Immobilier commercial: “Il faudra trois ans pour revenir à la normale”
La passe de trois paraît compromise. Après L’Esplanade et Médiacité, Peter Wilhelm bute aujourd’hui sur le projet mixte comprenant un important volet commercial qu’il tente de construire à La Louvière. Un dossier qui symbolise bien les difficultés du secteur de l’immobilier commercial en Belgique. De quoi lui donner l’occasion de tirer un bilan de la situation actuelle.
Depuis son bureau bruxellois, situé à deux pas de l’avenue Louise, Peter Wilhelm, fondateur et CEO du développeur immobilier Wilhelm & Co, pilote aujourd’hui ses développements internationaux. C’est de là aussi qu’il assume ses fonctions de président du conseil d’administration de l’European Council of Shopping Places qui “représente toute l’industrie des espaces commerciaux en Europe”. Entretien à quelques jours de donner le coup d’envoi du Mapic sur la scène cannoise.
TRENDS-TENDANCES. Alors, La Strada, c’est définitivement terminé?
PETER WILHELM. Je crois plus que jamais au potentiel commercial de La Louvière et au fait qu’une nouvelle offre ferait sens. Par contre, le projet multifonctionnel que nous menons depuis 2008 semble clairement compromis. Après une tentative de conciliation infructueuse, suivie d’une déclaration de caducité du marché par la Ville, une action en justice a été intentée cet été contre la Ville de La Louvière. Le procès se déroulera à l’automne 2022.
Votre objectif est de récupérer les frais déjà engagés et les moins-values liées à la non-concrétisation du projet. A combien cela se chiffre-t-il?
Le but est de réaliser des projets immobiliers, pas de faire des procès, mais la résiliation d’un marché public par une autorité entraîne l’indemnisation des dépenses et du manque à gagner du promoteur. Un préjudice estimé à 65 millions d’euros.
Etes-vous optimiste quant à l’issue du procès?
Personne ne peut l’être, tant du côté de la Ville que du nôtre. J’espère donc assister à un sursaut de réalisme des autorités communales louviéroises, voire régionales, par rapport à la possibilité d’engager la Ville dans un tel tombeau financier. Les deux parties estiment avoir de solides arguments. Je pense toujours toutefois qu’il serait plus opportun de s’asseoir autour d’une table pour régler cette affaire.
Des bruits courent que la Ville serait sur le point de relancer un nouvel appel à candidats pour redévelopper l’ancien site de Boël…
Je ne vois pas comment un développeur immobilier digne de ce nom pourrait se lancer dans une telle aventure tout en ayant une épée de Damoclès au-dessus de la tête avec l’incertitude juridique en cours.
Finalement, quel regard portez-vous sur ce dossier qui aura pris près de 15 ans de votre vie?
Un immense gâchis. Ce qui est arrivé est incompréhensible. Qu’un promoteur ait autant de bâtons dans les roues est inconcevable. Wilhelm & Co a bien évidemment des torts. Mais je n’imaginais pas assister à autant de blocages successifs. Cela restera le principal échec de ma carrière. Nos collaborateurs ont donné 10 années de leur vie pour ce projet, sans oublier l’énergie dépensée par les deux bureaux d’architecture. Frustration et déception étaient leur quotidien.
Le volet résidentiel en cours de construction (96 appartements) permettra-t-il de compenser quelque peu les pertes?
Oh, bien sûr que non. La phase 1 s’est très bien vendue, puisque 90% des appartements ont trouvé acquéreurs. La construction des 500 autres appartements dépend de la Ville qui refuse d’honorer l’option d’achat dont nous disposons sur les terrains. La globalité de ce projet de 100.000 m2 prévu sur 100 ha est donc en stand-by.
Avec Rive Gauche, L’esplanade et Mediacité ont été les derniers centres commerciaux à voir le jour en Wallonie. La fin d’un modèle?
