Investissements locatifs: refroidis, les multipropriétaires?

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Pas vraiment… Qu’importe la crise sanitaire, les nouvelles règles de la Banque nationale et la croisade du fisc à leur égard, ils restent très actifs sur le marché.

Oubliés, les différents confinements: le marché immobilier est reparti de plus belle. Les transactions sont en forte hausse, la demande de prêts hypothécaires explose et les prix s’envolent. Ce dynamisme retrouvé s’explique d’abord par un changement dans les besoins en termes d’espace et de lieu, avec une demande accrue due au covid pour certains types de biens tels que les maisons avec jardin ou les appartements avec terrasse. Mais il s’explique aussi par l’épargne forcée des ménages en raison de la crise, laquelle a poussé une partie des Belges à se tourner vers la brique pour investir leurs surplus de liquidités. Et ce d’autant plus que l’immobilier est depuis plusieurs années déjà le placement préféré de milliers d’épargnants et de représentants de la classe moyenne qui attendent un complément pour leur pension, de leur salaire ou de leur revenu d’indépendant.

Les investisseurs sont restés actifs, mais puisque les quotités ont diminué, ils ont dû mettre davantage d’argent sur la table pour financer leur achat.

Alexandre Francart (BNB)

Quotités

Si la pandémie et ses restrictions sanitaires ne semblent pas avoir d’effet sur l’appétit des investisseurs, il n’en va pas de même des nouvelles règles imposées par la Banque nationale depuis le 1er janvier 2020 en matière de quotité pour l’achat d’un bien destiné à être loué. “L’impact de ces limites concernant les prêts dits buy-to-let est clairement visible, indique Alexandre Francart, expert au département en charge de la stabilité du système financier belge au sein de la Banque nationale de Belgique (BNB). On observe une diminution assez marquée, dans ce segment buy-to-let, de la part des prêts à quotités élevées. Cela va dans le sens de ce que nous espérions. Globalement, les banques suivent nos recommandations.”

Pour rappel, pour un investissement locatif, chaque banque doit désormais exiger de la part du candidat emprunteur un apport personnel d’au moins 20% de la valeur du bien convoité (hors frais). Les investisseurs ne peuvent donc plus emprunter que 80% du prix d’achat d’un bien. Pour chaque banque, la BNB tolère toutefois une marge de 10% de sa production annuelle, avec une limite fixée à 90% de quotité (voir infographie ci-contre). Résultat des courses? Au premier semestre 2020, la part des nouveaux crédits buy-to-let avec une quotité inférieure à celle imposée par la BNB avait déjà augmenté à 76%, contre 67% en 2019.

Investissements locatifs: refroidis, les multipropriétaires?

Reins solides

Ceci n’a toutefois pas empêché les investisseurs de rester actifs sur le marché. Du moins ceux qui ont les reins solides. “La part des crédits buy-to-let, tout comme celle des jeunes emprunteurs, par rapport à l’ensemble des prêts hypothécaires accordés par les banques reste en effet stable. Elle continue de tourner autour de 10 à 12% de l’ensemble de la production hypothécaire des banques. Les investisseurs sont donc restés actifs mais puisque les quotités ont diminué, ils ont dû mettre davantage d’argent sur la table pour financer leur achat. Ils ont donc dû prendre plus de risques. Risques qui, à l’inverse, diminuent dans le chef des banques puisqu’elles prêtent moins en moyenne.”

Les chiffres du dernier baromètre hypothécaire de BNP Paribas Fortis confirment la tendance. Soucieux d’investir pour leurs vieux jours et disposant de moyens plus importants que les jeunes ménages, les babyboomers continuent en effet à tirer profit des taux bas, malgré les nouvelles règles de la BNB. L’an dernier, la proportion de crédits accordés par BNP Paribas Fortis aux plus de 55 ans a ainsi grimpé de 12% par rapport à 2019. Des seniors qui mettent effectivement plus d’argent sur la table pour acheter un deuxième bien, voire un troisième, amenant comme fonds propres en moyenne 51% de sa valeur, contre 43% en 2019.

Question de temps

Pas plus que les nouvelles règles en matière de quotité de la BNB, les ardeurs du fisc à leur égard ne semblent devoir inquiéter outre-mesure les propriétaires de plusieurs biens immobiliers. Comme on le sait, l’administration fiscale mène depuis quelque temps une croisade contre les multipropriétaires. Le fisc n’hésitant pas à taxer les loyers qu’ils perçoivent (et/ou les plus-values immobilières qu’ils réalisent) au titre de revenu professionnel, au taux marginal qui peut rapidement monter à … 50%! Plusieurs décisions de justice assez marquantes sont allées dans ce sens ces dernières années.

Pour l’avocat spécialisé en droit fiscal Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law), il faut toutefois relativiser cette jurisprudence défavorable aux contribuables. Selon lui, seuls des cas assez “extrêmes” font l’objet de redressements fiscaux. “Le fisc vise en particulier certains multipropriétaires lorsqu’ils prennent des risques, effectuent de multiples transactions immobilières successives et consacrent un temps considérable à la gestion de leur patrimoine immobilier. Un cas n’est pas l’autre. Il faut bien avoir égard à toutes les circonstances de chacun. Un contribuable qui loue plusieurs dizaines de kots d’étudiants ne doit pas nécessairement se faire du souci”, observe l’avocat citant également un arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 27 novembre 2018 qui rappelle que l’activité professionnelle suppose une activité non seulement régulière mais qui s’inscrit également dans le cadre d’un ensemble organisé d’activités. “La cour a jugé qu’il n’y avait pas d’exercice d’une activité professionnelle, en se fondant notamment sur le fait que la location de studios et d’appartements se déroulait sans la fourniture de services réguliers et continus au profit des locataires, tels que la maintenance des parties communes”, précise Denis- Emmanuel Philippe. Manière de dire que celui qui achète quelques immeubles de rapport avec son épargne et qui passe peu de temps à les gérer ne doit vraiment pas s’en faire.

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