Difficulté croissante pour le financement des projets immobiliers

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Financer une opération immobilière s’avère de plus en plus complexe pour les acteurs qui ne sont pas en haut de l’affiche ou qui n’ont pas les poches bien remplies. Une situation que connaissent de plus en plus de promoteurs, qui voient les conditions d’octroi de crédits se resserrer. De quoi devoir trouver de nouvelles formes de financement ou réinventer leur projet ?

Ce n’est pas encore la panique à bord mais les sourires commencent doucement à se crisper dans le monde immobilier. Certains promoteurs éprouvent de plus en plus de difficultés à boucler le financement de leur projet, devant, pour y parvenir, soit rogner sur leurs marges soit revoir leur copie. Il s’agit le plus souvent d’acteurs de taille moyenne, les plus grands possédant, pour le moment, une diversification de leurs sources de financement qui leur permet de passer entre les gouttes. Reste à voir combien de temps cette situation apparue suite aux mesures prudentielles prises par certaines institutions bancaires pourra perdurer.

“Les banques ont en effet clairement resserré les conditions d’octroi de financement bancaire aux promoteurs immobiliers, regrette Boris Salvador, administrateur délégué du promoteur liégeois Diversis. Elles exigent davantage de fonds propres de notre part ou demandent un taux de pré-commercialisation de nos appartements bien plus élevé. Cette situation pourrait s’avérer compliquée sur le long terme car elle pourrait ralentir notre croissance.”

Nous n’avons jamais autant ressenti que la priorité d’une banque est avant tout de se sortir du risque.

Aubry Lefebvre (Thomas & Piron)

Pour bien comprendre le contexte actuel, il faut s’intéresser à la structure de financement d’un projet de promotion immobilière, qui est relativement classique en Belgique même si certains promoteurs expérimentés parviennent à utiliser des voies plus complexes. Cette structure tourne autour de trois piliers : les fonds propres, les emprunts bancaires et la pré-commercialisation. Le premier englobant habituellement 15 à 30% du montant global (lire l’encadré “Comment financer un projet ?”). Il est actionné lorsque un promoteur souhaite acheter un terrain ou un immeuble et ne dispose pas encore de permis d’urbanisme. Une fois le permis obtenu, il passe alors aux deux autres piliers. Et c’est là que cela coince depuis quelques mois.

“De l’argent pour financer des projets, il y en a toujours de disponible, dans les banques ou ailleurs, lance Thierry Collard, CEO d’Eiffage Development. La question est de savoir à quel taux d’intérêt. Car le contexte sanitaire et économique actuel pousse les banques à diminuer au maximum les risques et à revoir le rapport endettement/fonds propres. Il pousse aussi à réfléchir à des alternatives.” Et Aubry Lefebvre, administrateur délégué de Thomas & Piron Bâtiment, d’ajouter : “Même avec les 300 millions de fonds propres que nous possédons au niveau du holding, les banques sont plus attentives. C’est dire si le contexte est tendu. Elles ne s’associent plus qu’à des projets dans lesquels elles croient vraiment et dont le risque est proche de zéro. Mais, il faut bien l’avouer, les promoteurs de plus petites tailles connaissent davantage de difficultés qu’un groupe comme le nôtre”.

Ne plus financer le risque

En matière de promoteurs, il y a ceux qui sont cotés en Bourse (Atenor, Immobel, Banimmo, etc.), ceux qui sont adossés à des groupes de construction (Besix Red, Bouygues Immobilier, BPI, etc.) ou à des family offices (Matexi, Thomas & Piron, etc.). Des acteurs qui disposent de fonds propres importants.

A côté de cela, il existe une multitude de promoteurs de plus petites tailles qui, de leur côté, doivent commencer à chercher des sources de financement alternatives. Pourquoi ? Car les quatre principales banques, toutes historiquement actives dans le financement de projets immobiliers, ont décidé de modifier leur approche voire, pour certaines, de réduire la voilure.

D’après une enquête récente effectuée par l’Upsi (Union professionnelle du secteur immobilier) auprès de ses membres, ING semble par exemple avoir diminué drastiquement ces dernières semaines ses crédits immobiliers. “Elle a en effet décidé de réduire pour le moment son encours bancaire car elle s’estime suffisamment exposée”, explique Boris Salvador. Un positionnement qui n’est toutefois pas partagé par la banque néerlandaise. “Nous n’avons pas arrêté nos financements, tempère Michael Wedner, senior relationship manager chez ING. Nous continuons à effectuer des crédits et nous en recherchons même des nouveaux. Pour les crédits liés à la construction, notre portefeuille a toutefois déjà bien augmenté lors du premier semestre et nous sommes donc plus attentifs. Mais ING vient par exemple de financer un crédit pour un des projets bruxellois d’Atenor, qui est une structure très bien gérée sur le plan financier.”

