Immobilier (dé)coté: des opportunités à exploiter prudemment
En véritable chute libre depuis le début de l’année, les actions immobilières sont avant tout victimes des taux. Bien que ces déboires boursiers risquent de se propager sur le marché immobilier, certaines opportunités commencent à émerger.
Réputées défensives et offrant des rendements stables, les actions immobilières sont généralement classées dans la catégorie des valeurs de “bon père de famille”. Tout particulièrement dans le cas de sociétés immobilières réglementées comme les SIR en Belgique, les SIIC en France, et plus largement les REIT (real estate investment trust) au niveau mondial. Même si chaque pays a défini un régime propre, les grandes lignes sont en effet assez similaires. Il s’agit de sociétés cotées en Bourse détenant et gérant un patrimoine immobilier qu’elles donnent en location ; elles ne sont donc pas actives (principalement) dans la promotion immobilière, plus risquée. Elles doivent en outre reverser la majeure partie (généralement plus de 80%) de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividende. Et elles ne peuvent s’endetter au-delà d’un certain niveau, assurant la pérennité de l’entreprise.
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Plongeon des REIT
A priori, ces critères devraient permettre aux REIT d’afficher des cours assez stables et en tout cas moins volatils que les Bourses en général. Pourtant, l’indice paneuropéen Stoxx 600 REITs connaît une véritable descente aux enfers avec une chute de près de 42% depuis le début de l’année. Deux fois pire que la tendance générale sur les marchés boursiers européens.
Pour expliquer cette déconfiture, Ioanna Exarchou, head of investor relations chez Pictet Alternative Advisors, souligne tout d’abord “la forte corrélation positive entre les REIT et les actions mondiales“, contrairement à l’immobilier physique dont la corrélation est négative (voir tableau ci-contre). En période de tensions, les REIT peuvent ainsi être victimes de ventes (forcées) des gestionnaires de portefeuilles d’actions. Quant à la chute plus prononcée des actions immobilières par rapport à la moyenne des Bourses, Pascale Nachtergaele, equity fund manager chez Nagelmackers, souligne l’importance des taux. “Les sociétés immobilières ont bénéficié de la baisse des taux d’intérêt à long terme ces dernières années. Cela leur a permis de financer leur expansion avec une dette bon marché. Cette année, les taux d’intérêt à long terme ont fortement augmenté en peu de temps, renchérissant le coût du crédit.”
On va probablement rentrer dans une période où le volume des transactions va baisser et les prix vont s’ajuster à la baisse.
Damien Grulier (Sepiam)
De plus, la remontée des taux a réduit l’attractivité des dividendes des actions des REIT. Selon Qontigo, le rendement de dividende net du Stoxx 600 REITs est de 2,2%. Comparativement, le rendement d’une obligation à 10 ans de la Belgique est aujourd’hui de 2,9% (brut) contre 0,2% en début d’année.
Pour Damien Grulier, président et cofondateur de Sepiam, les actions immobilières “sont au coeur d’une tempête mêlant forte inflation, hausse des taux longs et dégradation de la croissance économique, particulièrement en Europe. En plus, certains sous-secteurs ont souffert de problématiques spécifiques comme le scandale Orpéa (soupçons de maltraitance dans les maisons de repos de l’exploitant, Ndlr) qui a secoué les foncières de santé”. Les spécialistes des entrepôts (logistiques) ont pour leur part été affectés par le coup d’arrêt de l’e-commerce. Au niveau mondial, les ventes en ligne ont même connu un recul historique (-3%) au premier trimestre selon le Shopping Index de Salesforce.
Décote et déprime
L’environnement boursier va aussi peser sur l’activité, estime Pascale Nachtergaele. “En raison de la chute du cours des actions, la plupart des sociétés immobilières cotent aujourd’hui à un prix inférieur à leur valeur intrinsèque (Net Asset Value, NAV). Or, beaucoup ont profité pendant longtemps de leur prime par rapport à leur NAV pour financer de nouveaux investissements par le biais d’augmentations de capital. La suppression de cette source de financement favorable va freiner la croissance de nombreuses sociétés immobilières.”
