet développement. En France, nous construisons environ 150 maisons par an. Mais nous sous-traitons toute l’activité de construction. Pourquoi ? Car nous n’avons pas encore l’économie d’échelle pour y parvenir. En Suisse, nous avons racheté la société de construction Dumas. L’objectif sera donc de mettre l’accent sur le développement immobilier. Le CA est de 50 millions de francs suisses. L’idée serait de doubler ce montant dans cinq ans.

Pour la France, avez-vous des ambitions parisiennes, comme c’est le cas d’autres grands promoteurs belges comme Immobel, AGRE ou Besix Red ?

Nous y avons pensé, avant d’y renoncer. Le marché est spécifique et, de plus, très spéculatif. Tous nos succès ont été basés sur le fait de disposer d’hommes ou de femmes compétents pour pouvoir se lancer dans une nouvelle aventure. Ce n’est pas le cas ici. De plus, si nous ne disposons pas de la bonne infrastructure, cela ne sert à rien de s’y implanter. Nous avons en fait un management très pragmatique. Au Portugal, où nous avons des chantiers à Lisbonne et Porto, il s’agit davantage d’opérations ponctuelles. Tout comme à Casablanca, où nous développons 214 appartements de standing.

Vous lorgnez encore d’autres pays ?

Non. L’ambition est avant tout de nous développer en France, surtout dans la région de Dunkerque, et en Suisse. Je n’ai pas cité le Luxembourg car il s’agit d’un de nos terrains d’action historiques où notre présence est très forte depuis notre fondation.

Comment voyez-vous l’évolution de la répartition de l’activité de vos trois pôles (T&P Bâtiment, T&P Rénovation et T&P Home) ?

Chaque pôle devrait se maintenir. Il est vrai que nous pourrions accentuer notre présence à Bruxelles. De nombreuses transformations de bureau en résidentiel peuvent encore être effectuées. Il reste également encore beaucoup de foncier disponible. Quant aux prix, s’ils augmentent sans cesse, ils restent toutefois au niveau de Lille. Ce qui est relativement acceptable pour une capitale européenne. Pour le reste, je suis très ambitieux sur le volet rénovation de maisons. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à effectuer pour améliorer le parc belge de logements sur le plan énergétique.

Les bruits de couloirs affirment que vous achetez des terrains à tour de bras actuellement en Wallonie. C’est pour vous prémunir du futur plan régional ” Stop au béton ” ?

Non, pas spécialement. C’est davantage pour gérer notre croissance et maintenir un rythme de production de logements. Nous disposons d’un stock conséquent de manière à pouvoir nous assurer de disposer de suffisamment de développements dans les années futures. Principalement sur le segment des lotissements.

Le grand public n’a pas nécessairement suivi l’évolution du Groupe Thomas & Piron, notamment son attrait pour les projets d’envergure avec des architectes de renom. Dans l’imaginaire collectif, vous restez associé à ce constructeur de lotissements moyen de gamme, au milieu des champs. Souffrez-vous de cette image ?

Cela ne nous dérange pas. Nous sommes fiers de nos origines et de la manière dont nous travaillons. Nous avons l’étiquette d’une société qui fait du moyen de gamme supérieur. Et nous le faisons très bien. Le projet de la petite maison du maçon au fin fond des Ardennes a évolué. Nous ne renions pas nos lotissements. Tout comme nous sommes très fiers quand nous construisons la Maison de la Culture (Delta) à Namur, avec une architecture particulièrement qualitative ( imaginée par Samyn and Partners, Ndlr). Notre leitmotiv est avant tout de pérenniser l’entreprise et de rapporter de l’argent afin que l’actionnaire soit satisfait.

Profil

· Né le 20 avril 1965

· Ingénieur commercial à l’Ichec en 1988

· Parcours au sein du groupe Eiffage de 1992 à 2015. Contrôleur de gestion, directeur commercial, CEO de Valens, CEO d’Eiffage Immobilier

· Administrateur délégué de Thomas & Piron Bâtiment de 2016 à 2018

· Administrateur délégué de Thomas & Piron Holding depuis 2018

625 millions

En euros, le chiffre d’affaires attendu par Thomas & Piron Holding en 2020.

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