Une situation que l’on partage du côté de BNP Paribas Fortis qui, avec 30 % de parts de marché sur ce segment, est l’une des principales structures de financement des promoteurs en Belgique. “Il est vrai que nous avons adopté une politique plus prudente mais nous finançons autant de projets qu’avant, explique Didier Snyers d’Attenhoven, head of real estate finance Belgium chez BNP Paribas Fortis. Certaines règles d’octroi de crédit sont devenues plus strictes dans un contexte d’incertitude économique. Nous avons légèrement renforcé les exigences sur la partie equity et le volet relatif à la pré-commercialisation. Nous analysons cependant les dossiers au cas par cas et sommes ouverts à tous types de promoteurs. D’ici la fin de l’année, notre volume de prêts n’aura sans doute pas diminué : nous accompagnons l’évolution naturelle du marché avec une croissance de l’ordre de 4 à 5% par an. Nous ne souhaitons cependant pas augmenter notre part de marché déjà importante.”

Les promoteurs les plus importants ont mis en place des structures de contrôle qui leur permettent d’envisager des sources de financement alternatif.

Frédéric Sohet (Deloitte)

Bureau et résidentiel O.K.

Et Sidney D. Bens, CFO d’Atenor, le promoteur lahulpois considéré dans le milieu comme un modèle du genre en matière de diversification de ses sources de financement, de préciser : “En fait, il s’agit toujours d’un subtil équilibre où banques et promoteurs doivent pouvoir s’accorder. Quand on jette un oeil dans le rétroviseur, on peut s’interroger sur la nécessité des banques à financer dans des proportions parfois très importantes des projets immobiliers. Or, elles ne sont pas actionnaires de ces sociétés. Elles ne doivent pas financer le risque mais le bridge”. Une position partagée par Aubry Lefebvre : “Nous n’avons jamais autant ressenti que la priorité d’une banque est avant tout de se sortir du risque”.

D’une manière générale, l’octroi d’un financement bancaire dépend de plusieurs facteurs. Si le projet dispose d’un permis d’urbanisme, ce qui diminue le risque, une banque sera plus encline à avaliser la demande de crédit. “Il y a une clairement une différence entre les demandes de financement avec ou sans permis, explique Frédéric Sohet, à la tête du département immobilier de Deloitte.

Les banques seront beaucoup plus frileuses dans le second cas.” Autre élément qui influence les banquiers : le segment dans lequel est développé un projet immobilier. Si tous les segments semblent touchés par la crise actuelle, certains souffrent davantage. “Il est certain que financer un projet de centre commercial ou un portefeuille de magasins est moins prioritaire “, ajoute Sebastiaan Preckler, head of debt advisory chez Deloitte. Même constat pour le segment de l’hôtellerie, complètement à l’arrêt.” Aujourd’hui, c’est vrai que je travaillerais davantage sur un dossier résidentiel ou logistique que sur un projet retail, explique Michael Wedner. Cela n’a rien de surprenant. Toutes les banques sont et seront plus prudentes à l’avenir. ”

Il est certain que financer un projet de centre commercial ou un portefeuille de magasins est moins prioritaire.”

Sebastiaan Preckler (Deloitte)

L’immobilier résidentiel garde en tout cas plus que jamais les faveurs des banquiers. “Nous remarquons que ce segment connaît une certaine résilience, lance Didier Snyers d’Attenhoven. Nous continuons donc à le financer. Pour le bureau, nous finançons également un certain nombre de nouveaux projets. Nous avons renforcé nos règles d’octroi de crédit vu l’incertitude économique et notamment le phénomène du télétravail. Le secteur du bureau connaît, de plus, une grande interrogation : les surfaces seront-elles plus importantes ou plus réduites suite au Covid ? Quant au retail, cela fait deux ans que ce secteur fait face à une grande transformation. Notre attitude est donc très prudente vis-à-vis de ce segment du marché.”

Nous avons adopté une politique plus prudente mais nous finançons autant de projets qu’avant.

Didier Snyers d’Attenhoven (BNP Paribas Fortis)

Réputation, situation et prévente

Comment rassurer les banquiers alors ? On l’a dit, l’obtention d’un permis est un premier pas. Autre élément : la réputation des clients. ” Une banque qui peut examiner le bilan comptable des cinq dernières années, qui voit que les chiffres et les reportings sont bons, et qui a déjà travaillé avec le demandeur sera bien évidemment plus rassurée “, fait remarquer Aubry Lefebvre. Un constat que confirme Frédéric Sohet : “Il est évident que, d’une manière générale, les petits projets immobiliers souffriront davantage que les grands. Les promoteurs les plus importants ont mis en place des structures de contrôle qui leur permettent d’ailleurs d’envisager des sources de financement alternatif, telles que des obligations ou des commercial papers.”