Il est évident qu’il n’y aura plus que des projets mixtes, alliant un volet commercial, résidentiel, de loisirs et de bureau. Et encore, il faudra s’armer de patience pour les développer. Les possibilités se réduisent. Ce qu’il faut pouvoir dire, c’est que les pouvoirs publics ne maîtrisent pas toujours les enjeux et les évolutions sur le plan commercial. Certains n’admettent pas que des modèles commerciaux puissent être devenus obsolètes et que nombre de petits commerces de centre-ville qui n’ont pas évolué ne correspondront plus aux attentes des consommateurs. Ce qui constitue un vrai frein à la redynamisation commerciale de leur ville.
Le paysage commercial belge est-il aujourd’hui arrivé à saturation?
En termes de volume absolu, non. Mais pour avoir des villes attrayantes, il faut absolument repenser la fonction du coeur commercial des villes et les recomposer en intégrant l’obsolescence, la dimension environnementale devenue prioritaire et surtout les attentes des consommateurs qui veulent autre chose que ce que leur offre Amazon ou Zalando.
Par où commencer ce vaste chantier?
Certains commerces vont disparaître, ce qui ne signifie nullement que le commerce de proximité est moribond. Que du contraire, mais il doit s’adapter. Le pôle commercial a plus que jamais vocation à jouer un rôle de forum, de lieu de rencontre et de destination. D’où le développement de projets mixtes. A l’avenir, il y aura de moins en moins de différences entre les centres commerciaux et les centres-villes restructurés. Dans les deux cas, on verra un mix équilibré composé de petits magasins, de locomotives, de fonctions les plus diverses et d’une importante offre de loisirs. En 25 ans, les surfaces horeca-loisirs sont passées de 5 à 15% voire 25% du mix des pôles commerciaux.
Certains n’admettent pas que des modèles commerciaux puissent être devenus obsolètes.” Peter Wilhelm
Ces redéveloppements vont-ils se faire au détriment de certains pôles commerciaux?
Repositionner un espace urbain obsolète, quitte à en modifier certaines fonctions, ne se fait pas à son détriment. Au contraire, c’est assurer sa pérennité. Les enquêtes de consommateurs démontrent que les retail parks, tant décriés par les urbanistes, sont plébiscités tant par une majorité de consommateurs que par certaines enseignes pour lesquelles ils sont indispensables.
Quel est l’avenir des développeurs d’immobilier commercial?
Les investisseurs ont un bel avenir. Les valeurs des grandes sociétés foncières ont baissé au-delà du raisonnable, même si certaines d’entre elles se sont déjà bien reprises. Globalement, sauf pour les retail parks, l’immobilier commercial a subi une baisse significative, surtout les grandes surfaces dans les rues commerçantes les plus difficilement accessibles en voiture. Mais le plancher semble atteint et d’intéressantes opportunités se présentent. Pour les développeurs, cela s’annonce plus compliqué. Aujourd’hui, l’accès au crédit bancaire pour les projets à vocation majoritairement commerciale est fermé, et pour ceux qui peuvent se financer sur le marché des capitaux, les baisses de cours des foncières et le retail bashing ambiant rendent les choses compliquées.
Croyez-vous en un rebond?
Ce genre de situation ne dure jamais. Le CEO d’une grande foncière me confiait récemment qu’il faudrait au maximum trois ans pour revenir à la normale. Pour les meilleurs sites, ceux qui n’ont pas attendu la crise pour se réinventer, je pense que cela ira beaucoup plus vite. Dans de nombreux pays européens, la fréquentation et les chiffres d’affaires sont proches et parfois supérieurs à ce qu’ils étaient en 2019 avant la crise du covid.
Quid de l’avenir pour Wilhelm & Co?
Il nous reste encore des terrains pour développer du bureau et du logement, notamment à Louvain-la-Neuve. Mais nos activités sont aujourd’hui surtout tournées vers l’étranger, avec des projets mixtes qui pourront être développés en France, au Portugal et en Italie.
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