En Belgique, WDP a par exemple d’ores et déjà renoncé au dividende optionnel (versé en actions nouvelles plutôt qu’en cash) à la suite de la chute de son cours. Et VGP a annoncé en début de mois avoir mis au frigo son projet de quatrième co-entreprise avec l’assureur allemand Allianz. Dans le cadre de ce partenariat, VGP (qui n’est pas une société immobilière réglementée) développe des projets qu’elle revend à la co-entreprise, libérant ainsi des financements. Jan Van Geet, CEO de VGP, souligne que “la transparence limitée des prix rend difficile la conclusion d’un accord, nous préférons attendre que la volatilité actuelle s’apaise avant de conclure une transaction”.
Baisse des prix des biens
Cela pourrait toutefois prendre un certain temps, car les marchés immobiliers physiques ont encore peu réagi notamment à la forte remontée des taux d’intérêt et au ralentissement de l’économie. Mais ce n’est qu’une question de temps, selon Damien Grulier. “On va probablement rentrer dans une période où le volume des transactions va baisser et les prix vont également s’ajuster à la baisse. Au niveau des transactions physiques entre professionnels (donc dans le marché des foncières cotées), on commence d’ailleurs à voir un assèchement du marché, notamment en Suède, depuis quelques mois. ” Le spécialiste de Sepiam se montre toutefois plutôt rassurant quant à l’ampleur de la baisse. “Les marchés boursiers surréagissent toujours. En 2008, la baisse des indices d’actions immobilières avait été comparable à ce que l’on vit actuellement, mais les prix des biens immobiliers physiques n’avaient pas connu des mouvements de la même ampleur.” En résumé, la correction des actions immobilières a été trop forte et “il est tentant de rentrer sur ce marché qui, à long terme, présente des caractéristiques positives. La baisse des prix actuelle n’est pas effectivement due à un choc d’offre, mais à un contexte macroéconomique particulier qui devrait s’améliorer à un moment ou à un autre. Pour autant, il faut être capable de supporter le niveau extrême de volatilité actuel et il vaut mieux, si on souhaite investir sur ce marché, le faire par étape”. Une conclusion partagée par Pascale Nachtergaele. “Après la forte correction, nous pensons qu’il est intéressant de développer son portefeuille d’immobilier coté. Cependant, nous restons prudents et vous recommandons d’investir dans une perspective de long terme. Tant que les taux d’intérêt (à long terme) ne se stabiliseront pas, l’immobilier coté restera volatil.”
Quelles actions?
“Nous examinons principalement les segments immobiliers qui peuvent facilement répercuter l’inflation (en indexant leurs loyers, Ndlr), tels que le segment de la santé et le segment du self-stockage“, poursuit Pascale Nachtergaele. Vu l’environnement financier, “nous privilégions également les sociétés peu endettées. Nos valeurs préférées à l’heure actuelle sont ainsi Aedifica dans le segment de la santé et Shurgard dans le segment du self-stockage“.
Les sociétés immobilières ont bénéficié de la baisse des taux d’intérêt à long terme ces dernières années. Cela leur a permis de financer leur expansion avec une dette bon marché.
Pascale Nachtergaele (Nagelmackers)
Damien Grulier apprécie aussi le segment de l’immobilier de santé (maisons de repos, cliniques, etc.) alors que l’impact matériel du scandale Orpéa devrait être limité pour les propriétaires des biens immobiliers. Mais il plébiscite surtout Cofinimmo au vu de l’ampleur de la correction depuis le début de l’année. Plus largement, “les secteurs résidentiels présentent le moins de risques en ce moment, car peu affectés par la baisse de la croissance économique dans les prochains mois. Historiquement, ce sont ceux qui sont les plus défensifs même si pour l’instant, cela n’a pas été le cas. On peut par exemple penser à Vonovia, le leader allemand du résidentiel à prix raisonnable qui affiche une baisse de plus de 50% depuis le début de l’année”.
Double précompte
L’inconvénient d’un investissement dans une société immobilière étrangère est le double précompte sur le dividende (qui représente une importante partie du rendement à long terme). L’alternative dans ce cas est d’opter pour un fonds immobilier (de capitalisation). Au niveau européen, le fonds DPAM Invest Real Estate Europe Dividend Sustainable B obtient une des meilleures notes de Morningstar (5 étoiles, BE6213829094, frais annuels courants de 1,76%). Du côté des fonds indiciels, l’ETF VanEck Global Real Estate (Euronext Amsterdam ; NL0009690239 ; TRET ; frais annuels courants de 0,25%) vous offre une exposition mondiale. La principale position est le leader mondial des entrepôts Prologis (10% du portefeuille) devant le géant américain de l’entreposage libre Public Storage (5% du portefeuille).
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