La qualité du projet est un autre élément particulièrement significatif. ” Le niveau des préventes est en effet un bon indicateur du succès d’un projet, confirme Didier Snyers d’Attenhoven. Par ailleurs, les préventes permettent de le financer partiellement. La localisation reste un autre élément important. ” Reste que tout le monde ne sait pas atteindre ces objectifs. Car tous les projets ne sont pas d’envergure et tous les promoteurs ne possèdent pas une équipe marketing performante. ” Il est très compliqué de prévendre un projet dans certaines régions, regrette Boris Salvador. Atteindre les 30 à 40 % d’appartements prévendus est parfois impossible. Tous les projets ne sont pas idéalement situés, avec une importante demande. ”

Enfin, la dernière source d’inquiétude des promoteurs concerne les acheteurs finaux, eux aussi soumis au resserrement des conditions d’octroi de prêts hypothécaires. Une situation qui, si elle se confirme sur la longueur, pourrait entraver la stabilité du marché. “Maintenir une accessibilité à la propriété est clairement indispensable, relève Pierre-Alain Franck, administrateur à l’Upsi. Il faudra y être attentif.” Les derniers chiffres de Febelfin relatifs à l’octroi de prêts aux particuliers démontrent en tout cas une baisse importante pour le premier semestre. Elle est toutefois principalement imputable au Covid-19 et à la surpression du bonus logement en Flandre fin 2019. Il faudra donc encore un peu patienter avant de voir les effets réels des mesures prudentielles des banques pour les particuliers.

Comment financer un projet ?

De manière générale, les possibilités de financement des promoteurs sont relativement classiques. Le principe de base est de faire appel à plusieurs sources, que ce soient des fonds propres, des fonds bancaires ou de la pré-commercialisation (vente sur plan des appartements ou maisons). La répartition habituelle va de 15 à 30% de fonds propres, le solde étant financé par les banques.

Les fonds propres sont obtenus via l’actionnaire, les bailleurs de fonds externes (family, friends and fools) et le crowdfunding immobilier. Ils sont tout d’abord nécessaires lors de l’acquisition d’un terrain ou d’un immeuble avec ou sans permis, les banques prêtant davantage lorsque le risque de développement est faible et que le permis est déjà obtenu. Le financement bancaire concerne donc le plus souvent le volet construction du projet, auquel le promoteur doit également apporter une partie de fonds propres (20 % environ). Ces fonds propres-là peuvent provenir d’une autre source de financement : la pré-commercialisation des appartements ou des maisons. Ajoutons que d’autres possibilités existent pour compléter sa structure de financement : le crowdfunding, la Bourse (obligation), les commercial papers, etc.

Afflux de dossiers chez Beebonds

Beebonds, l’une des plateformes de crowdlending (financement participatif) ciblant les projets immobiliers en Belgique, a le vent en poupe. Suite à la crise du Covid-19 et à la prudence des institutions bancaires en termes de financement, les dossiers défilent pour le moment dans les bureaux de cette société basée à Auderghem. “Nous connaissons ces dernières semaines un vrai afflux de dossiers, relève Joël Duysan, fondateur de Beebonds. La croissance de certains promoteurs est réellement impactée par la situation actuelle. Si nous recevions auparavant deux ou trois dossiers par semaine, il s’agit désormais de deux ou trois dossiers par jour. Notre notoriété est désormais acquise. Tant du côté des promoteurs que des investisseurs.”

Beebonds a été fondée en 2017. Elle met en relation des investisseurs particuliers et des promoteurs de projets immobiliers. Elle dispose de l’agrément de la FSMA et a déjà permis de lever près de 20 millions d’euros. Chaque dossier est passé au peigne fin par des experts pendant deux à trois mois, histoire de voir s’il tient la route. Le taux de refus est relativement faible. Le rendement moyen est de 8%, duquel il faut soustraire le précompte mobilier de 30%. La mise minimale est de 5.000 euros par projet, sans frais d’entrée. Un dossier s’étend en moyenne sur trois ans. Pour un promoteur, le financement est de minimum 500.000 euros et maximum 5 millions. “En moyenne, nous finançons de 20 à 25% d’un projet dont le budget va de 2 à 20 millions. Nous attirons les promoteurs de taille moyenne. Les Atenor et Immobel n’ont pas besoin de nous. Quand un dossier se présente, deux questions se posent en fait : à quoi va servir l’argent et comment allez-vous nous rembourser ?”

Si Beebonds profite de la situation actuelle, il ne s’en réjouit pas pour autant. “Ce qui nous préoccupe pour le moment, c’est que de plus en plus de promoteurs éprouvent des difficultés à réunir des fonds propres nécessaires vu les positions prudentielles des banques, fait remarquer Joël Duysan. Or, les promoteurs ont besoin de financement bancaire. De notre côté, nous devons pallier à cette situation en pouvant financer 75 % de l’effort de fonds propres qu’exigent les banques.”

Beebonds poursuit actuellement sa croissance. La plateforme vient de s’associer avec Deloitte et PwC pour que ces deux cabinets d’audit scrutent d’encore plus près chaque dossier. Et elle va bientôt mettre sur un pied un service de financement destiné aux sociétés touchées par la crise du Covid.

Joël Duysan, fondateur de Beebonds.
Joël Duysan, fondateur de Beebonds.© pg

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