Durable, oui… Mais pas trop cher !

Les terrains d’activité économique sont un mal nécessaire dans le paysage régional : laids, embarrassants mais économiquement indispensables. Une alternative durable est en train de voir le jour avec l’appui — à géométrie variable — des trois pouvoirs régionaux.

Voilà un moment déjà qu’a été lancée l’idée de créer dans la capitale une plate-forme logistique urbaine, à savoir le Brussels International Logistic Center (BILC), entre le centre du TIR (Transport international routier) et Tour & Taxis. Un “pôle modèle de distribution urbaine durable” va enfin y voir le jour. Fin 2012, le gouvernement de Bruxelles-Capitale approuvait les plans de développement d’une zone portuaire économique respectueuse des générations futures sur ce terrain de 8 hectares. Le développement en a été confié au Port de Bruxelles et à la Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB). Une superficie de quelque 53.500 m² sera aménagée et commercialisée comme parc industriel “durable”. 26.800 m² seront affectés à une fonction logistique concentrée sur la distribution urbaine… “durable”. La promesse semble donc confirmée dans les textes.

Cette durabilité à tout crin sera désormais LA norme des terrains d’activité économique. Les deux autres régions ne sont pas en reste et encouragent, elles aussi, le développement de parcs d’activité plus “verts”. A Machelen, à moins de 10 km de Tour & Taxis, le promoteur immobilier gantois Re-Vive a l’intention de démarrer le chantier du terrain d’activité économique durable Brightpark dès la fin de l’été. La zone est aujourd’hui cataloguée brownfield (traduisez un champ brun, c’est-à-dire un terrain pollué dont la reconversion implique une dépollution). Re-Vive a racheté les terrains qui faisaient partie du même Plan d’affectation du sol que le site Uplace, de Messer (Hoechst), Atab et une filiale canadienne de GE. “L’assainissement ne sera pas simple, précise Jelle Vandendriessche (Re-Vive). Les trois propriétaires précédents, mais aussi les utilisateurs avant eux, ont considérablement pollué le site.” Re-Vive évalue actuellement le coût de l’assainissement à 5 millions d’euros. Une fois reconverti, le brownfield deviendra un parc industriel vert capable d’accueillir une quarantaine d’entreprises. Outre un grand bâtiment regroupant plusieurs sociétés, Re-Vive réserve plusieurs parcelles à des bâtiments individuels pour de plus grandes entreprises. Une utilisation optimale de l’espace, le partage des installations et un désenclavement bien pensé pour un trafic tout en douceur mettent en exergue l’ambition durable du parc industriel. Avec une plateforme multimodale à proximité, Brightpark sera également accessible par transports publics.

Pour bénéficier de subsides alloués par les autorités flamandes aux terrains industriels durables, une des conditions à remplir est la garantie par le promoteur immobilier de la neutralité en CO2 du parc. L’aide des autorités flamandes au (ré)aménagement des terrains d’activité économique s’élève pour l’instant à 30 % des investissements d’infrastructure (routes, pistes cyclables, zones vertes, etc.) et de ceux “contribuant à la durabilité du terrain” : usage intensif de l’espace, économie de l’énergie et de l’eau, etc. La subvention flamande monte à 60 % pour les terrains vétustes, les brownfields, les parcs scientifiques et les sites industriels stratégiques agréés.

Grosse fatigue des entrepreneurs wallons La Wallonie joue elle aussi la carte du développement des zones d’activité économique durables par le biais d’une réglementation de subvention. Dans le cadre du Plan Marshall 2.Vert, le gouvernement wallon a libéré un budget de 2,5 millions d’euros pour les projets pilotes d’ “éco-zonings”. Pour être recevables, les projets doivent satisfaire à au moins quatre des six critères de durabilité obligatoires : utilisation et gestion des matériaux, de l’eau et de l’énergie, transport, gestion de la zone et équipement de la zone. Après l’appel lancé en 2010, le jury a sélectionné début 2011 cinq des 13 projets présentés. “Avec une enveloppe d’aide régionale aussi réduite, on n’a guère les moyens d’aller très loin ; on a juste de quoi construire un rond-point et quelques mètres de route…”, observe néanmoins un promoteur wallon, qui parle de saupoudrage. En Wallonie, ce sont les intercommunales qui sont les initiatrices et les régisseurs des éco-zonings, même si, comme le souligne Gaël Lambinon, porte-parole du ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt (PS), “une trentaine d’entreprises sont également partenaires des cinq projets pilotes retenus”.

