Evergrande: un rêve chinois de propriété qui vire au cauchemar
Elle n’en dort plus: six mois après avoir payé 85.000 euros pour réserver un appartement, Ji Wenchen, comme des milliers de Chinois, attend toujours qu’Evergrande lui en remette les clés, mais le géant de l’immobilier n’honore plus ses engagements.
La trentenaire a versé la somme en mars au titre d’apport personnel avant de s’installer dans l’appartement de ses rêves, dont la construction n’est toujours pas achevée.
“Mon nom n’apparaît pas sur le titre de propriété, ce qui signifie qu’Evergrande n’a même pas versé mon argent à la mairie. Normalement, ça doit être fait dans le mois”, rapporte-t-elle.
“J’arrive à peine à dormir et à manger ces jours-ci”, témoigne Mme Ji, l’une des milliers d’investisseurs tétanisés par la crise de la dette chez Evergrande.
Le mastodonte privé de l’immobilier croule face à un endettement de quelque 260 milliards d’euros. Selon des experts, le groupe doit notamment encore achever 1,4 million de logements pour une valeur totale de 170 milliards d’euros.
Evergrande a succombé aux nouvelles règles imposées par Pékin pour enrayer la spéculation immobilière après des décennies d’argent facile, lorsque les promoteurs multipliaient les incitations pour convaincre les propriétaires de s’installer dans du neuf.
Une seule solution: attendre
Désormais, les réseaux sociaux regorgent de témoignages de petits investisseurs qui redoutent de ne jamais récupérer leur bien.
L’un d’entre eux raconte qu’il a acheté un appartement à Kunming (sud-ouest), qui devait être achevé le mois dernier, mais que l’immeuble n’est toujours par fini et que le chantier est désert.
En août, plusieurs centaines d’acheteurs ont manifesté devant le siège du groupe à Shenzhen (sud) pour exiger un remboursement, d’après des images diffusées sur le réseau social Weibo.
Des manifestants sont revenus sur place lundi et mardi.
“Je m’inquiète pour mon appartement: je suis censé le récupérer avant le 31 octobre d’après le contrat”, témoigne un homme qui se présente sous le nom de Kevin. Le bien se trouve à Jiaozuo, dans la province centrale du Henan.
“J’ai posé la question à Evergrande il y a quelques jours. On m’a répondu qu’il risquait d’y avoir du retard parce qu’ils n’ont pas assez d’ouvriers. Tout ce que je peux faire, c’est attendre”.
Un quart des investissements
Dans un pays toujours officiellement communiste, la propriété immobilière est une marque importante de statut social. Elle est même souvent une condition pour qu’un homme puisse se marier.
Le secteur tient une place considérable dans l’économie — il représente plus du quart des investissements dans le pays.
Alors que des dizaines de millions de ménages ont investi dans la pierre, les conséquences macroéconomiques pourraient être graves si la valeur des biens tombait sous le montant des emprunts à rembourser.
Le tour de vis réglementaire de Pékin “n’avait pas besoin d’être aussi agressif”, commentent des experts de la Bank of America, cités par l’agence Bloomberg. Ces derniers redoutent des conséquences sur la demande industrielle et la consommation.
D’autres experts supposent que le régime communiste n’a pas vraiment intérêt à sauver Evergrande au moment où il s’en prend à de grands noms du secteur privé, particulièrement dans le numérique.
Le cabinet Capital Economics prédit toutefois qu’en cas de faillite le pouvoir pourrait privilégier les petits investisseurs comme Mme Ji pour éviter une explosion de colère populaire.
Celle-ci ne compte plus guère sur l’appartement qu’elle a acheté dans la province orientale du Jiangxi. Elle se contenterait de pouvoir au moins récupérer son argent, un placement offert par ses parents. “Quand j’ai acheté cet appartement je faisais confiance à Evergrande”, raconte-t-elle dépitée.
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