Christophe Nihon, le patron de la société de conseil en immobilier ImmoQuest (Bergilers), prépare actuellement une étude approfondie sur la gestion du sol wallon. Il pointe lui aussi du doigt le rôle souvent incontournable des intercommunales wallonnes sur leur territoire sous-régional respectif ; mais pas pour les mêmes motifs que ceux évoqués par le ministre de l’Economie. “Si on peut raisonnablement admettre que la pénurie structurelle de terrains disponibles pour l’activité économique est enfin en cours de correction, il reste néanmoins une importante liste d’entreprises en attente d’un terrain aménagé pour y implanter leur activité. Et par les temps qui courent, toute perte de temps est une perte de marchés, d’argent et d’emploi. Les intercommunales connaissent cette liste d’attente et appliquent un droit de préemption sur les terrains industriels disponibles pour la résorber. Je n’ai rien contre ce droit de préemption historique, établi à l’origine pour éviter la spéculation immobilière des promoteurs privés sur ce type de fonciers. C’était un principe sain au départ. Mais ce qui l’est moins, c’est le prix généralement proposé par ces dernières pour le rachat des terrains à leur propriétaire actuel : ce droit de préemption leur permet d’offrir un montant basé sur le prix initial du terrain, en faisant fi des achats et reventes successifs… Dans certains cas, on retombe sous la barre des 10 euros le mètre carré. Et vous comprenez bien qu’à ce prix-là, les propriétaires concernés ne sont guère motivés à faire un effort pour soutenir l’activité économique des candidats acquéreurs…”

Pour Christophe Nihon, ce droit de préemption avec prix plancher est devenu anachronique et contre-productif dans une région où le foncier reste pourtant disponible. Pour motiver l’offre, les prix du foncier devraient être alignés sur ceux du marché, généralement situés entre 45 et 55 euros le mètre carré au moins. “On est dans un cul-de-sac pour l’instant. Et, vu la conjoncture, il est grand temps que les responsables politiques régionaux débloquent la situation pour relancer et soutenir l’activité économique locale, comme ils le promettent si souvent.”

Selon le patron d’ImmoQuest, un autre fait récurrent lié à l’exploitation du sol wallon contrecarre pour l’instant l’essor — ou la survie — économique des entreprises locales : le refus de permis de bâtir motivé par un avis négatif des mêmes intercommunales wallonnes. “Qu’elles aient un avis consultatif lors de l’octroi des permis dans les zones d’activité où elles sont un acteur public de référence, passe encore. Mais si elles estiment que le projet d’immeuble d’un promoteur est trop flexible ou trop flou, pourquoi refusent-elles catégoriquement le projet et n’émettent-elles pas plutôt des réserves sur le type d’activités autorisées dans ses murs ? On perdrait ainsi, en évitant les recours et les procédures interminables, un temps et une énergie précieux pour réussir la reconversion wallonne”, insiste le conseil en immobilier, davantage partisan du “oui mais” que du “non catégorique”, dommageable pour tous.

Nouveau décret flamand : “Un pas en arrière !” Selon Freddy Hoorens, partner du gestionnaire immobilier Quares, il serait plus intéressant que les acteurs privés puissent assumer le rôle d’initiateurs. “Nous sommes actifs dans la gestion des zones d’activité économique durable depuis 2004 et nous constatons que le développement de ces sites connaît un réel succès depuis deux ans, surtout en Flandre. Les autorités flamandes ont adopté une approche intelligente : en associant la neutralité CO2 à une réglementation de subvention, elles ont réussi à positiver la démarche. Nous travaillons également aux Pays-Bas où l’on nous envie la réglementation flamande.”

Freddy Hoorens s’inquiète toutefois du nouveau décret de subvention flamand, encore à l’étude au Conseil d’Etat, mais qui devrait bientôt entrer en application. La nouvelle réglementation concentre et réoriente les moyens vers les (ré)aménagements non rentables sans ces subsides. Cela impliquerait de facto un glissement des aides financières vers les communes et les intercommunales — ici également — au détriment des acteurs privés. Le nouveau décret entend également encourager la gestion active, comme par exemple le contrôle des obligations de construction et d’exploitation lié aux parcelles industrielles : encore une mesure qui vise principalement les acteurs publics comme les communes et les intercommunales…

Concernant la gestion des parcs — notamment l’organisation de l’enlèvement commun des déchets ou la négociation d’achats communs — assurée essentiellement par les acteurs privés comme Quares, le nouveau décret ne prévoit plus aucune aide. Selon Freddy Hoorens, “c’est un pas en arrière : cela ne rime à rien d’inaugurer un site industriel en grande pompe pour constater au bout de quelques années qu’il ne présente plus aucune attractivité, que les entreprises ne collaborent plus.”

LAURENZ VERLEDENS ET PHILIPPE COULÉE

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